Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, chacun aura compris les enjeux du débat que nous menons aujourd’hui, portant sur la fiscalité des énergies alternatives.
À l’heure où nos collègues de l’Assemblée nationale se prononcent sur le projet de loi portant engagement national pour l'environnement, dit Grenelle II, texte censé favoriser en particulier le développement des énergies nouvelles, les orientations données à cette fiscalité et en termes de financement sont stratégiques : nous devons aborder cette question sans tabou.
Je rappelle d’abord que la création de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER, est un effet collatéral de la suppression de la taxe professionnelle : en tant qu’élus des collectivités territoriales, nous nous étions déjà fait l’écho dans cet hémicycle des craintes légitimes qui s’exprimaient, et restent toujours très vives, au sein de nos territoires, en termes de retombées pour les finances locales.
Actuellement, il existe deux positions inconciliables.
Pour les uns, en particulier pour le Gouvernement ainsi que pour M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général, le tarif applicable à l’IFER sur les éoliennes doit être égal à celui qui vise les autres modes de production, notamment les centrales nucléaires, les centrales thermiques à flamme et les centrales hydrauliques, soit de 2, 913 euros par kilowatt de puissance installée. L’objectif affiché est la « neutralité des modes de production ». C’est la position qui a été tranchée par la commission mixte paritaire.
Pour les autres, qui représentent une majorité au Sénat, il convient d’instituer un tarif fortement majoré – il serait multiplié par plus de 2, 7 ! – pour les installations de production d’énergie d’origine éolienne, soit 8 euros par kilowatt de puissance installée. En l’occurrence, l’objectif affiché est la neutralité pour les recettes des collectivités territoriales.
À l’analyse de l’arbitrage rendu par la commission mixte paritaire, il apparaît qu’il n’y a aucune incidence pour les opérateurs des filières de production alternative, que l’État sort financièrement gagnant, tandis que les collectivités territoriales, que nous représentons, sont les grandes perdantes.
Selon le Gouvernement lui-même, le tarif de l’IFER, tel qu’il a été fixé en commission mixte paritaire, laisse augurer pour les collectivités locales des recettes au titre de l’IFER cinq fois plus faibles que celles qui étaient perçues au titre de la taxe professionnelle !
En revanche, le budget de l’État, quant à lui, économise désormais le surplus d’imposition des opérateurs concernés, surplus autrefois à sa charge au titre du plafonnement de la taxe professionnelle à 3, 5 % de la valeur ajoutée.
Nous ne pouvons accepter cet arbitrage, qui traduit une nouvelle fois le désengagement de l’État, pis, une forme de prise en otage financière des collectivités territoriales que nous représentons !
Pour autant, nous ne nous réfugierons pas derrière cet excellent argument pour approuver la discrimination fiscale négative, et par conséquent inacceptable, des producteurs d’énergies alternatives, votée récemment par le Sénat.
Dès lors, que faire ? Il nous faut revenir à deux principes de base qui devraient recueillir un consensus.
Il s’agit, d’abord, de préserver impérativement les ressources des collectivités territoriales, qui subissent depuis trop longtemps les transferts de compétences de l’État sans bénéficier des financements correspondants : à cet égard, les orientations budgétaires annoncées récemment par le Gouvernement ne nous rassurent pas !
Il s’agit, également et tout aussi impérativement, de ne pas pénaliser les filières de production électrique alternatives. Au regard des enjeux climatiques, essentiels quant à notre avenir collectif, je ne peux que souligner le retard de la France en la matière : ainsi, notre filière éolienne pèse entre 7 000 et 10 000 emplois, soit la moitié de celles du Danemark ou de l’Espagne et le quart de celle de l’Allemagne.
Par conséquent, nous ne pouvons en aucun cas infliger à notre filière éolienne un tarif de l’IFER discriminatoire par rapport aux énergies traditionnelles, qu’elles soient fossiles ou d’origine nucléaire !
Nous sommes prêts à accepter une tarification « neutre » de l’IFER, sous réserve que la discrimination positive en faveur des énergies renouvelables, rigoureusement indispensable, soit assurée par d’autres leviers. Je reviendrai sur ce point.
Cela nous paraît plus lisible et plus cohérent : tous les producteurs d’énergie électrique sont usagers du réseau et le paiement d’une indemnité forfaitaire de réseau, identique pour tous, est légitime.
En revanche, la discrimination positive nécessaire doit être confortée par le biais du tarif de rachat, lequel doit évoluer en fonction de ses effets sur le développement des filières alternatives.
À cet égard, si les objectifs en termes de puissance installée à l’horizon 2020 devraient être atteints plus tôt que prévu, il n’y a pas lieu de baisser automatiquement le niveau de la contribution au service public de l'électricité, ou CSPE, il faut maintenir l’effort : on ne fera jamais trop de production énergétique renouvelable !
