Je vais commencer par répondre aux questions sur les personnels. On ne peut espérer recruter des chercheurs étrangers si on n'accepte pas le départ de certains des nôtres. On peut regretter le départ de Jean Tirole, mais cela fait partie du mercato international.
À l'INRIA, les deux tiers des personnels scientifiques sont recrutés en CDD. Pour autant, je refuse le terme de précarité, car les chercheurs qui sortent de chez nous reçoivent entre dix et vingt offres d'emplois dans des laboratoires privés. L'avenir des chercheurs que nous recrutons n'est pas systématiquement dans la recherche publique. Plus il y aura de docteurs qui intégreront l'entreprise, mieux ce sera pour notre pays. À l'inverse, il ne faut pas recruter en CDD des chercheurs pour lesquels il n'y a pas de perspectives d'avenir.
Je ne suis pas sûr que le CNRS recrute majoritairement des femmes. Cela dit, j'ai créé à l'INRIA une mission « parité-égalité » pour améliorer la situation au quotidien. Ainsi, dans tout jury de recrutement, nous nommons un référent parité qui vérifie qu'à chaque étape de sélection, ce principe est respecté. Les chercheuses sont souvent les plus virulentes pour demander le recrutement des meilleurs, sans distinction de sexe. Et elles ont raison. Nous faisons également attention au vocabulaire employé pour ne pas privilégier des termes qui pourraient être perçus comme machistes. Nous essayons aussi d'intéresser plus de jeunes - et donc de jeunes femmes - aux métiers de la science. Enfin, nous devons briser les plafonds de verre, s'il en demeure. Mais attention aux effets pervers : à l'INRIA, avec un peu moins de 20 % de chercheuses, si vous instaurez une stricte parité dans les commissions, cela signifie qu'elles auront moins de temps pour mener leurs travaux que les hommes. Il faut donc trouver le bon équilibre pour assurer aux femmes des carrières normales.
Je crains de ne pas être d'accord avec vous sur la question de l'anglais. Les chercheurs du monde entier doivent pouvoir utiliser une même langue, d'où le recours à ce qui n'est d'ailleurs pas vraiment de l'anglais. Je crois que le combat est perdu. Dans certains petits pays, les chercheurs parlent entre eux en anglais. En France, nous en sommes encore très loin. Mais le recours à une seule langue est le prix à payer pour avoir une science universelle.
J'ai effectivement parlé de mikado institutionnel. En Allemagne, la situation n'est pas plus simple. Mais lorsqu'on parle du plateau de Saclay à Stanford, la subtilité de la situation française leur échappe. Nous avons construit des systèmes complexes mais il est de la responsabilité des patrons de ces différentes structures de travailler ensemble. Le ministère doit également faire attention à ne pas développer des indicateurs de performance qui mettent les organismes en concurrence, tels par exemple que prendre uniquement comme indicateur de performance les ressources gérées par un institut de recherche. En cas de collaboration entre diverses structures, la perspective d'un gros contrat attise la concurrence entre elles pour savoir qui le gèrera puisque celle qui en héritera verra son indicateur de performance s'améliorer. Évitons ces concurrences inutiles.
L'Agence de mutualisation des universités et établissements d'enseignement supérieur ou de recherche et de support à l'enseignement supérieur ou à la recherche (Amue) devrait travailler à simplifier et harmoniser les services des relations humaines dans chaque structure. À une époque, des délégations de gestion avaient été envisagées au niveau des UMR mais peut-être faudrait-il plutôt envisager de tels rapprochements au niveau des équipes. Lorsque nous signons des contrats avec des partenaires industriels, nous n'avons aucune gestion intelligente des risques. Il ne sert à rien de se disputer sur les questions de propriété intellectuelle si, en définitive, le gain est plus que limité. Le bon indicateur de performance n'est pas le montant des recettes du CNRS, mais la richesse créée pour notre pays.
Lorsque je travaillais au CNRS il y a treize ans, j'ai été directeur inter-régional pour le Sud-Ouest. Cette fonction n'existe plus, mais elle avait été créée par le directeur général de l'époque, Bernard Larrouturou dans le but d'accroître la présence du CNRS dans les régions. Aujourd'hui, ces dernières disposent, pour la plupart, de plusieurs pôles universitaires et le CNRS peut leur apporter beaucoup. Nous devrons travailler sur la représentativité du CNRS en région, grâce à la présence de directeurs scientifiques référents qui devront construire des relations partenariales.
Parcoursup est un bon exemple de la nécessaire transparence des algorithmes et, en même temps, de la relative inculture générale. L'algorithme APB n'était ni juste, ni injuste : il ne faisait que traduire des choix politiques. Les informaticiens écrivent l'algorithme qui est décidé par les politiques. Cette question rejoint celle de l'intelligence artificielle : fondamentalement, un algorithme fait ce qu'on lui dit de faire. Il est important que celui utilisé pour Parcoursup soit transparent, une fois les critères débattus puis définis. Cela dit, ce n'est pas parce que le code source aura été révélé que l'on y verra plus clair en raison de son extrême technicité.
Si je suis nommé à la tête du CNRS, mon but ne sera pas de promouvoir mes propres disciplines, j'espère que mon honnêteté ne me poussera pas à les pénaliser. La numérisation du monde touche aussi la sphère scientifique. Aujourd'hui, toutes les grandes disciplines scientifiques, y compris les sciences humaines et sociales, sont impactées par le numérique. Nous devons partager les enjeux qui relèvent de choix de société. Ainsi, il est possible aujourd'hui de poser des implants cochléaires qui permettent à des personnes sourdes de naissance d'entendre. Demain, il en ira de même pour la vue. Nous ne pouvons qu'approuver cette évolution qui permet de réparer l'homme, mais la marge est étroite avec l'homme augmenté. Ces questions d'éthique ne peuvent être résolues par les seuls scientifiques et les réponses ne seront pas les mêmes en Asie, aux États-Unis et en Europe. Toutes ces questions devront être débattues au niveau de l'État et de la société. Il faudra aussi que les adolescents, citoyens de demain, disposent d'une culture minimum au numérique. Nous devons leur donner les clés pour comprendre l'évolution du monde actuel.
Enfin, pour répondre à M. Antiste, nous devons faire rêver les jeunes et nous adapter à leur mode de communication. Ainsi, la thèse en 180 secondes permet aux doctorants de présenter leur travail en trois minutes : les jeunes apprécient beaucoup ce concours. Il faut aussi aller dans les lycées et présenter les carrières en disant que, certes, elles ne sont pas très bien payées mais qu'elles sont intellectuellement extraordinaires.