Sur cet article comme sur d’autres, je persiste à considérer que la philosophie même du compte pénibilité va être profondément modifiée.
La logique médicalisée et a posteriori qui sera utilisée pour plusieurs des critères constitue une marche arrière, qui dénote une vision restrictive de la pénibilité. C’est même, pour les hommes et les femmes qui subissent des postures pénibles, manipulent des charges lourdes ou sont exposés à des risques chimiques, le contraire d’une véritable politique de prévention.
On nous dit que c’est l’expertise médicale qui décidera si les salariés doivent rester à leur poste. Pourtant, obtenir la reconnaissance d’un taux d’incapacité de 10 % équivaut, dans bien des cas, à un parcours du combattant.
Quant aux autres salariés, ils partiront en bonne santé à la retraite – du moins le croiront-ils… –, mais ils seront peut-être rattrapés, quelque temps plus tard, par le déclenchement d’une maladie.
Dans ces conditions, il n’y aura ni prévention ni réparation. Voilà ce qui attend un certain nombre de salariés, dont la plupart ont déjà une espérance de vie plus courte.
Bref, par ces dispositions, vous allez à l’encontre du principe de justice et de lutte contre les inégalités. Or, faut-il rappeler une fois encore que les inégalités en termes de santé se développent principalement dans le monde professionnel ?
Cette réforme va même jusqu’à effacer le mot pénibilité, comme si certains travaux n’induisaient pas une souffrance. Comment expliquer, dès lors, que le nombre de maladies professionnelles augmente de 4 % par an ou que l’espérance de vie d’une ouvrière ou d’un ouvrier soit inférieure de six années à celle d’un cadre ? Est-ce un signe de bien-être au travail ou de pénibilité ?
Nommons les choses par leur nom, sans occulter les tristes réalités ! Ce qui n’est pas nommé n’existe pas, écrivait le psychanalyste Jacques Lacan. Alors, nommons la pénibilité par son nom et n’en ayons pas honte !