Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord saluer l’excellent travail accompli sur ce texte par M. le rapporteur.
Permettez-moi d’exposer très rapidement les problèmes qui sont à l’origine de l’élaboration de cette proposition de loi et les solutions que nous avons envisagées pour y remédier.
Le régime de responsabilité actuel pour les propriétaires et gestionnaires de sites naturels ouverts au public où sont pratiqués des sports et loisirs de nature est celui de la responsabilité sans faute. Cela résulte de l’article 1242 du code civil, aux termes duquel « on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».
La jurisprudence récente a ajouté une force supplémentaire à l’interprétation rigoureuse de la responsabilité du fait des choses : dans une décision de 2010 concernant une piste de karting, la Cour de cassation a réaffirmé que l’acceptation, par la victime d’un accident, des risques liés à cette activité n’exonérait en rien l’exploitant de la structure de sa responsabilité sans faute.
Ce raisonnement a été transposé, plus récemment encore, à une affaire où deux grimpeurs ont été blessés en escaladant une falaise dans les Pyrénées-Orientales. Cela a abouti à la condamnation de la Fédération française de la montagne et de l’escalade, qui était gestionnaire du site.
Ce régime de responsabilité se révèle donc manifestement inadapté à la pratique actuelle de nombreuses activités de plein air : escalade, trail, rafting, jeux de piste, etc. Ces activités se déroulent souvent sans supervision directe, voire sans connaissance du propriétaire ou du gestionnaire des sites. Il y a donc là un contentieux potentiel d’une ampleur assez considérable.
Surtout, il y a une réelle asymétrie de la responsabilité, les propriétaires et gestionnaires supportant une responsabilité disproportionnée par rapport à leur capacité réelle à fournir les équipements ou l’encadrement de sécurité adaptés aux sites dont ils ont la garde.
Ainsi, dans de nombreux cas, il paraît difficilement justifiable d’engager cette responsabilité sans faute. En poussant le raisonnement, pourquoi le propriétaire serait-il responsable de la blessure d’un randonneur imprudent qui aurait pénétré à son insu sur un site naturel ?
Il existe une deuxième asymétrie, entre propriétaires privés et gestionnaires de sites, dont la responsabilité sans faute est engagée presque systématiquement en cas de dommages, et propriétaires publics de sites comparables, la responsabilité de ces derniers étant appréciée « au regard des risques inhérents à la circulation dans les espaces naturels », ce qui l’atténue significativement.
Il y a dès lors un effet désincitatif à la pratique authentique de ces activités en plein air. Soit les propriétaires et gestionnaires préfèrent ne prendre aucun risque et ferment les sites aux pratiquants de ces activités, soit les sites demeurent ouverts mais sont soumis à un certain nombre de contraintes, notamment un alourdissement de leurs aménagements de sécurité et de leur fonctionnement.
J’en viens à la teneur de cette proposition de loi et aux changements que nous souhaitons apporter.
Cette proposition de loi vise à remédier à l’asymétrie que j’évoquais à l’instant en procédant à un rééquilibrage de la responsabilité en faveur des propriétaires et gestionnaires des sites, afin de leur permettre d’offrir des conditions saines de pratique des sports et activités de pleine nature.
Cette idée n’est pas entièrement nouvelle. En effet, l’article L. 365-1 du code de l’environnement marque déjà un infléchissement en faveur des propriétaires et gestionnaires publics de certains terrains de pleine nature, tels que les parcs naturels ou les sentiers de promenade et de randonnée.
Aujourd’hui, l’important développement des activités de pleine nature doit inciter le législateur à prévenir plutôt qu’à guérir. Notre intervention dans ce domaine est donc parfaitement légitime et utile.
Qui plus est, il y a ici une possibilité pour le Sénat d’agir comme force de proposition et d’entamer une réflexion qui s’inscrira dans la préparation de la prochaine réforme du droit de la responsabilité civile. Mais de cette réforme, j’entends parler depuis une dizaine d’années, et c’est d’ailleurs parce qu’elle devait intervenir que l’on ne souhaitait pas modifier le code civil à la suite de la jurisprudence de l’Erika. Heureusement, madame la secrétaire d’État, le préjudice écologique est désormais entré dans le code civil, le Sénat ayant défriché le terrain.
Cette proposition de loi crée, par son article 1er, un régime dérogatoire du droit commun de la responsabilité sans faute au bénéfice de tous les propriétaires et gestionnaires de sites naturels. Ce faisant, elle remet à jour la théorie de l’acceptation des risques – c’est en fait une théorie de la responsabilisation –, suivant laquelle celui qui accepte de participer à une activité à risques accepte aussi d’en supporter les conséquences. Cela me paraît tout naturel.