Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons examiné dans cet hémicycle, le 11 octobre dernier, trois projets de loi procédant à la transposition de quatre ordonnances dans le domaine de la santé, qui ont été prises sur le fondement de la loi du 26 janvier 2016.
Après la réunion d’une commission mixte paritaire, le 5 décembre dernier, un seul de ces projets de loi reste en discussion, faute d’accord entre les deux chambres du Parlement : c’est celui qui concerne la profession de physicien médical et la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé. Notre désaccord avec l’Assemblée nationale porte en réalité sur une seule des nombreuses dispositions de ce texte ; il est cependant majeur !
Vous le savez, notre commission, suivant en cela l’avis quasi unanime des professionnels de santé, a supprimé en première lecture les dispositions relatives à la procédure d’accès partiel. L’Assemblée nationale les a rétablies en nouvelle lecture.
S’il semble donc que notre désaccord soit consommé sur le sujet, permettez-moi cependant de vous rappeler brièvement les raisons qui ont poussé notre assemblée à se prononcer en ce sens. Je pense en effet que la question est d’importance, compte tenu des conséquences majeures qu’elle pourrait entraîner pour l’organisation et la cohérence de notre système de santé.
En premier lieu, nous avons été frappés par le degré d’impréparation entourant la mise en place d’une évolution aussi fondamentale. À l’heure où il nous est demandé de ratifier cette ordonnance, on ne dispose toujours d’aucun d’élément d’évaluation sur le nombre de professionnels susceptibles de formuler une demande en France ou sur la nature même des professions qui pourraient être concernées. Madame la ministre, permettez-moi de m’interroger : comment, sans même connaître les professions en jeu, avez-vous pu préparer un texte d’application garantissant la sécurité de l’ensemble des situations ? Il me semble que l’on avance ici à l’aveugle, en autorisant et en réglementant un dispositif dont nous ne connaissons pas la réelle portée concrète.
En second lieu, cette mesure nous a semblé de nature à perturber en profondeur l’organisation de notre système de santé. Il ne s’agit pas ici de faire un procès d’intention aux professionnels formés dans d’autres pays, dont nous ne remettons pas en cause la compétence. C’est sur la compatibilité de l’accès partiel avec l’organisation et l’efficacité de notre système de santé que nous nous interrogeons. Il nous a, de ce point de vue, semblé que la reconnaissance d’un accès partiel ne pourra qu’aboutir à une fragmentation des professions, dont on peine encore à mesurer toutes les conséquences.
Nous redoutons que les éventuels problèmes de qualité et de sécurité des soins ne frappent d’abord les patients les moins informés, et donc les populations les plus fragiles. On pourrait même craindre, sans céder à une trop forte méfiance, que ces professionnels ne puissent être opportunément recrutés par des établissements de santé en pénurie de personnels ou par nos collectivités frappées par la désertification médicale : cela serait évidemment de nature à renforcer les inégalités territoriales de santé.
Plusieurs difficultés pratiques ont été pointées : d’abord, le surcoût potentiel pour la sécurité sociale, si des patients se trouvent contraints de consulter deux professionnels au lieu d’un seul compte tenu de la limitation des compétences du premier ; ensuite, l’effet d’aubaine pour les formateurs étrangers notamment, alors que la formation des personnels médicaux et paramédicaux fait déjà l’objet d’un marché très disputé dans certains pays de l’Union européenne ; enfin, la question de la sécurité réellement garantie au patient, alors que des difficultés importantes sont d’ores et déjà constatées dans le cadre de la procédure de reconnaissance automatique, s’agissant notamment de la compétence linguistique des professionnels ou de leur niveau réel de formation.
Le décret publié le 2 novembre dernier ne nous a guère rassurés sur l’ensemble de ces points, s’agissant notamment des compétences d’encadrement et de contrôle dévolues aux ordres.
Je dois d’ailleurs vous dire, madame la ministre, que nous avons été quelque peu surpris de constater que ce décret intervenait sans même attendre la fin de nos travaux parlementaires, ce qui témoigne assez de l’absence de débat de fond sur ce texte, il est vrai élaboré par le gouvernement précédent.
Je tiens enfin à souligner que le Sénat a bien pris la mesure des obligations communautaires pesant sur la France ; il ne saurait être taxé d’irresponsabilité sur ce point.
Il nous a cependant semblé que notre responsabilité consistait au contraire à ne pas faire passer la satisfaction d’une obligation d’ordre juridique avant l’intérêt des patients. J’ai d’ailleurs été frappée de constater que l’argumentation développée par l’Assemblée nationale à l’appui de la ratification de cette mesure, lors de la réunion de notre commission mixte paritaire, ne portait que sur le respect des obligations communautaires de la France, et non sur l’intérêt intrinsèque de la procédure d’accès partiel pour l’avenir de notre système de santé. Cette position me paraît tout à fait révélatrice des conditions de transposition de ce dispositif. On a fait l’économie d’une véritable concertation de fond avec les professionnels de santé, sans même explorer la possibilité d’une autre transposition, plus respectueuse du fonctionnement de notre système de santé.
Il nous a dès lors paru invraisemblable de sacrifier, contre l’avis de tous les acteurs de la santé, la cohérence de notre système de santé et la qualité des soins à des considérations essentiellement juridiques.
C’est pourquoi la commission des affaires sociales s’est à deux reprises prononcée pour la ratification de l’ordonnance qui nous est présentée, moyennant la suppression du dispositif d’accès partiel.
Madame la ministre, tout comme vous, nous ne pouvons pas accepter que l’accès partiel fragilise les deux piliers fondamentaux de notre système de santé : la qualité des soins et la sécurité des patients.