Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviens aujourd’hui devant votre Haute Assemblée présenter en nouvelle lecture le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 19 janvier 2017 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
Comme vous le savez, cette ordonnance transpose en droit interne trois dispositifs nouveaux mis en place par une directive européenne de 2013 ; il s’agit de la carte professionnelle européenne, ou CPE, du mécanisme d’alerte et de l’accès partiel. Elle introduit par ailleurs au niveau législatif une procédure pour sécuriser et harmoniser la reconnaissance des qualifications professionnelles des ressortissants européens pour les cinq métiers de l’appareillage et pour l’usage du titre de psychothérapeute.
Enfin, l’ordonnance supprime, pour répondre à la demande de la Commission européenne, la condition d’exercice de trois années imposée aux ressortissants de l’Union européenne pour l’accès en France à une formation de troisième cycle des études médicales ou pharmaceutiques.
J’ai eu l’occasion de vous dire, lors de nos précédents débats en septembre dernier, que je mesurais les inquiétudes que la présentation de ce texte a pu susciter auprès des professionnels de santé, comme parmi un certain nombre des membres de votre assemblée, au travers de l’introduction des dispositions relatives à l’accès partiel.
Je m’étais alors attachée à vous expliquer les raisons pour lesquelles le Gouvernement était dans l’obligation de procéder à la transposition de la directive dans les conditions dans lesquelles il l’a fait. Je m’étais également efforcée de présenter les conditions dans lesquelles j’entendais que le sujet soit pris en charge, soucieuse de préserver la qualité et la sécurité des soins prodigués aux usagers de notre système de santé.
La sensibilité de ce sujet est, je le sais, toujours importante, comme en attestent l’échec de la commission mixte paritaire sur ce point et l’adoption par votre commission des affaires sociales de l’amendement de suppression.
Je voudrais donc revenir brièvement sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à présenter ce texte sous cette forme, en vous donnant notamment des informations sur la position de la Commission européenne à l’égard de la France et en vous précisant dans quelles conditions la mise en œuvre de ce dispositif s’opérera.
La directive communautaire relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles du 20 novembre 2013 aurait dû être transposée dans le droit français depuis le 18 janvier 2016, au plus tard.
Depuis cette date, la France était exposée à deux avis motivés de la Commission européenne pour défaut de transposition. Ce manquement à ses obligations constituait la dernière étape avant la saisine par la Commission de la Cour de justice de l’Union européenne.
Comme vous l’avez probablement appris, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis l’annonce des risques dont je vous faisais part au mois de septembre dernier, le collège de la Commission européenne a décidé le 7 décembre d’une saisine de la Cour de justice de l’Union européenne d’un recours contre la France, mais également contre la Belgique et l’Allemagne. Le motif de cette saisine est malheureusement sans surprise : le manquement à l’obligation de transposition.
Le risque n’était donc pas hypothétique, voire nul, comme certains pensaient pouvoir l’affirmer, mais bien réel et désormais effectif.
Il est possible que la publication du décret, le 2 novembre dernier, puis des sept arrêtés attendus, au mois de décembre, témoigne auprès de la Commission du respect à présent réalisé par notre pays de ses obligations de transposition complète. C’est à espérer, car cela permettrait de ne pas obliger au paiement de l’astreinte associée à la saisine de la Cour de justice. Aujourd’hui, elle s’élèverait à 50 000 euros par jour.
Comme je l’avais fait devant vous au mois de septembre dernier, je souhaite affirmer avec la même détermination que je serai particulièrement vigilante quant aux conditions de déploiement de l’accès partiel au sein de notre système de santé. Cette vigilance pourra justifier d’en appeler à la raison impérieuse d’intérêt général dès lors que l’autorisation d’un professionnel à accès partiel fera courir un risque à la qualité et à la sécurité des prises en charge.
Ce risque ne peut en effet pas être évacué dans un système où les compétences respectives des professionnels de santé sont complémentaires et articulées entre elles, et parfaitement connues des professionnels eux-mêmes, comme des usagers du système de santé.
