Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, pour des raisons circonstancielles, la commission des affaires économiques n’a pas eu l’occasion d’expérimenter la législation en commission dans la formule appliquée entre 2015 et 2017. Je sais néanmoins que mon prédécesseur, Jean-Claude Lenoir, l’avait envisagée favorablement.
Le président Philippe Bas vient de rappeler excellemment la réussite de cette expérience. Je tiens à dire d’emblée que le groupe Les Républicains, dans un souci constant de moderniser nos procédures, votera avec enthousiasme la proposition de résolution présentée par le président Larcher dans la rédaction retenue par la commission des lois.
Quel est à nos yeux le principal objet de ce texte ? Il est d’éviter la redondance, que nous constatons tous trop fréquemment, entre l’examen en commission et l’examen en séance publique. Les mêmes amendements sont bien souvent examinés trois fois : lors de la réunion de commission pour élaborer le texte, lors de la réunion d’examen des amendements de séance et, enfin, lors de la séance publique elle-même. D’une certaine manière, en déposant et redéposant ces amendements, nous « tentons notre chance » à chaque stade de la procédure ! Ces redondances allongent les discussions parfois inutilement : le temps gagné grâce à leur élimination nous permettra d’approfondir d’autres débats qu’il nous arrive de devoir escamoter, faute de temps.
Mais le recours à cette procédure aura aussi pour effet de valoriser notre travail législatif en commission. Il permettra de rendre publique une partie de ce travail. Il nous assurera un dialogue direct et vivant avec le Gouvernement et rendra sa solennité à la séance publique, qui pourra davantage se concentrer sur les textes que nous jugerons collectivement comme plus importants d’un point de vue politique.
Nous n’avons aucune inquiétude à nourrir quant à d’éventuelles restrictions à nos droits d’expression parlementaire. Personne ne pourra imposer qu’un texte soit discuté selon cette procédure, puisque le Gouvernement, la commission saisie au fond et, surtout, les groupes politiques pourront s’opposer à sa mise en œuvre.
Il sera également possible de revenir à la procédure ordinaire, même lorsque la législation en commission aura été engagée pour un texte. Il n’est en effet pas toujours possible d’anticiper la teneur d’un débat sur un projet de loi, son caractère plus ou moins intense ou conflictuel. Prévoir cette possibilité de retour à la procédure normale est donc extrêmement sage, et quoi de plus simple que de la faire jouer après la réunion de commission qui aura permis de comprendre qu’une séance publique de plein exercice est nécessaire ?
Dans son rapport, le président Philippe Bas précise bien que le recours à cette procédure a vocation à demeurer exceptionnel.
Lorsque le président-rapporteur de la commission des lois m’a auditionnée, je lui ai fait part de ma principale observation : la législation en commission ne doit pas être une séance publique en « modèle réduit », mais une vraie séance de commission. La proposition de résolution prévoit en effet que les règles de publicité et de débat en séance publique sont applicables à la réunion de la commission, sauf dispositions contraires. Je pense pour ma part que les règles du débat doivent s’apparenter davantage à celles du débat en commission qu’à celles de la séance publique. Le débat en commission autorise des souplesses, des prises de parole multiples, des durées d’intervention à la discrétion du président et non pas fixes, parfois des retours en arrière s’apparentant à des secondes délibérations, qui contribuent à la vitalité et la spontanéité du débat.
Pour parler clair, nous débattons en commission sans papiers préparés ; notre cœur, notre expérience et notre volonté s’y expriment plus spontanément. C’est pourquoi j’ai indiqué une préférence pour des règles de débat inspirées de celles qui sont vigueur en commission.
Sur ce point, la commission des lois apporte à mon sens la bonne réponse : il convient de ne pas importer en commission ce que Philippe Bas appelle « le formalisme, l’apparat et la rigidité de la séance publique », selon un rythme ternaire que nous apprécions tous ! Comme il le précise, le plus simple est d’appliquer les règles de la séance à titre supplétif, comme un recours quand la conduite d’un débat devient difficile.
La réussite de cette procédure dépendra également de la pratique qui sera retenue.
À cet égard, il sera à mon sens difficile de partager les textes entre parties purement « techniques » et parties que l’on pourrait qualifier de plus « sensibles », qu’il conviendrait de continuer à soumettre à un double examen en commission et en séance publique. Je pense que ce partage reposera sur des critères un peu subjectifs, certaines parties en apparence techniques pouvant se révéler plus sensibles en réalité qu’on ne l’imaginait au départ. En outre, si la commission est appelée à examiner les différentes parties dans la même journée ou demi-journée, il sera sans doute difficile de faire comprendre que la présence du Gouvernement et la publicité des travaux sont réservées aux parties les plus techniques, donc peut-être les moins importantes, du texte.
Je considère par ailleurs que maintenir la tradition sénatoriale qui laisse le Gouvernement en dehors des séances législatives à huis clos est souhaitable. C’est une question non pas de principe, mais d’efficacité : sa présence pourrait être source de redondances.
J’ai tendance à penser que nous privilégierons l’examen de textes entiers, relativement courts, car il est peu probable que nos collègues souhaiteront siéger en commission plusieurs jours et plusieurs nuits pour débattre d’un même texte.
La législation en commission pourrait aussi concerner des textes dont on peut penser qu’ils seront relativement consensuels, suscitant le dépôt de relativement peu d’amendements et peu d’affrontements, peu de discussions en tout cas, ce qui n’empêchera pas un débat vivant. C’est le cas des projets de loi de ratification d’ordonnance lorsque le Sénat aura donné son accord à l’habilitation à légiférer par ordonnance, par exemple. Le rapport de la commission des lois évoque également les textes en fin de navette, faisant l’objet d’une deuxième lecture, notamment.
Le texte voté en commission selon cette procédure fera l’objet d’un débat simplifié en séance publique. Je souhaite insister sur un point : il sera nécessaire d’appliquer très rigoureusement les règles de recevabilité des amendements de séance. Je rappelle qu’il est prévu qu’amender un texte en séance publique soit possible dans trois cas seulement : assurer le respect de la Constitution, la coordination avec d’autres textes en vigueur ou en cours de discussion ou la rectification d’erreurs matérielles. Il faudra éviter que ne soient rouverts des débats de fond de façon détournée, comme cela a pu arriver par le passé à l’Assemblée nationale, à propos d’articles pourtant « fermés » par des étapes antérieures de la discussion.
Enfin, une question me paraît devoir être posée, comme l’a d’ailleurs déjà fait Mme Assassi : celle de la concomitance de la législation en commission avec d’autres débats. L’actuelle procédure d’examen en commission est exclusive de la séance publique, mais autorise la tenue d’autres réunions de commission. Comme il est probable que l’application de la procédure de législation en commission impliquera de siéger plus longuement en commission, cela pourrait conduire à reléguer les réunions de certaines commissions, et même la séance publique, en soirée et la nuit, alors même que ces instances n’auraient pas pu siéger durant la journée.