Intervention de Jean-Léonce Dupont

Réunion du 22 janvier 2008 à 22h15
Statut de l'élu local — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Jean-Léonce DupontJean-Léonce Dupont :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, « malaise », « insatisfaction », « inquiétudes », tels sont les termes qui ont été souvent employés ces dernières années pour définir l'état d'esprit des élus locaux dans notre pays et qui ressort encore des récentes enquêtes.

L'étude menée en 2006 par l'IFOP, l'Institut français d'opinion publique, auprès de 1 500 maires et présidents de communautés révélait que 45 % d'entre eux seraient peu enclins à poursuivre leur engagement lors du prochain renouvellement des mandats. Nous verrons bien si ce pourcentage se confirme au terme des élections du mois de mars prochain, mais la tendance est là.

Pour l'heure, dans le département du Calvados, qui compte 705 communes, il semble d'ores et déjà que près d'un tiers des maires ne souhaitent pas se représenter. Certes, certains ne le veulent pas pour des raisons de convenance personnelle, mais la plupart d'entre eux expriment surtout le « ras-le-bol » d'assumer des responsabilités de plus en plus lourdes et complexes, souvent ingrates, d'être en état de disponibilité permanente auprès de concitoyens de plus en plus exigeants et pas toujours reconnaissants.

J'ai établi le même constat pour ce qui concerne les élections cantonales, car on ne peut pas dire que les candidats se bousculent vraiment dans certains cantons ruraux.

Ce sentiment d'insatisfaction paraît partagé par bon nombre d'élus dans l'ensemble de notre pays, notamment dans les petites communes, puisque le sondage réalisé l'an dernier sur l'initiative de l'Observatoire sénatorial de la décentralisation révèle que 58 % des élus se disent mécontents de leur situation.

Des avancées certaines ont été réalisées grâce à la loi de 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux, à celle de 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale et à celle de 2002 relative à la démocratie de proximité. Je ne reviendrai pas sur cet historique, d'autres orateurs avant moi l'ayant excellemment rappelé.

Toutefois, malgré l'adoption de dispositions en faveur des élus locaux, il n'existe toujours pas en France de véritable statut de l'élu local. Cette situation pose des problèmes avant, pendant et après le mandat.

Avant l'élection, c'est l'égal accès de tous les citoyens aux mandats locaux qui est principalement en question, et ce pour toutes les catégories socioprofessionnelles.

Certes, la loi de février 2002 permet au candidat à l'élection de préparer la campagne électorale. Un droit au congé électif est ouvert aux salariés candidats au conseil municipal dans les communes d'au moins 3 500 habitants, au conseil général et au conseil régional. Ce congé a une durée maximale de dix jours ouvrables, mais ces absences ne sont pas rémunérées.

Cette loi a également organisé les autorisations d'absence et les crédits d'heure pour permettre aux élus de disposer du temps nécessaire à l'administration de leur collectivité.

Toutefois, deux remarques s'imposent.

Tout d'abord, aucune disposition n'est prévue pour les candidats dans les petites communes. Ensuite, hormis les personnels de la fonction publique, qui peuvent bénéficier d'un détachement ou d'une mise en disponibilité pour exercer un mandat, et donc assurer sans risque professionnel un mandat local, combien de salariés du secteur privé vont-ils utiliser le congé électif non compensé et prendre le risque de se présenter, de consacrer du temps - beaucoup de temps - pour être élu, de devoir peut-être cesser leur activité professionnelle ou au mieux tenter de concilier leur mandat avec leur vie professionnelle, pour percevoir une indemnité qui, seule, ne permet pas, bien souvent, de vivre ?

L'analyse de la répartition socioprofessionnelle des maires réalisée en décembre 2007 fait apparaître que trois catégories de « professions » dominent : les retraités, avec 29 %, les agriculteurs, avec 18 %, et les fonctionnaires, avec 15 %. Précisons, toutefois, que 99 % des agriculteurs élus maires le sont dans des communes de moins de 3 500 habitants.

La représentation des différentes catégories professionnelles est malgré tout moins mal assurée qu'au niveau des fonctions électives nationales, qui présentent un caractère caricatural.

C'est la représentativité de notre société qui est en jeu et il convient d'inciter tous les citoyens français à se porter candidats aux fonctions électives. Seul un statut digne de ce nom peut pallier cette situation.

Quant aux femmes, en application des règles relatives à la parité, elles représentent désormais 47, 5 % des conseillers municipaux des communes de plus de 3 500 habitants. Mais ce pourcentage reste inférieur à 11 % pour les maires de l'ensemble des communes. Le taux est de 10, 5 % pour les conseillers généraux et de 47, 5 % pour les conseillers régionaux.

