Intervention de Brune Poirson

Réunion du 31 janvier 2018 à 21h30
Responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Brune Poirson :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi qui vient aujourd’hui en discussion a pour objectif, en modifiant le régime de responsabilité auquel sont soumis les gardiens de sites naturels ouverts au public, d’encourager le développement des sports de nature, qui, comme cela a été rappelé, constituent un atout touristique important pour de nombreuses collectivités territoriales.

Le Gouvernement ne peut que souscrire à un tel objectif, auquel vous me permettrez d’ajouter, plus largement, celui de favoriser la plus large ouverture au public, y compris aux simples promeneurs, des espaces naturels de notre pays, dans des conditions compatibles avec les nécessités de leur conservation. Les préoccupations des propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels, qui ne doivent pas être dissuadés d’ouvrir ces espaces au public en raison d’un risque excessif de mise en cause de leur responsabilité, sont à cet égard légitimes.

Si la proposition de loi suscite des réserves, c’est donc non pas en raison des objectifs qu’elle poursuit et des préoccupations auxquelles elle entend répondre, mais plutôt des moyens qu’elle emploie.

En l’état actuel du droit, une adaptation du régime de responsabilité des propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels est déjà prévue à l’article L. 365-1 du code de l’environnement.

Cette disposition a été introduite en 2006 à l’occasion du vote d’une loi relative aux parcs nationaux et parcs naturels. Elle ne modifie pas le régime de responsabilité applicable, mais, en cas d’accident, elle invite le juge à apprécier la responsabilité des propriétaires et gestionnaires de certains espaces naturels, en tenant compte des caractéristiques particulières de ces espaces, qui, pour des raisons de conservation des milieux, ne peuvent faire l’objet que d’aménagements limités.

La présente proposition de loi va plus loin : dans sa version issue des débats en commission, elle prévoit, au nom de la théorie de l’acceptation des risques, de substituer au régime de responsabilité actuellement applicable devant le juge civil, qui est le régime de responsabilité objective du fait des choses, un régime de responsabilité pour faute, inscrit désormais non plus dans le code de l’environnement, mais dans le code du sport.

Or une telle évolution nous paraît prématurée, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, il serait excessif de décrire l’état du droit actuel comme permettant l’engagement automatique de la responsabilité des propriétaires ou gestionnaires d’espaces naturels en cas d’accident.

Certes, le régime de « responsabilité du fait des choses » que les juridictions civiles appliquent aux propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels est un régime de responsabilité sans faute. Toutefois, les juridictions, lorsqu’elles sont saisies d’actions en responsabilité, procèdent à une appréciation circonstanciée des faits de l’espèce. Elles recherchent notamment la réalité du rôle causal de la chose et tiennent compte du comportement de la victime pour, le cas échéant, exonérer le gardien de sa responsabilité ou atténuer celle-ci.

À cet égard, comme cela a été rappelé lors des travaux en commission, il faut relativiser la portée du jugement du tribunal de grande instance de Toulouse de 2016 – M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur y ont fait référence –, mentionné dans l’exposé des motifs de la proposition de loi, qui a condamné la Fédération française de la montagne et de l’escalade, en sa qualité de gestionnaire d’une falaise, à indemniser les victimes d’un accident d’escalade.

Il convient tout d’abord de rappeler qu’il a été fait appel de cette décision, qui n’est donc pas définitive. En outre, elle apparaît assez isolée, dans un paysage jurisprudentiel d’ailleurs marqué par un contentieux très faible, alors que, pour ne citer que les parcs nationaux, les réserves naturelles ou les sites du Conservatoire du littoral, la fréquentation cumulée est de 54 millions de visiteurs par an.

De ce point de vue, la nécessité d’une intervention du législateur n’apparaît donc pas avec évidence.

Par ailleurs, je rappelle que, comme votre commission en est parfaitement consciente, le ministère de la justice travaille actuellement à un vaste projet de réforme de la responsabilité civile. Je sais, monsieur le président de la commission, que l’on en entend parler depuis longtemps, mais vous savez aussi que ce gouvernement a pour habitude de faire ce qu’il dit.

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