Les conditions de l’examen de chaque dossier déposé en vue d’obtenir une autorisation d’exercice partiel seront pour cela arrêtées et suivies de manière particulièrement rigoureuse.
En premier lieu, la directive prévoit trois conditions génériques qui doivent nécessairement être remplies ; elles seront scrupuleusement contrôlées.
D’abord, le professionnel doit être pleinement qualifié pour exercer dans son État d’origine l’activité pour laquelle il sollicite un accès partiel.
Ensuite, les différences entre l’activité professionnelle exercée et la profession qui pourrait correspondre en France sont en outre si importantes que l’application de mesures de compensation de formation reviendrait à faire suivre au demandeur un cycle complet d’enseignement.
Enfin, l’activité sollicitée en accès partiel peut être objectivement séparée d’autres activités relevant de la profession « correspondante » en France. Si l’une de ces trois conditions n’est pas remplie, l’autorisation d’exercice partiel ne pourra pas être délivrée.
En deuxième lieu, le processus d’examen des dossiers des demandeurs fait par ailleurs appel, je le rappelle, à l’expression d’un avis par chaque commission compétente, ainsi que par l’ordre compétent pour les professions à ordre. Nous avons pris une sécurité supplémentaire. Ce second avis, non prévu par la directive, a été ajouté par le Gouvernement, afin de renforcer le processus d’analyse des dossiers.
En troisième lieu, un décret en Conseil d’État a précisé les conditions et modalités de mise en œuvre de la procédure d’instruction. Je vous avais indiqué que j’entendais être extrêmement attentive à ce que sa rédaction puisse éclairer et guider les parties prenantes dans la manière dont les dossiers devront être examinés au cas par cas.
C’est ce qui a été traduit dans le décret du 2 novembre 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé.
Tout en respectant le droit à la libre circulation des ressortissants européens, le décret dispose en effet, dans le but de garantir la qualité et la sécurité des soins, que les avis que les commissions d’autorisation d’exercice et les ordres seront appelés à émettre porteront notamment sur les points suivants : premièrement, l’identification précise et strictement délimitée du champ d’exercice ou des actes que les professionnels seront autorisés à réaliser sous le régime de l’accès partiel ; deuxièmement, la description de l’intégration effective de ces actes dans le processus de soins et leur incidence éventuelle sur la continuité de la prise en charge ; troisièmement, la lisibilité des actes réalisés sous le régime de l’accès partiel, pour les professionnels de santé comme pour les usagers du système de santé ; quatrièmement, toute recommandation de nature à faciliter la bonne insertion du professionnel auquel l’autorisation d’exercice partiel serait accordée.
La rédaction de ce décret a été, vous l’aurez compris, animée par la motivation de garantir la qualité et la sécurité des soins, ainsi que l’information des professionnels de santé comme des usagers du système de santé.
Comme je m’y étais engagée devant les deux assemblées, je vous confirme par ailleurs que j’ai sollicité la Commission européenne afin d’obtenir une cartographie des professions de santé existantes dans l’Union européenne.
La nouveauté induite par le déploiement du mécanisme d’exercice partiel au sein des pays de l’Union justifie en effet de disposer d’un tel état des lieux permettant d’identifier, pour chaque système national de santé, les périmètres d’exercice des professionnels susceptibles de solliciter une reconnaissance d’accès partiel.
Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, tels étaient les éléments les plus importants que je souhaitais porter à votre connaissance sur la dimension qui demeure la plus sensible de l’ordonnance objet du présent projet de loi de ratification qui vous est soumis.
Vous comprendrez, dans ces conditions, que je ne puisse pas être favorable à la version du projet de loi issue des travaux de votre commission des affaires sociales, supprimant les références à l’accès partiel.
Mais vous aurez aussi compris, je l’espère, que, en lien étroit avec les professionnels du système de santé, je serai particulièrement attentive au suivi et à l’évaluation de la mise en œuvre de ces dispositifs, afin de garantir, dans cette matière comme dans d’autres, la qualité et la sécurité des soins dispensés par notre système de santé.