Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du 23 janvier 2018 à 21h30
Renforcement du dialogue social — Article 2, amendement 84

Muriel Pénicaud :

Le Gouvernement est défavorable à l’amendement n° 84. L’esprit de la réforme est en effet de donner de la liberté dans les branches, comme dans les entreprises, pour que l’agenda social soit déterminé par les partenaires sociaux. Si on leur dit tout le temps ce qu’ils doivent faire exactement et dans quel ordre, on leur ôte cette liberté – étant entendu qu’ils devront évidemment respecter a minima les règles prévues par la loi.

L’amendement n° 192 vise à procéder à une amélioration matérielle qui me paraît positive ; j’y suis favorable.

Les dispositions de l’amendement n° 24 se rapportent, comme celles de l’amendement n° 84, aux négociations obligatoires de branche. Je le répète, c’est à la demande des partenaires sociaux que nous avons ouvert le champ des négociations possibles dans les branches, avec une liberté assez grande, à condition, bien sûr, qu’il y ait un agenda social négocié – il ne s’agit donc pas d’un blanc-seing : en l’absence d’un tel agenda social négocié, les dispositions supplétives définies par la loi devront être respectées.

Lorsqu’un accord est trouvé par les partenaires sociaux, qui, par définition, connaissent bien la réalité des entreprises et des salariés, il a une valeur en soi ; s’ils ne trouvent pas d’accord, il y a le filet de sécurité de la loi. Tel est notre principe.

Je ne puis donc pas être favorable à l’amendement n° 24 : je pense qu’il faut jouer le jeu de la négociation de branche, avec la liberté d’en définir l’agenda.

S’agissant de l’amendement n° 180, j’y suis évidemment favorable : la disposition qu’il vise à supprimer est déjà prévue par l’article 1er de l’ordonnance du 20 décembre 2017.

Je m’étendrai davantage sur l’amendement n° 63, dont les dispositions soulèvent à bon droit la question de l’égalité professionnelle. Comme vous, madame Cohen, je constate que nous connaissons une situation assez incompréhensible et, par définition, tout à fait inacceptable – je me suis exprimée publiquement sur le sujet.

Tout d’abord, le principe « à travail égal, salaire égal » est consacré dans la Constitution. Ensuite, voilà vingt-cinq ans qu’il y a une loi spécifique sur ce sujet, prévoyant des pénalités en cas de non-respect de la règle d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Pourtant, il y a encore 25 % d’écart, tous postes confondus…

Cette situation s’explique en partie par l’orientation des femmes vers des métiers moins rémunérés et moins valorisés, des stéréotypes culturels sexistes et une gestion des carrières différenciée, non pas à la demande des femmes, mais, de fait, dans les entreprises. Toutes ces raisons, et d’autres encore, demandent un travail de longue haleine.

Toutefois, même à poste similaire, on constate encore 9 % d’écart… Le principe fondamental « à travail égal, salaire égal », qui est au cœur de nos valeurs constitutionnelles et républicaines, n’est donc pas respecté.

C’est pourquoi j’ai souhaité, avec Marlène Schiappa, que ce problème soit le premier auquel nous nous attaquions. Il faut s’attaquer aussi à tous les autres, mais ils exigent un travail de longue haleine. Cette question-là, je pense que nous devons avoir l’ambition collective de la traiter dans les cinq ans.

Si nous avons besoin de cinq ans, c’est d’abord parce que nous devons trouver les bons outils. Nous avons la loi et des sanctions, mais nous voyons bien que cela ne suffit pas, puisque la situation évolue, certes, mais très lentement ; à ce train-là, je ne sais pas quand on sera arrivé…

Si l’on veut vraiment éradiquer ce problème dans les cinq ans, ce qui est notre ambition, il faut trouver non pas cinquante outils, mais ceux qui auront vraiment un effet dans les entreprises – si je puis dire, le bon marteau pour le bon clou. Or cela mérite réflexion, car bon nombre de mesures ont déjà été essayées, dont on ne peut pas dire que le résultat soit satisfaisant.

La question que vous posez, celle de l’information et de la transparence, est une des questions importantes.

Un progrès a été accompli à l’Assemblée nationale avec l’adoption d’un amendement tendant, de manière assez astucieuse, à mettre à la charge de l’employeur, en l’absence de travail sur les indicateurs, le financement d’une expertise sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Il y a là une première étape.

Pour aller plus loin, je pense qu’il faudra en passer aussi par un peu d’information normée. Aujourd’hui, en effet, chaque entreprise déclare les informations comme elle le souhaite, ce qui donne des résultats très hétéroclites et pas forcément toujours exploitables.

