Intervention de Claudine Lepage

Réunion du 4 mai 2010 à 14h30
Vote par voie électronique lors des élections des membres de conseils des établissements publics — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Claudine LepageClaudine Lepage :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors d’un précédent débat au sein de notre assemblée, nous avions déjà relevé la profonde ambiguïté de notre rapport aux nouvelles technologies, à Internet en particulier.

La vie de la majorité des citoyens est désormais empreinte de numérique. Les jeunes sont les premiers concernés, ainsi que les chercheurs et les enseignants, qui sont quotidiennement appelés à utiliser Internet dans leurs travaux.

Dans ces conditions, il peut paraître naturel de permettre aux étudiants et aux enseignants de voter à distance par voie électronique lors des élections des membres des conseils centraux des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, mais il faut se méfier des évidences : elles sont souvent trompeuses !

Madame la ministre, vous évoquez le rôle précurseur que doit jouer l’université et le devoir qui lui incombe de montrer la voie de la modernité. Certes. Pour autant, les étudiants, qui sont déjà particulièrement peu enclins à participer aux élections universitaires, doivent-ils essuyer les plâtres du vote électronique, dont la sûreté est encore sujette à caution ?

Par ailleurs, la proposition de loi qui nous est soumise permettra-t-elle d’apporter une réponse à l’apathie électorale des étudiants ?

Je manifeste d’autant plus librement mes doutes que, de prime abord, l’idée du vote à distance par voie électronique me séduit particulièrement. En effet, en tant que sénatrice représentant les Français établis hors de France, je suis intimement convaincue que ce moyen permettra à terme aux 2 millions et plus de Français établis hors de nos frontières d’exercer pleinement leur citoyenneté en participant aux scrutins nationaux.

Cependant, je suis aussi obligée de reconnaître que les expériences menées en 2003 à l’occasion des élections à l’Assemblée des Français de l’étranger pour les postes pilotes des États-Unis, puis étendues aux circonscriptions d’Europe et d’Asie en 2006, d’Amérique et d’Afrique en 2009, ne sont pas concluantes. En juin 2009, 340 000 électeurs étaient appelés aux urnes ; 70 000 d’entre eux ont effectivement voté, soit à peine plus de 20 %. Parmi eux, 8 300 ont manifesté leur volonté de voter par Internet. En définitive, ce sont 6 000 votes électroniques à distance qui ont été enregistrés, soit un « taux de conversion », selon l’expression technique, de 72, 7%.

Quels enseignements, transposables au domaine qui nous intéresse ici, peuvent être tirés de ces différents chiffres ? Tout d’abord, que la possibilité de voter par voie électronique n’a pas permis d’endiguer l’abstention ; bien au contraire, la participation, tous modes de vote confondus, a poursuivi sa chute. Dans les circonscriptions d’Amérique et d’Afrique, par exemple, elle a été ramenée de 24, 08 % en 1997 à 22, 65 % en 2003, pour finir à 20, 44 % en 2009.

Cette expérience est certes particulière, mais ses résultats sont aussi corroborés par ceux d’autres consultations en France : lors de l’élection du conseil d’administration du CNRS, le taux de participation est tombé de 46 % en 2001 à 32 % en 2009, année inaugurant un vote par voie électronique, et les résultats du dernier vote au conseil prud’homal de Paris permettent d’aboutir à la même conclusion.

Cet échec tient sans doute beaucoup à la complexité de la procédure de vote.

En effet, la CNIL pose de nombreuses exigences destinées à garantir les principes fondamentaux de toute opération électorale : le secret du scrutin, le caractère personnel, libre et anonyme du vote ou encore la sincérité des opérations électorales. Il semble qu’en l’état actuel de la technologie il soit encore difficile de concilier le respect de ces principes avec une relative simplicité dans l’utilisation du vote électronique.

En tout état de cause, il est parfaitement illusoire de penser que le taux de 15 % de participation des étudiants aux élections visant à désigner leurs représentants aux conseils d’université est imputable aux modalités de vote.

Au-delà de la question du vote électronique, le problème de fond, c’est le phénomène global de l’abstention, qu’on ne saurait méconnaître et qui touche pratiquement tous les scrutins, politiques ou professionnels. Il s’agit d’un mal endémique contre lequel il faut lutter, mais avec les bonnes armes ! En aucun cas, le vote par voie électronique ne peut être considéré comme la panacée high-tech contre l’abstention.

Il nous appartient, avant tout, de redonner du sens à la chose publique, à l’engagement collectif. Il importe donc de réfléchir aux causes du désengagement des étudiants et d’y apporter de vraies solutions. La présente proposition de loi n’est au mieux qu’un cataplasme !

Une étude du CIDEM, Civisme et Démocratie, sur la participation des étudiants aux élections universitaires préconisait déjà, en 2004, une information et une communication meilleures, afin que les élections soient vécues comme « des moments exceptionnels ».

Pour finir, je souligne que la conscience politique, le sentiment d’appartenir à la collectivité doivent essentiellement se forger et se consolider à l’âge fondamental qu’est l’entrée dans la vie adulte. C’est cette prise de conscience des jeunes qui fera baisser l’abstention et c’est à quoi nous devons œuvrer, notamment au travers d’une meilleure communication.

Cette proposition de loi est, en réalité, porteuse d’une « fausse bonne idée », d’abord par l’absence de maturité de la technique, qui doit présenter une sécurité absolue ainsi qu’une totale simplicité d’utilisation, mais aussi parce qu’elle ne constitue en rien une vraie réponse à la problématique de l’abstention.

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