On peut se réjouir de ce que la situation ait évolué favorablement - malheureusement sous l'effet de la contrainte -, même si l'accès des femmes aux fonctions exécutives mérite quelques améliorations, notamment par une prise en considération du problème de la garde des enfants.

Pendant le mandat, deux sujets sont source de vives préoccupations pour les élus : la responsabilité, d'une part - les responsabilités civile, administrative et surtout pénale - et les moyens d'exercer leur mandat, d'autre part.

Une très grande majorité des élus locaux se déclarent insuffisamment protégés des risques juridiques encourus par leur fonction. D'importantes avancées ont été accomplies, notamment grâce à la loi dite « Fauchon » de juillet 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Mais le profond malaise exprimé par les élus locaux ne doit pas être sous-estimé, et nous devrons remettre notre ouvrage sur le métier, notamment en matière d'information.

Par ailleurs, selon le sondage mené pour l'Observatoire de la décentralisation, 66 % des élus se déclarent mécontents de leurs conditions de travail.

Peut-on dissocier ce sentiment de l'intention de bon nombre d'élus de ne pas poursuivre leur engagement, comme je l'ai indiqué au début de mon intervention ? Je ne le crois pas.

À mon avis, élaborer un statut de l'élu local est indispensable, mais cela ne se fera pas sans que soit menée parallèlement une réflexion sur les moyens dont disposent les élus pour exercer leur fonction. Je pense notamment à l'avenir du financement des collectivités locales, à l'insuffisante compensation financière de l'État en contrepartie des nouvelles responsabilités qui leur sont transférées et aux menaces sur leur autonomie.

Pour améliorer les conditions de travail des élus, nous ne pourrons pas faire l'économie d'une réforme de la fiscalité locale.

Après le mandat, c'est le problème de la reconversion et de l'aide à la réinsertion professionnelle qui se pose.

Pour les retraités, la question ne soulève pas de problème, pas plus que pour les membres de la fonction publique, qui seront réintégrés. En revanche, s'agissant des élus salariés du secteur privé ayant cessé leur activité professionnelle, la situation est plus compliquée.

La loi de 1992 a prévu un droit de réintégration pour les élus ayant cessé temporairement leur activité, leur contrat de travail étant suspendu. Mais ce dispositif connaît ses limites, puisque ce droit n'est valable qu'à l'issue d'un seul mandat et pour les élus des communes de plus de 20 000 habitants, lorsque l'entreprise existe encore.

Les membres des professions libérales, dont les situations présentent une très grande hétérogénéité, n'ont, quant à eux, aucune garantie.

Dix ans plus tard, la loi de 2002 a mis en place l'allocation différentielle de fin de mandat et renforcé les droits à la formation des élus en fin de mandat. Mais, là encore, le droit à formation n'est ouvert qu'aux maires et adjoints de communes de plus de 20 000 habitants, et l'allocation ne peut être perçue que pendant six mois et selon certaines modalités.

On ne peut donc pas s'étonner du fait que 58 % des élus soient mécontents des possibilités qui leur sont offertes en matière de reconversion.

À l'heure où, dans le secteur privé, on commence à vanter une « flexisécurité à la française », il serait intéressant de poursuivre la réflexion pour améliorer les passerelles entre la vie politique et la vie professionnelle et supprimer les inégalités qui existent entre les élus, selon qu'ils sont élus dans une commune de plus ou de moins de 20 000 habitants.

Vous avez, madame la ministre, évoqué la semaine dernière l'idée d'une nouvelle voie d'accès à des fonctions administratives pour les anciens maires ; cette piste mérite d'être approfondie.

Pour conclure, et en ayant bien conscience de n'avoir pas abordé tous les sujets d'inquiétude de nos élus locaux, je tiens à préciser que l'élaboration d'un statut de l'élu local doit se faire, et ne peut se faire, que dans une approche globale. Nous devons définir quelle démocratie locale nous souhaitons mettre en place dans notre pays, quelle doit être la représentativité des élus, leur légitimité, et savoir dans quelles conditions la gouvernance locale doit s'exercer, et ce avec quels moyens.

Ce n'est qu'en apportant des réponses à l'ensemble de ces questions que l'élaboration d'un véritable statut de l'élu local aura, à mes yeux, un sens et sera susceptible d'adapter notre démocratie locale aux défis de la décentralisation.

Seul un véritable statut de l'élu local permettra une démocratie apaisée et représentative qui n'exclue pas par le sexe, la catégorie socioprofessionnelle ou, plus généralement, l'origine sociale.

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