Je vais vous présenter rapidement mon parcours, avant de vous exposer plus longuement mes intentions pour le CNRS.
J'ai tout d'abord eu pendant une vingtaine d'années une carrière classique d'enseignant-chercheur. Je suis aujourd'hui professeur des universités à l'ENS Paris - Saclay.
En 2002, ma carrière a évolué vers des activités de définition et de mise en oeuvre de politiques scientifiques. J'ai rejoint la direction de la recherche du ministère de la recherche, en tant que directeur-adjoint en charge du secteur Maths-STIC (Sciences et technologies de l'information et de la communication). En 2004, j'ai intégré le CNRS comme directeur du département STIC puis directeur inter-régional pour le Sud-Ouest.
En 2006, je suis devenu directeur du centre de recherche de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) de Paris, avant de devenir directeur général adjoint de l'INRIA en 2010, puis président-directeur général (PDG) en octobre 2014. En tant que PDG, je mets en oeuvre une stratégie se résumant dans la devise « excellence scientifique au service du transfert technologique et de la société ». Cette excellence scientifique est la base de tout. Elle se traduit notamment par une forte attractivité à l'international : plus de la moitié des chercheurs recrutés chaque année sont étrangers et près de 100 nationalités sont représentées dans nos équipes-projets. Elle se traduit aussi dans nos résultats exceptionnels à l'European Research Council (ERC).
Nous nous sommes appuyés sur cette excellence scientifique pour développer de nouveaux partenariats stratégiques avec de grands groupes, notamment Facebook, Fujitsu, Samsung, ou encore Orange et Safran. Nous avons doublé le nombre de startups créées chaque année, issues des équipes projets INRIA. Nous avons également beaucoup investi dans des actions vers la société et dans nos missions de conseils et d'expertise. Je pense en particulier à l'opération Software Héritage, à la bibliothèque d'Alexandrie du logiciel qui a déjà récupéré plus de trois milliards de fichiers logiciels, ou encore à la plateforme TransAlgo sur la transparence des algorithmes. J'ai aussi à coeur de consacrer du temps et de l'énergie à la vie interne de l'INRIA.
Ce parcours m'a donné une bonne connaissance des milieux académique, industriel, institutionnel et international dans lesquels le CNRS évolue, ainsi qu'une expérience très enrichissante de la gestion administrative et scientifique d'un grand organisme de recherche.
J'en arrive à mes propositions pour le CNRS.
Le CNRS évolue dans le paysage complexe de l'enseignement supérieur et de la recherche français, l'expression « mikado institutionnel » la résumant assez bien. Nous n'avons pas d'autre choix que de faire avec, même si des simplifications sont souhaitables et possibles. L'enjeu se situe à un autre niveau. La question est de savoir quel rang la France veut occuper sur la scène internationale, à une époque où la science doit être ou devrait être le moteur d'une société de progrès.
Notre très forte tradition scientifique fait que notre pays a tous les atouts pour occuper une position clé. Le rôle du CNRS est à cet égard essentiel. Sa vision globale et son spectre disciplinaire en font un acteur unique. Le CNRS est le vaisseau amiral de la recherche française. Il doit conforter cette place en développant des partenariats encore plus forts avec l'ensemble des acteurs, en veillant à chaque fois à sa valeur ajoutée.
Ma candidature s'appuie sur ces convictions fortes. Elle s'inscrit dans la continuité du travail réalisé par Alain Fuchs et ses équipes pendant huit ans. Mais cette volonté de continuité s'accompagne d'une volonté tout aussi forte de conduire les évolutions nécessaires pour prendre en compte les nouveaux contextes, nationaux, européens et internationaux, dans lesquels le CNRS s'inscrit aujourd'hui, et les nouvelles attentes dont il est l'objet.
Le CNRS doit agir en organisme national à travers une politique globale et pas comme une fédération d'instituts plus ou moins autonomes travaillant en silos. Pour autant, il doit aussi tenir compte des spécificités des grands champs disciplinaires. Cette politique globale ne se déclinera pas nécessairement de manière uniforme selon les instituts.
Dans ce cadre général, je propose que le CNRS mette en oeuvre six grandes priorités. Elles sont décrites en détail dans la lettre d'intentions que j'ai rédigée pour ma candidature.
La première priorité est de soutenir dans tous les domaines une recherche fondamentale au meilleur niveau mondial. Comme leur nom l'indique, les recherches fondamentales forment le socle sur lequel reposent les avancées scientifiques bien sûr, mais également la capacité à conduire une politique de transfert et de relations industrielles, ou encore à éclairer la société et les décideurs. Ainsi, le CNRS doit mener des recherches fondamentales dans tous les domaines qu'il a l'ambition de couvrir.
Ces recherches fondamentales doivent être à risque et à fort impact potentiel. La bonne science doit en effet toujours se préoccuper de son impact, qu'il soit social, industriel ou économique. Cet impact n'est pour autant pas toujours, et même rarement, immédiat, la science s'inscrivant le plus souvent dans le temps long.
