Intervention de Jean-Louis Tourenne

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 décembre 2017 à 9h35
Projet de loi ratifiant diverses ordonnances sur la loi d'habilitation à prendre les mesures pour le renforcement du dialogue social — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Louis TourenneJean-Louis Tourenne :

Je félicite le rapporteur pour ses précisions bienvenues sur les ordonnances, que vous approuvez avec un bel enthousiasme, ce qui montre que nous sommes en complet désaccord sur l'ensemble de ces points.

Sur la méthode, nous ne sommes pas opposés au recours aux ordonnances, utilisées par tous les gouvernements, mais aux conditions dans lesquelles leur préparation s'est déroulée et le débat est intervenu, nourri d'informations distillées au compte-goutte. On nous parle d'une sixième ordonnance qui comprendra des éléments bien plus importants que de simples ajustements techniques et dont nous ne partageons pas la philosophie.

Le rapporteur appelle de ses voeux une stabilité législative mais approuve ce nouveau projet de loi, alors que nous ne mesurons pas encore les effets de la loi El Khomri. Il souhaite la stabilité quand cela l'arrange, et veut des modifications lorsqu'il souhaite aller plus loin dans certaines logiques...

Nous aurons un large débat en séance publique sur le contenu des ordonnances.

Toutes les dispositions de ces ordonnances entraînent une régression des droits des salariés et accentuent leur subordination à l'employeur. Le Gouvernement avait deux objectifs : renforcer la compétitivité et sécuriser l'emploi. Seul le premier volet est rempli.

On se réfère en permanence au modèle allemand. Observez plus précisément ce pays : le taux de pauvreté atteint 17 %, les travailleurs pauvres et les bas salaires sont nombreux. Vraisemblablement, ce ne sont pas les réformes de ce type qui ont conduit à développer économiquement l'Allemagne.

Les licenciements sont facilités par des ordonnances. Dès qu'un accord collectif ne convient pas aux salariés et qu'ils le contestent, ils peuvent être licenciés, et la cause est obligatoirement réelle et sérieuse...

Selon vous, le plafonnement des indemnités prud'homales est une garantie pour les entreprises dans l'avenir mais quid du salarié ? C'est une entorse profonde aux fondements mêmes de notre État de droit. Selon le code civil, tout préjudice doit être réparé intégralement. Or selon ces ordonnances, un préjudice estimé à 10 000 euros pourrait n'être réparé qu'à hauteur du plafond, par exemple de 1 000 euros.

L'accord collectif permet de suspendre toutes les primes ou de modifier les horaires de travail, comme en témoigne les récentes grèves des routiers. L'accord de compétitivité est un concept vague : la moindre volonté du patron peut ainsi rentrer dans son champ, et on pourrait même réduire les salaires sans contrepartie. Le travail de nuit relèverait de l'accord d'entreprise. Le contrat de chantier, c'est la généralisation d'un contrat précaire, sans prime de précarité ni licenciement économique. Ainsi, dès que PSA voudra construire une voiture dans mon département, il recourra probablement au CDI de chantier qui permet d'arrêter le contrat rapidement. Les délais de recours sont drastiquement réduits, empêchant le travailleur de contester directement un accord collectif plus de deux mois après sa notification.

Vous balayez d'un revers de main les dispositions relatives au CHSCT. La ministre avait promis qu'une commission traiterait des questions d'hygiène, de santé et des conditions de travail et bénéficierait de la personnalité morale pour ester en justice. C'est faux : seules les entreprises de plus de 300 salariés seront obligées d'instaurer cette commission, qui n'aura pas de personnalité morale. Il ne sera plus possible d'isoler le nécessaire examen des conditions de travail pour éventuellement les contester devant la justice. Tout cela se mêlera dans un magma économique, et le pragmatisme l'emportera.

Je ne vois pas comment on peut considérer que le C2P est une avancée. On en a retiré quatre facteurs de risques professionnels, notamment l'exposition aux matières dangereuses. Certes, il est toujours possible de partir en retraite anticipée à ce titre, mais certaines maladies professionnelles, comme celles dues à l'amiante, ne se déclarent que dix ou quinze ans après le départ en retraite. Ces salariés n'auront droit à aucune indemnisation. Le comble, c'est que la priorité devait être donnée à la prévention. Or ce dispositif est mis à la charge de la branche AT-MP de l'assurance maladie, source d'économies sonnantes et trébuchantes pour l'État. Ce n'est pas qu'un symbole fort. L'excédent de la branche AT-MP est conservé et intégré dans le budget de la sécurité sociale car certains AT-MP, qui auraient dû être déclarés maladies professionnelles, sont à la charge indue de la sécurité sociale. On fait payer à la branche AT-MP ce qu'elle ne devrait pas payer.

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