Intervention de Frédérique Vidal

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 17 janvier 2018 à 15h35
Projet de loi relatif à l'orientation et à la réussite des étudiants — Audition de Mme Frédérique Vidal ministre de l'enseignement supérieur de la recherche et de l'innovation

Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation :

Lors de mon audition en octobre dernier devant votre commission et à l'occasion de l'examen des crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur », je vous ai présenté les grandes lignes de notre plan Étudiants. Le présent projet de loi est la traduction législative de ce plan, sa colonne vertébrale. Je vous remercie de me permettre, dans le cadre de cette audition, de vous exposer les intentions du Gouvernement et le contexte, très spécifique, dans lequel ce texte s'inscrit.

Vous savez tous à quelles difficultés nous avons été confrontés lors de la campagne 2017 d'Admission post-bac (APB). Le système en vigueur, très injuste, a été déclaré illégal, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ayant mis en demeure le Gouvernement, en septembre dernier, de renoncer à toute forme de traitement automatisé pour décider de l'affectation des étudiants et le Conseil d'État ayant annulé, en décembre dernier, la circulaire permettant le recours au tirage au sort.

Nous faisons donc face à une situation juridique unique : le droit en vigueur n'est plus applicable en l'état et nous devons définir un nouveau cadre légal de toute urgence. Toutefois, cela ne doit pas nous priver des apports d'une discussion au Sénat et il importe que nous travaillions ensemble.

Des inquiétudes ont été exprimées du fait de l'ouverture de Parcoursup avant la fin de l'examen parlementaire de ce projet de loi. Cette plateforme est un simple outil et l'étape dont le cadre sera défini par la loi - celle des affectations et des inscriptions - ne s'ouvrira que le 31 mars. C'est à partir de cette date qu'il nous faudra un véhicule législatif.

Bien évidemment, le Gouvernement est attaché au respect du débat parlementaire. Nous sommes en relation avec le rapporteur depuis décembre, afin que le Sénat puisse jouer son rôle dans les meilleures conditions possible. Mais il nous fallait aussi avancer et faire en sorte que toutes les affectations dans les formations sélectives, qui ne sont pas remises en cause, puissent se dérouler selon un calendrier classique.

Au-delà de la question de la procédure d'inscription, il importe de connaître et reconnaître la réalité de l'enseignement supérieur au sein de l'université : celle d'un échec massif en premier cycle. Le projet de loi vise à répondre à cette problématique. Massifié, l'enseignement supérieur ne s'est pas pour autant démocratisé, comme en attestent le taux d'échec en première année et le faible taux - 30 % - d'étudiants obtenant une licence en trois ans.

Que voulons-nous pour notre jeunesse ? Le diplôme de l'enseignement supérieur constitue la meilleure protection contre le chômage. La hausse du niveau global de formation dans la population est un atout pour notre compétitivité, un gage de prospérité à long terme et un outil pour construire une démocratie plus saine.

Qu'en est-il de la sélection ? Le terme ne nous fait pas peur, mais le sujet n'est pas là. Notre système d'enseignement supérieur a déjà un caractère sélectif : au taux d'échec précédemment mentionné en licence, s'ajoute le fait que près de 54 % des places dans l'enseignement supérieur se trouvent déjà dans des filières sélectives.

Notre ambition est donc de permettre à un maximum de jeunes d'obtenir un diplôme - dans le cadre d'un projet adapté -, de garantir l'équité sociale, mais surtout d'assurer l'insertion professionnelle des étudiants.

Le dispositif proposé est le fruit d'une vaste concertation, ayant réuni, pendant trois mois, acteurs de la communauté de l'enseignement supérieur, parents, étudiants, syndicats, etc. Plus de 55 réunions bilatérales et 11 groupes de travail ont été organisés, représentant plusieurs centaines d'heures de discussion. Nous nous sommes ainsi assurés que les mesures proposées seraient applicables.

Je me suis également beaucoup inspirée des différents travaux et rapports traitant de la question. Je pense notamment aux travaux conduits au Sénat durant les trois dernières années : M. le rapporteur évoquait déjà la notion de prérequis dans un rapport budgétaire ; M. Guy-Dominique Kennel a beaucoup travaillé sur la question de l'orientation ; Mme Catherine Procaccia a fait adopter au Sénat, en 2014, une proposition de loi tendant à réformer le système de sécurité sociale des étudiants ; M. Jean-Léonce Dupont avait abordé ces différents sujets au sein de votre commission.

