Intervention de Annie David

Réunion du 4 mai 2010 à 21h30
Rémunération des salariés reclassés — Adoption définitive d'une proposition de loi

Photo de Annie DavidAnnie David :

Pour les membres de mon groupe, comment ne pas partager un tel objectif ? Néanmoins, l’illusion est de courte durée, particulièrement en ce qui concerne la mise en œuvre des questionnaires préalables aux propositions de reclassement ! Je ne manquerai pas d’y revenir.

L’avancée proposée par la première partie de ce texte, aux termes de laquelle le reclassement s’effectue sur un emploi « assorti d’une rémunération équivalente », modifie, certes, le code du travail dans un sens favorable aux salariés, alors que, il faut le reconnaître, de nombreuses modifications leur ont été franchement défavorables au cours des dernières années.

Mais cette avancée est anéantie par un véritable recul pour les salariés, lié à l’obligation de reclassement qui pèsera sur les entreprises, ou, plutôt, qui ne pèsera plus sur les entreprises !

L’enjeu du débat peut d’ailleurs être facilement résumé par une déclaration du MEDEF. En voici les termes : « Si on ne propose pas [ce type d’offres à l’étranger], on est condamnés par les conseils des prud’hommes ; si on les propose, on est condamnés dans les médias ».

Cependant, les entreprises sont condamnées non pas pour avoir fait des offres dans des pays exotiques, mais parce que celles-ci « avaient été présentées de manière désinvolte, provocatrice, en instrumentalisant l’obligation légale de reclassement ; c’est en cela qu’elles ont été jugées déloyales ». Notre collègue Marsin a même évoqué le cynisme de certaines entreprises.

Pour autant, ce texte fait-il disparaître les offres indécentes ? Pas du tout, puisqu’il a seulement pour objet d’aménager la manière dont ces offres seront faites aux salariés concernés, et de faire en sorte que la « politique salariale » de ces entreprises s’étale un peu moins dans nos journaux à l’occasion des licenciements économiques. Car ces licenciements représentent bien une mesure d’économie, les salariés étant considérés comme des variables d’ajustement. Il n’est donc pas question de leur proposer la même rémunération à l’étranger ! Les actionnaires ne verraient pas le bénéfice d’une telle mesure et les salariés locaux risqueraient de revendiquer à leur tour de meilleures conditions salariales ! D’ailleurs, en évoquant des conditions salariales adaptées au pays d’origine, sur quoi s’appuie-t-on exactement ?

Ainsi, le questionnaire préalable permet à l’employeur d’éviter les contentieux en interrogeant les salariés sur leurs souhaits de reclassement avant de leur faire parvenir les offres. On s’oriente vers un démantèlement de l’obligation de reclassement, qui sera désormais à géométrie variable. Cette mutation pose de nombreux problèmes.

En premier lieu, le contenu de cette obligation sera fixé par les parties. Par conséquent, celle-ci se contractualise et s’individualise, notre collègue Jacqueline Alquier l’a bien démontré tout à l’heure, ce qui n’apporte aucune sécurité aux salariés. En effet, nous connaissons toutes et tous ici le lien de subordination qui lie le salarié à son employeur. Nous sommes également conscients que de nombreux salariés éprouvent une véritable peur du chômage. Il paraît donc pour le moins indécent de parler de choix en ce qui concerne ce questionnaire.

En second lieu, plusieurs avocats soulignent le caractère anormal d’une procédure où le salarié doit renoncer par avance à des annonces dont il ne connaît pas le contenu ou aux droits sociaux et salariaux de notre législation !

Le mécanisme des questionnaires transfère ainsi au salarié une responsabilité qui n’est pas la sienne : il devra opérer le tri entre ce qui est indécent et ce qui ne l’est pas, alors qu’on ne lui demande pas son accord pour la suppression de son poste ! Cette proposition de loi fait donc pleinement perdurer l’indécence, constituée par l’existence même de l’offre, surtout lorsqu’il s’agit de licenciements non pas économiques, mais plutôt d’essence libérale. De plus, le salarié est prié de devenir « coproducteur » d’une offre qu’il contribue à déterminer !

