Intervention de Jacqueline Alquier

Réunion du 4 mai 2010 à 21h30
Rémunération des salariés reclassés — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Jacqueline AlquierJacqueline Alquier :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, on ne peut qu’être sensible, au vu des événements passés, à cette proposition de loi. En effet, elle vise à mettre fin à la pratique de plus en plus courante de propositions de reclassement des salariés dans les pays à bas salaires par les entreprises qui licencient.

Toutefois, au-delà des apparences, nous verrons que cette proposition de loi ne résout pas grand-chose. La pratique n’est pas nouvelle : en voici un florilège, si tant est que ce terme puisse être utilisé en la matière.

Travailler 48 heures par semaine, avoir dix jours de congés annuels, le tout en Malaisie pour un salaire 1 169 euros annuels, voilà ce qui avait été proposé, en 2005, aux salariés licenciés de la société de fabrication de préservatifs Radiatex-Protex, installée à Bellerive-sur-Allier.

Pour les plus chanceux des employés de l’entreprise bretonne de fabrication de pinceaux Max Sauer, il leur avait été proposé, la même année, un reclassement dans les Côtes d’Armor. Pour les autres, ce fut l’île Maurice, pour 117 euros par mois !

Toujours en 2005, les neufs salariés qui doivent être licenciés chez Sem Suhner, une entreprise alsacienne de fabrication de transformateurs électriques, se voient offrir un reclassement dans la capitale arménienne pour 110 euros brut par mois et 40 heures de travail par semaine. Face au tollé provoqué par la nouvelle, le P-DG présentera ses excuses publiques quelques jours plus tard.

Toutefois, cette initiative n’a pas empêché l’usine Amphénol-Socapex, située à Dole, de proposer, quelques jours plus tard, à ses salariés un poste au Mexique ou en Chine, rémunéré deux euros l’heure. Pour compensation, le groupe leur proposait un aller-retour annuel gratuit vers la France...

Et tant d’autres, encore, les années suivantes.

Le mouvement ne s’est pas arrêté, puisque, en 2010, les salariés de l’entreprise Continental de Clairoix se voient proposé un reclassement, en Tunisie, pour un salaire mensuel de 137 euros ; l’usine de Philips implantée à Dreux et qui ferme ses portes offre, quant à elle, à ses salariés des postes en Hongrie, rémunérés 450 euros par mois, sur douze mois, à condition de pratiquer la langue hongroise !

Toutes ces propositions ont comme point commun l’indécence ! Comment peut-on oser faire de telles propositions à des salariés qui, souvent, occupent depuis plusieurs dizaines d’années le même poste dans l’entreprise ?

C’est en mai 2009 qu’interviennent deux événements qui mettent en avant la nécessité de légiférer sur ce point.

D’une part, vous l’avez dit, monsieur le ministre, le fabricant de chaussettes Olympia, qui n’avait pas osé proposer des emplois de reclassement en Roumanie rémunérés 110 euros par mois, est condamné par la cour d’appel de Reims à verser 2, 5 millions d’euros à 47 salariés. La cour lui reproche de ne pas avoir soumis à ses salariés toutes les possibilités de reclassement au sein du groupe.

D’autre part, la direction de l’usine textile Carreman, qui emploie 150 personnes à Castres, à côté de chez moi, décide de licencier neuf de ses salariés et propose à ces derniers un reclassement dans une autre usine du groupe à Bangalore, en Inde, avec un salaire de 69 euros brut par mois, pour six jours de travail par semaine. Cette proposition est jugée scandaleuse par les salariés, qui ont eu une semaine pour rendre leur réponse.

Devant ces deux situations apparemment contradictoires, la tentation est grande de modifier la loi, et tel est l’objet de la présente proposition de loi.

La solution avancée consiste à préciser dans la loi que la proposition de reclassement doit être faite à rémunération équivalente. Tout est simple ! Tout est beau ! Voilà une honte réparée ! Il n’y a plus rien à voir !

Mais ce n’est pas si facile ! En effet, si cette proposition de loi a été votée, en juin 2009, à une très large majorité par l’Assemblée nationale, c’est parce que les députés étaient encore sous le coup de l’émotion de l’affaire du groupe Carreman et de la décision de la cour d’appel de Reims. Mais, comme en toute occasion, l’émotion n’est pas toujours la meilleure conseillère.

Aujourd'hui, avec un an de recul – on peut prendre du temps quand c’est nécessaire ! –, il nous est permis de réfléchir aux apports réels de cette proposition de loi.

Rappelons d’abord le contexte législatif en vigueur.

La rédaction actuelle de l’article L. 1233-4 du code du travail résulte de la loi de modernisation sociale, adoptée en 2002, qui impose que les licenciements économiques soient précédés par la recherche effective et l’offre préalable par l’employeur de toutes possibilités de reclassement interne. Voilà pourquoi cet article impose aux employeurs de proposer un reclassement dans l’entreprise ou les entreprises du groupe auquel le site appartient ; d’où les propositions que nous connaissons.

Encore convient-il de noter que ces propositions résultent clairement de la politique qui est menée par les entreprises et qui consiste à exporter leur production vers des pays à bas salaires.

Rétablissons les choses telles qu’elles sont : ce n’est pas la loi qui a prévu une obligation indécente ; c’est parce que les entreprises ont délocalisé dans des pays à bas salaires que de telles propositions interviennent.

Dans ce contexte, il est donc tentant de modifier la loi. Cela arrangera évidemment le MEDEF, car ce sont les patrons qui sont mis à mal par cette obligation.

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