Je souhaite donc que nous travaillions de manière convergente et que nos échanges permettent de rapprocher l'ensemble des points de vue.

À nouveau, et même si j'ai conscience que nos discussions ne se limiteront pas au contenu du projet de loi, ce texte ne constitue que la partie législative nécessaire à la mise en oeuvre du plan Étudiants. Les problématiques liées à la plateforme n'entrent pas dans ce cadre.

Le projet de loi, tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, comporte trois séries de dispositions.

Les articles 1er à 5 concernent la rénovation de l'accès au premier cycle et la refonte de la licence.

L'article 1er tend à réécrire l'article L. 612-3 du code de l'éducation.

Il réaffirme que le baccalauréat est la clé d'accès à l'enseignement supérieur et qu'il n'y a pas de concours d'entrée à l'université. L'objectif est bien, non pas de trier les bacheliers selon leurs notes, mais de les accueillir tels qu'ils sont et de les accompagner vers la réussite.

Une procédure nationale de préinscription est instaurée, avec un lien beaucoup plus étroit entre les établissements du secondaire et du supérieur. À cette fin, nous avons prévu l'intervention d'un deuxième professeur principal en classe de terminale, ainsi qu'une deuxième semaine d'orientation.

Le principal dispositif permettant d'informer et d'orienter les étudiants est celui des « attendus ». Ces derniers s'inscrivent dans un cadrage national, mais se déclinent, si nécessaire, au niveau local. Dans les « caractéristiques » des formations, on trouve notamment des précisions quant aux taux de réussite et d'insertion professionnelle. Afin que ces caractéristiques puissent évoluer au fil du temps, nous avons choisi de conserver ce terme générique.

Les caractéristiques, comme les attendus, sont des outils d'information, non de sélection. Il s'agit de permettre aux étudiants de faire un choix parfaitement éclairé.

Les attendus nationaux, publiés dès décembre dernier, sont désormais accessibles sur Parcoursup. La plateforme, qui présente actuellement 13 000 formations, devra référencer l'ensemble des formations à l'horizon de 2020.

Le périmètre des formations comprend l'enseignement privé afin que les établissements de ce secteur puissent être associés à toutes les étapes de la procédure nationale.

Chaque jeune pourra inscrire jusqu'à 10 voeux, non hiérarchisés. Cela obligera les lycéens à s'interroger sur leur projet de formation et permettra de limiter les choix par défaut. L'étape des voeux sera clôturée le 31 mars, comme indiqué précédemment, date à laquelle, je l'espère, la loi aura été discutée et adoptée.

L'affectation se fera selon la cohérence entre le profil du bachelier et la formation demandée.

L'inscription pourra être subordonnée au suivi d'un accompagnement pédagogique adapté et spécialisé - le fameux « oui, si » -, qui doit être considéré comme une chance et non comme une punition. Ce « oui, si » peut être introduit du fait de l'absence de hiérarchie dans les voeux. Ainsi, l'étudiant disposera de l'intégralité de la réponse avant de décider.

Si les capacités d'accueil de l'établissement ne permettent pas d'accepter toutes les candidatures, l'inscription se fera sur la base de la meilleure adéquation entre le profil du candidat et la formation demandée. Cette partie du projet de loi constitue une protection contre toute affectation automatique et aléatoire.

Les filières déjà sélectives le demeurent. Par ailleurs, nous rapprochons les sections de techniciens supérieurs (STS) et les instituts universitaires de technologie (IUT) de leur vocation d'origine : l'accueil des bacheliers professionnels et technologiques. Nous ne refusons pas à ces derniers l'accès à l'université, mais faisons en sorte qu'ils disposent d'un accès prioritaire aux filières qui leur sont destinées.

Les recteurs seront les garants du bon déroulement de la procédure. Ils fixeront un nombre minimal de places dans les formations non sélectives pour les étudiants boursiers. Les débats à l'Assemblée nationale ont permis d'élargir les quotas d'étudiants boursiers aux classes préparatoires.