Dès lors, il ne pourra plus ni se révolter dans les médias, puisqu’il aura contribué à l’existence de l’offre et accepté de la recevoir, ni s’adresser au conseil des prud’hommes si l’entreprise ne lui fait pas parvenir d’offre de reclassement interne ! Adieu les contentieux !

Faut-il rappeler que tout cela se passe alors que le salarié vient de subir un premier choc, à savoir la perte de son emploi ? Aucune faute ne peut lui être reprochée : il s’agit d’un licenciement économique, dont le système libéral aujourd’hui à l’œuvre porte la responsabilité ! Dans ce système, l’économie est mondialisée, les salariés sont considérés comme des outils, et la production est implantée dans les pays où la main-d’œuvre est à bas prix !

Les salariés sont excédés de servir de variable d’ajustement, ils ne supportent plus les effets d’aubaine de la crise et les délocalisations en cascade. Ces femmes et ces hommes, qui fabriquent les richesses et dont le professionnalisme n’est pas remis en cause, exigent pour le moins le respect de leur personne et de leur outil de travail.

Nous paraît également inquiétant le délai imparti pour répondre au questionnaire. Il n’est que de six jours, alors que les salariés sont pris dans la tourmente d’un licenciement. Beaucoup d’entre eux laisseront passer ce délai, mais la non-réponse vaut refus, ce qui, là encore, arrange bien les entreprises, reconnaissons-le ! De toute façon, comment un salarié pourrait-il déterminer en six jours qu’une offre est décente ? Il devra se renseigner vite, pour savoir, par exemple, s’il peut vivre à Tunis avec 137 euros par mois.

Je vous le rappelle, si la première partie de cette proposition de loi vise à inscrire dans le code du travail la notion de « rémunération équivalente », la seconde tend à introduire le questionnaire permettant aux entreprises de continuer à faire des offres indécentes, lesquelles, du coup, ne seront plus communiquées à l’ensemble des salariés ni à l’opinion publique.

Pour le salarié, cela revient à vider de sa substance l’obligation de reclassement qui pèse aujourd’hui sur l’employeur.

Quant à l’employeur, en raison, d’une part, de cette procédure trop courte, et, d’autre part, de la faculté pour lui de rédiger comme il l’entend le questionnaire, il sera en réalité dédouané et exonéré de son obligation de reclassement tout en pouvant produire en justice la preuve qu’il a respecté la loi. De fait, il échappera ainsi à tout futur contentieux.

Toute la construction jurisprudentielle autour de l’obligation de reclassement que vous avez évoquée, monsieur le ministre, en ressort fragilisée, pour la plus grande satisfaction de ceux qui la jugent trop renforcée, l’employeur étant contraint aujourd’hui de proposer une solution autre que le licenciement pour valider le licenciement économique.

Pour l’entreprise, c’est une double avancée. C’est même une triple avancée, car, avec une obligation de reclassement ainsi allégée, l’employeur pourra encore plus facilement faire peser sur la collectivité nationale le poids de ses licenciements économiques, comme cela se passe par le biais de conventions de revitalisation.

Certaines entreprises continueront d’investir en bourse, de toucher des aides publiques, de délocaliser et de licencier pour motif économique ou de proposer des postes « bol de riz » à l’étranger et de faire financer par l’État les emplois maintenus en France.

Ainsi, le budget du Fonds national de revitalisation des territoires s’élève en 2010 à 135 millions d’euros et une réflexion est en cours quant à la généralisation des contrats de transition professionnelle, bien que le coût supplémentaire estimé soit compris entre 1 milliard et 1, 5 milliard d’euros. Selon la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, le coût global se monterait à près de 2, 7 milliards d’euros, dans l’hypothèse basse fondée sur les résultats de 2007, et à 3, 9 milliards d’euros, dans l’hypothèse haute fondée sur ceux de 2009.

Monsieur le ministre, vous qui par ailleurs fustigez les dépenses de nos services publics, vous devriez être plus vigilant dans l’attribution des aides publiques !

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