Or je déplore le recul concernant l’objectif désormais affiché en termes de puissance éolienne, puisque le Gouvernement prévoit, outre les 4 000 mégawatts de puissance installée aujourd'hui, une tranche annuelle de 500 mégawatts, soit un total, en fin de période, de 9 000 mégawatts, ce qui représente un niveau inférieur à la moitié de la puissance du parc éolien actuel en Espagne et à peine supérieur au tiers de la puissance de celui de l’Allemagne, et ce alors même que nous avons la chance de disposer du deuxième potentiel en Europe !
Dès lors, comment compenser les pertes de recettes des collectivités territoriales dans ce domaine ? Si nous écartons toute hausse de l’IFER réservée aux seules énergies alternatives, la compensation par l’État ne nous paraît pas la bonne solution : nous mettrions en place une usine à gaz supplémentaire, de surcroît peu fiable. L’expérience le montre, en effet, non seulement les compensations versées par l’État aux collectivités territoriales sont insuffisantes, mais elles ne sont pas non plus durables !
C’est pourquoi nous proposons que la compensation légitime des recettes pour les collectivités soit assurée par une hausse de l’IFER, applicable indistinctement à tous les modes de production électrique, alternatifs et traditionnels.
D’abord, la « neutralité » du tarif de l’IFER au regard des modes de production électrique, alternatifs ou non, ne pénaliserait pas les énergies renouvelables. Il serait rigoureusement inacceptable qu’elles soient pénalisées.
Ensuite, pour nous écologistes, l’impact à la hausse du prix de l’énergie ne nous gêne pas, bien au contraire, et ce pour les deux raisons suivantes.
Nous avons toujours défendu le principe d’une fiscalité écologique et nous avons soutenu, par conséquent, l’introduction dans la loi Grenelle I du concept de contribution climat-énergie.
Il y va de l’internalisation dans le prix de l’énergie des dégâts causé à l’environnement, notamment en termes de gaz à effet de serre, d’un gaspillage d’énergie inadmissible à tous les niveaux – entreprises, ménages, collectivités territoriales et autres institutions, y compris la nôtre – au regard des enjeux planétaires.
En effet, dans une économie de marché, le signal des prix est essentiel pour orienter les choix des acteurs économiques, quels qu’ils soient. En matière d’énergie, de raréfaction et d’extinction des énergies fossiles, uranium compris, c’est vital au sens propre du terme.
Sur le plan macroéconomique, il ne nous paraît pas aberrant de commencer à refonder la fiscalité qui alimente nos collectivités locales.
À cet égard, asseoir une partie de ces recettes sur la production et, par ricochet, sur la consommation d’énergie notamment électrique est nettement préférable au système actuel en vigueur, qui est neutre sur le plan écologique, alors même qu’il s’agit d’un impératif catégorique, et injuste socialement, la taxe d’habitation frappant indistinctement riches et pauvres, propriétaires et locataires !
En conclusion, s’agissant de l’IFER, nous disons « oui » au maintien indispensable des recettes pour les collectivités territoriales, mais « non » à toute discrimination négative à l’encontre des énergies renouvelables.
Nous disons également « oui » au principe de « neutralité » entre les différentes sources de production énergétique, sous réserve expresse que le tarif de rachat reste un levier incitatif pour dynamiser effectivement le secteur des énergies renouvelables, très en retard dans notre pays.
Enfin, nous disons « oui » à une hausse de l’IFER, quand bien même elle devrait se traduire par une hausse sensible d’un bien rare que nous devons désormais enfin économiser : l’énergie !
Madame la secrétaire d'État, j’ai concentré mon intervention sur l’IFER applicable aux éoliennes, qui est implicitement au cœur du débat demandé par le groupe UMP.
Je souhaite néanmoins formuler à présent quelques observations concernant les autres énergies alternatives aux énergies fossiles.
À cet égard, la défiscalisation constitue un levier indispensable pour nous permettre de rattraper le retard en la matière et de respecter nos engagements internationaux.
Si la production électrique photovoltaïque devrait pouvoir bénéficier de la TVA à 5, 5 % et, surtout, cesser d’être freinée par les obstacles réglementaires qui tendent à se multiplier, la production d’électricité à partir de la biomasse, plus précisément la production d’électricité verte par méthanisation, compostage et cogénération, devrait être particulièrement encouragée.
Une telle valorisation de nos biodéchets – plus de 25 % de nos déchets ménagers –, sous la réserve expresse qu’ils soient collectés sélectivement, permet d’obtenir un double dividende.
Le premier est la production d’électricité particulièrement « verte », dont le bilan en termes d’émissions de gaz à effet de serre est remarquable, meilleur que celui de la filière électronucléaire. En effet, on omet toujours à cet égard de prendre en compte le bilan carbone global du nucléaire, de l’exploitation dans les mines d’uranium en Namibie à celui de la gestion, non maîtrisée, des déchets nucléaires.
Le deuxième dividende est le compost de qualité – c’est l’ingénieur agronome qui s’exprime ici –, parfaitement valorisable en agriculture si la production par méthanisation-compostage est réalisée sur des biodéchets faisant l’objet d’une collecte sélective : cela n’a rien à voir, évidemment, avec le compost issu des usines de tri mécano-biologique, que les agriculteurs boudent à juste titre.