Si je pense que votre idée est quelque peu prématurée – je ne dis pas qu’elle n’est pas bonne –, il est sûr que, parmi les divers leviers qu’il faudra actionner, celui de l’information est essentiel : il faut que les partenaires sociaux et les salariés puissent s’en saisir, ce qui est difficilement le cas aujourd’hui, ne serait-ce que parce que seules les sociétés cotées ont un bilan publié – encore sont-ils tous publiés de façon différente, de sorte qu’il est assez difficile de s’y retrouver pour avoir un levier d’action.

J’ai souhaité réunir d’ici à quelques semaines les partenaires sociaux, qui ont tous aussi réfléchi au sujet. Nous consulterons également les entreprises où cela a réussi, afin de comprendre pourquoi. Il s’agit de créer une dynamique forte, qui rendra intolérable la situation actuelle, ce qui demande des mobilisations de différents types : des engagements des partenaires sociaux, des engagements des chefs d’entreprise, éventuellement des aspects législatifs – s’il y en a, nous aurons l’occasion d’en reparler ensemble.

Je n’ai pas d’a priori et je ne cherche pas trente, ni même vingt outils. Nous devons trouver, y compris en considérant ce qui s’est passé dans les autres pays, le moyen d’éradiquer cette injustice profonde pour les femmes, qui entraîne aussi une perte de pouvoir d’achat et une perte pour l’économie.

Inexplicable, la situation actuelle est d’autant plus inacceptable qu’elle est autoreproductrice, puisqu’elle crée de nombreux comportements associés : je pense que certains comportements en entreprise sont encouragés par une situation qui est inégalitaire à la base. Je pense que nous pourrons jouer aussi sur l’évolution des mentalités : quel homme ou quelle femme accepterait aujourd’hui que sa fille soit moins payée que son fils pour le même travail ?

Si je suis un peu longue sur ce sujet, c’est parce que je souhaite vraiment que l’on engage une réflexion avec le Parlement.

Nous devons prendre le temps de discuter avec les partenaires sociaux et d’étudier ce qui marche, y compris à l’étranger, pour identifier non pas une batterie de mesures, mais deux ou trois actions majeures et massives qui nous fassent vraiment changer d’échelle. Si l’on y arrive en cinq ans, ce sera très bien ! En une année, c’est impossible, puisque l’on ne peut pas augmenter de 9 % d’un seul coup les salaires d’un très grand nombre de salariés, mais il faut un engagement qui conduise à ce rattrapage.

De la même façon, s’agissant de la place des femmes dans les conseils d’administration, la loi dite « Zimmermann-Copé » a fixé un plan à cinq ans. Ce plan était connu et inéluctable. Résultat : en cinq ans, il y a eu 40 % de femmes dans les conseils d’administration. Cette méthode était à la fois très volontariste et intelligente, dans la mesure où elle permettait une gradation. Le pluriannuel, avec du volontarisme et de la détermination, est parfois, sur ce sujet, plus efficace que de bonnes paroles répétées chaque année, mais sans amélioration suffisante de la situation.

Madame Cohen, je suis donc défavorable, à cet instant, à votre amendement, non pas tant sur le fond, mais parce que je ne veux pas opter aujourd’hui pour tel ou tel outil. Je veux que nous menions cette réflexion, avant de revenir ensemble sur le sujet. J’espère que, le moment venu, l’ensemble du Parlement soutiendra notre action dans ce domaine.

Enfin, s’agissant de l’amendement n° 173 rectifié, nous avons ouvert la porte pour que le télétravail soit un droit opposable, ce qui constitue une grande nouveauté législative. Par ailleurs, les entreprises vont essayer de signer des accords et il y aura des chartes.

On est au début de ce processus consistant à transformer une partie du télétravail qui n’était pas sécurisé juridiquement en télétravail sécurisé et à ouvrir largement cette forme de travail ailleurs.

Je crois qu’il ne faut pas que l’on commence à ajouter dans la loi tous les cas de télétravail. Le recours au télétravail a de nombreuses raisons. Je pense qu’il faut d’abord faire vivre le dispositif existant et j’émets donc un avis défavorable sur l’amendement : ajouter un thème obligatoire de négociation n’est pas nécessaire dans le cadre d’une dynamique qui est aujourd’hui engagée.

Les obligations doivent être instaurées lorsqu’elles sont nécessaires, mais pas sur tous les sujets. Trop d’obligations tuent, d’une certaine façon, la force des obligations ! Sur ce thème-là, il y a des attentes considérables et une envie de négocier ; il n’y a donc pas besoin d’une obligation de négociation. Je serais étonnée que cela ne se développe pas naturellement.

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