Le CNRS doit être sélectif et ambitieux dans le choix de ses sujets de recherche, en veillant à chaque fois à se positionner au meilleur niveau international. Il convient en particulier d'être vigilant sur le renouvellement de ses sujets ce qui, dans une période de stabilité générale ou a fortiori de réduction des effectifs, demande une attention particulière.
Deuxième priorité : il convient de promouvoir la pluridisciplinarité, en particulier autour des grands problèmes de société. Le CNRS est le seul organisme de recherche qui abrite en son sein des équipes de tous les grands champs disciplinaires. Il devrait donc être le champion de l'interdisciplinarité et de la pluridisciplinarité. Ce n'est pas vraiment le cas aujourd'hui, même si la mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires, créée en 2010 par Alain Fuchs, a permis de très nettes avancées.
Le développement de la pluridisciplinarité passera aussi par la définition d'actions communes avec les autres organismes de recherche, et impliquant universités et écoles. Et je crois aussi, et même davantage, à des équipes pluridisciplinaires regroupant pour une durée déterminée des chercheurs d'unité mixte de recherche (UMR) relevant d'instituts différents, sans les couper de leurs racines disciplinaires.
Troisième priorité : il faut travailler en lien avec les acteurs industriels et économiques sur les innovations de rupture. Le temps, pas si lointain, où l'on opposait recherche fondamentale et transfert est fort heureusement révolu. La recherche fondamentale donne régulièrement lieu à des innovations de rupture. En retour, les problématiques industrielles sont souvent l'occasion d'identifier de nouveaux verrous scientifiques. Il me semble essentiel de réaffirmer l'importance de cette mission de transfert pour le CNRS. Elle est indispensable pour notre pays si nous voulons que nos inventions se transforment en innovations et soient ainsi à l'origine de la création d'emplois et de valeurs. Le CNRS doit travailler encore plus et mieux avec les acteurs industriels, startups, PME, ETI et grands groupes en ouvrant davantage ses laboratoires.
Quatrième priorité : jouer un rôle moteur dans la présence de la recherche française au niveau international, notamment dans les grands programmes et infrastructures. La France doit avoir à coeur d'être plus influente sur la scène scientifique internationale. Par exemple, notre pays est notoirement moins présent que d'autres dans la préparation en amont des programmes-cadres de la Commission européenne. Dans beaucoup de domaines, le CNRS est l'établissement naturel pour coordonner, en appui de l'action politique de notre ministère de tutelle, le nécessaire travail de lobbying - n'ayons pas peur du mot - pour que la voix de la France soit mieux prise en compte au moment de concevoir les futurs programmes.
Je considère en particulier comme essentiel que le CNRS, et la France, soutiennent fortement l'ERC. Il s'agit d'un programme d'une grande rigueur scientifique donnant aux lauréats une importante liberté pour conduire des recherches très originales.
Enfin, le CNRS a une très forte politique de coopération avec les meilleures institutions à travers le monde. Il faut évidemment poursuivre cette politique en proposant aux universités et écoles volontaires d'y être associées.
Cinquième priorité : refonder les partenariats avec des universités autonomes. La France a besoin d'universités et d'organismes de recherche forts, travaillant ensemble dans un esprit de complémentarité, et ne se perdant pas dans des querelles franco-françaises autant dérisoires au regard des enjeux réels pour notre pays que coûteuses en temps et en énergie.
Le CNRS doit pouvoir travailler sur tous les sites, en construisant à chaque fois des partenariats adaptés. S'il peut y avoir de l'excellence partout, il faut avoir l'honnêteté de dire que tout n'est pas excellent partout. Le CNRS doit faire des choix, en les explicitant clairement. Le CNRS doit apporter sur chaque site où il est présent sa vision nationale, internationale et pluridisciplinaire.
De manière générale, ces partenariats refondés avec l'université doivent se construire autour de projets concrets ; c'est ce qui fait leur intérêt et leur qualité.
J'en arrive à ma dernière priorité. Le CNRS doit apporter une culture et une expertise scientifique aux décideurs et à la société. Si vous me permettez un petit aparté, j'ai été une nouvelle fois étonné de constater qu'aucune commission permanente de l'Assemblée nationale ou du Sénat n'a inclus les mots science, recherche ou innovation dans son intitulé. Au XXIe siècle, c'est pour le moins surprenant.
Le CNRS doit apporter aux décideurs et aussi au grand public son expertise et son savoir-faire. Il leur permettra ainsi de mieux appréhender des questions aussi diverses que le réchauffement climatique, le développement durable, les énergies renouvelables, la mobilité, les smart territoires - qu'il s'agisse des villes, des campagnes ou des usines -, l'intelligence artificielle, l'alimentation ou encore la médecine personnalisée, les vaccins, le travail, les mutations, les radicalisations..., autant de sujets variés qui nécessitent tous des approches pluridisciplinaires.
Le CNRS pourra ainsi jouer un rôle de conseil et d'aide à la définition des politiques de recherche, à son ministère de tutelle bien sûr, mais également aux autres ministères et aux principales collectivités territoriales.
Une bonne intégration de la science dans la société passe aussi par la capacité à traiter les questions d'éthique et d'intégrité scientifique. Le CNRS a été précurseur en créant dès 1994 son comité d'éthique (COMETS).