Nous avons également prévu un nombre de places limité pour les étudiants souhaitant suivre un cycle dans une autre académie que leur académie d'origine, tout en veillant à éviter une trop grande concentration des meilleurs élèves dans les meilleures universités.

Plusieurs amendements adoptés à l'Assemblée nationale ont permis de régler les situations spécifiques des étudiants ultramarins, des Français de l'étranger, des ressortissants étrangers ainsi que des étudiants ne disposant pas de la formation souhaitée dans leur académie ou à proximité. Tous seront réputés être issus de l'académie au sein de laquelle la formation demandée est située.

En raison du baby-boom des années 2000, nous allons devoir accueillir 28 000 étudiants supplémentaires l'an prochain. Pour assurer cet accueil, nous ajoutons 22 000 places nouvelles aux 130 000 restées vacantes à l'automne 2017, soit un total de plus de 150 000 places.

Dans un dialogue respectueux de l'autonomie des établissements, les recteurs veilleront à garantir l'affectation des étudiants en cas de difficulté en fin de procédure. Dans ce but, nous créons une commission d'accès à l'enseignement supérieur, chargée de proposer une solution à tout candidat n'ayant reçu aucune réponse positive, ce dernier ayant la possibilité de l'accepter ou de la refuser. Évidemment, des solutions de bon sens seront recherchées, en lien avec tous les établissements susceptibles de pouvoir accueillir l'étudiant.

L'article 2 vise à étendre le dispositif « meilleurs bacheliers » à toutes les filières.

L'article 2 ter tend à inscrire, dans le code de l'éducation, le principe d'une licence modulaire et capitalisable. Nous disposerons ainsi, enfin, d'une licence conforme au modèle européen : au lieu d'un cursus en trois ans, 180 crédits relevant du Système européen de transfert et d'accumulation de crédits - ou crédits ECTS - et associés à des unités d'enseignement. Ce changement profond de philosophie permettra de mieux prendre en compte la diversité des publics et de mettre en oeuvre des parcours plus souples et personnalisés. La modularité sera mise en place progressivement.

Dès la rentrée prochaine, les étudiants en licence pourront aussi expérimenter le droit de césure, permettant de suspendre temporairement sa scolarité, dans la limite de deux semestres, pour mener à bien un projet professionnel, civique, personnel, artistique, etc. Déjà largement pratiquée dans de nombreux établissements, cette année de césure ne reposait sur aucune base légale. Les changements introduits visent donc à sécuriser le dispositif.

Il nous semble, par ailleurs, qu'on ne peut aborder la question de la réussite étudiante sans traiter celle de la qualité de la vie étudiante, ce que nous faisons aux articles 3 et 4, notamment.

Nous supprimons la délégation de gestion au titre du régime de sécurité sociale étudiant et prévoyons une bascule de l'ensemble des étudiants vers le régime général à la rentrée de 2019, reprenant ainsi une position constante du Sénat depuis 2012. La cotisation de 217 euros sera supprimée dès la rentrée de 2018 et les professionnels des mutuelles étudiantes pourront être transférés vers les caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

Nous instituons une contribution destinée à favoriser l'accompagnement social, sanitaire, culturel et sportif des étudiants. Il s'agit, non pas d'un droit d'inscription supplémentaire, mais d'une contribution au service de la vie étudiante demandée à tout étudiant, collectée via le centre régional des oeuvres universitaires et scolaires (CROUS) et reversée aux établissements porteurs des projets. Parmi les actions financées, celles qui concernent la santé et la prévention chez les étudiants seront mises en avant.

Les députés ont opté pour le principe d'une cotisation unique, dont le montant est inscrit dans la loi, mais l'équilibre financier du dispositif doit encore être précisé.

Enfin, plusieurs demandes de rapport ont été introduites, notamment à l'article 7. Je connais la jurisprudence du Sénat en la matière, mais nous avons une réforme d'ensemble à mener, dépassant largement le cadre législatif. À ce titre, le principe d'un suivi et d'un contrôle via un rapport constitue une proposition équilibrée.

Ce projet de loi est une première étape, avant un long travail d'évaluation, de contrôle de l'action du Gouvernement et de correction. Il est important que nous puissions travailler en ce sens, dans le dialogue et la confiance.

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