Ces six grandes priorités ayant été définies, je voudrais insister sur deux sujets transverses et reliés, essentiels à leur mise en oeuvre : les ressources humaines et financières et les partenariats.
Il n'est jamais inutile de rappeler que les personnels scientifiques, mais aussi les personnels d'appui à la recherche, sont la première force d'un organisme de recherche.
À cet égard, le CNRS doit résoudre une équation complexe : recruter chaque année de nouveaux chercheuses et chercheurs permanents sur l'ensemble des champs qu'il a l'ambition de couvrir, en veillant à éviter les désastreux effets montagnes russes, tout en stabilisant les personnels permanents d'appui à la recherche. Je tiens à souligner que ces derniers sont indispensables pour accompagner les scientifiques, même si l'équilibre entre scientifiques, personnels de soutien et personnels de support peut varier d'un champ disciplinaire à un autre.
Il faut aussi que le CNRS se donne les moyens de recruter régulièrement des personnels scientifiques non permanents, doctorants, post-doctorants, ingénieurs, afin d'initier et de soutenir de nouvelles directions de recherche.
Évidemment, la solution de cette équation complexe dépend du budget dont bénéficiera le CNRS, mais aussi d'un certain nombre d'actions que j'initierai ou poursuivrai dans une perspective pluriannuelle.
Il conviendra donc d'affiner les prévisions de départ à la retraite, par types d'emploi ; d'identifier avec chaque institut les principaux besoins en personnels, permanents ou non, scientifiques ou d'appui ; de travailler sur les mobilités avec les universités et écoles, en utilisant les délégations d'enseignants-chercheurs, et aussi des systèmes de doubles positions ; de favoriser les échanges avec le monde économique et associatif, là encore en favorisant les doubles positions, si fréquentes dans plusieurs pays, au moins dans certains domaines, et encore si rares en France, et en développant des systèmes de chaires.
De manière générale, le CNRS - et la France - doivent se donner les moyens de recruter et de garder les tout meilleurs dans une compétition de plus en plus féroce au niveau international.
Concernant les ressources financières, il est indispensable de retrouver des marges de manoeuvre. En interne, les pistes de réflexion sont limitées mais elles existent. Je sais que c'est un sujet politiquement délicat mais je ne crois pas que la force du CNRS se mesure à son nombre d'employés. En revanche, il doit donner à l'ensemble de ses chercheuses et chercheurs les moyens de travailler dans des conditions correctes.
Les avis sur le fonds de roulement sont assez divers. Je demanderai un audit. Il ne semble pas impossible de dégager pendant quelques années quelques dizaines de millions d'euros, en attendant des départs à la retraite plus importants.
En externe, les possibilités sont sans doute un peu plus nombreuses et s'inscrivent naturellement dans des logiques de partenariat. Le CNRS doit mieux travailler en amont avec les agences de financement européennes - j'en ai déjà parlé - et françaises, en particulier l'Agence nationale de la recherche (ANR), pour faire en sorte qu'il y ait une cohérence entre les priorités de ces agences et celles du CNRS.
Je ne reviens pas sur les partenariats industriels qui peuvent être augmentés, en tenant compte des spécificités des grands champs disciplinaires.
Des partenariats doivent aussi être recherchés avec d'autres ministères que le ministère de tutelle. Ceux en charge de la santé, de l'environnement, de la justice, de la défense, de l'agriculture, du sport - en fait tous ou presque - ont aujourd'hui des problématiques pour lesquelles ils ont besoin de la recherche publique. Ces problématiques sont le plus souvent pluridisciplinaires et nationales. Le CNRS est donc un interlocuteur naturel pour construire des partenariats fructueux, servant l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Enfin, le CNRS doit redéfinir ses relations de travail avec les collectivités territoriales, en particulier les régions. Il doit, là encore, offrir à ces collectivités une vision nationale et internationale.
J'en viens à ma conclusion : je suis convaincu que notre pays se doit d'avoir un CNRS fort. Je l'ai déjà dit, mais j'insiste : il n'y aura pas d'universités fortes sans un CNRS fort, et réciproquement.
Je propose que le CNRS mette en oeuvre les six grandes priorités que je viens de présenter rapidement. Un CNRS fort sera aussi un CNRS qui augmente son agilité et sa réactivité. Et, aussi, peut-être surtout, un CNRS qui sache faire des choix en se posant pour chacune de ses actions la question de sa valeur ajoutée.
Guider le CNRS dans ces directions nécessitera un soutien fort de l'État. Cette ambition et ces grandes orientations devront également être partagées avec l'ensemble des personnels, et en particulier par les membres du comité de direction.
Voilà un résumé rapide du CNRS dont je pense que la France a besoin. Avec ses partenaires, ce CNRS mettra au coeur de son action l'avancée des connaissances pour le rayonnement de la France, pour une société de progrès et pour des innovations de rupture. Le CNRS sera ainsi utile à la France. Et la France pourra être fière de son CNRS.
Les évolutions nécessaires demanderont souvent du temps, de l'écoute, de la pédagogie, de la force de conviction et un travail collectif important. J'en suis pleinement conscient.