Intervention de Brune Poirson

Réunion du 31 janvier 2018 à 21h30
Responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Brune Poirson :

C’est en tout cas ce qu’il a fait jusqu’à présent !

Ce projet sera l’occasion de faire évoluer certains régimes de responsabilité particuliers – je suis certaine que vous y travaillerez de concert avec nous, puisque ce sujet vous tient à cœur –, dans un cadre permettant de s’assurer de la pertinence de ces évolutions au regard du droit commun de la responsabilité civile.

Je pense notamment à l’article L. 321-3-1 du code du sport, introduit en 2012, après l’abandon par la Cour de cassation de la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive, pour écarter l’application du régime de responsabilité du fait des choses dans certains cas de dommages matériels causés par un pratiquant sportif à un autre pratiquant.

Dans ce contexte, introduire aujourd’hui dans le droit positif une nouvelle disposition dérogatoire au droit commun de la responsabilité civile paraît prématuré. J’ai d’ailleurs cru comprendre, au travers de vos débats en commission, que nombre d’entre vous n’étaient pas insensibles à la nécessité d’une réflexion élargie à l’ensemble du droit de la responsabilité civile.

J’en viens à la troisième raison qui motive notre avis : la rédaction de la proposition de loi issue des travaux en commission, si elle résout certaines difficultés soulevées par la rédaction initiale du texte, paraît problématique à d’autres égards.

Ainsi, cette rédaction ne fait pas référence à la responsabilité administrative, au contraire de l’actuel article L. 365-1 du code de l’environnement, qui invite également le juge administratif, lorsque le litige relève de sa compétence, à tenir compte des contraintes tenant aux nécessités de la préservation des espaces naturels. Cela pourrait conduire à des conditions d’indemnisation différentes selon le juge compétent, alors que, en l’état, dans des cadres théoriques certes distincts, le juge judiciaire et le juge administratif parviennent généralement à des résultats très similaires.

Par ailleurs, les notions d’« espace », de « site » ou d’« itinéraire » retenues par la commission pour définir le champ d’application du texte mériteraient d’être précisées. Il semble en effet nécessaire de limiter expressément ce champ d’application aux seuls espaces « naturels », dès lors que les activités de loisirs peuvent également être pratiquées en dehors de tels espaces, notamment en milieu urbain.

Enfin, et surtout, votre commission propose, en contrepartie de la création d’un nouvel article dans le code du sport, d’abroger purement et simplement l’article L. 365-1 du code de l’environnement. Or le nouveau dispositif ne couvre pas la totalité des champs traités par cet article : en particulier, il ne traite pas de la circulation des piétons. Ce faisant, la proposition de loi laisse sans réponse les préoccupations, à cet égard, des propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels, lesquelles sont pourtant au cœur de votre travail.

Cette difficulté ne saurait d’ailleurs se régler par un simple élargissement du champ d’application du texte de la commission ; en effet, si l’on peut trouver légitime d’opposer l’acceptation du risque à un sportif qui pratique en toute connaissance de cause une activité risquée, il en va différemment en ce qui concerne le simple promeneur, et le Gouvernement ne saurait souscrire à un texte qui conduirait à un affaiblissement du droit des victimes.

À cet égard, l’équilibre trouvé par l’actuel article L. 365-1 du code de l’environnement paraît devoir être préservé, et l’abrogation de cette disposition n’est pas opportune.

Dans ces conditions, le Gouvernement pourrait souscrire à un texte qui, sans modifier le régime de responsabilité applicable, viendrait étendre le champ d’application, actuellement trop restrictif, de l’article L. 365-1 du code de l’environnement, initialement visé par la proposition de loi.

C’est pourquoi vous est soumise par voie d’amendement une proposition de réécriture de cet article, afin d’élargir son champ d’application à l’ensemble des personnes propriétaires ou gestionnaires, ainsi qu’à l’ensemble des « espaces naturels ».

La liste des personnes publiques dressée par l’actuel dispositif, qui ne mentionne que l’État et la commune, est en effet trop restrictive. Celle des espaces concernés l’est également, puisque seuls sont visés certains espaces particulièrement protégés.

C’est ainsi que, dans le cas jugé par le tribunal de grande instance de Toulouse, l’article L. 365-1 du code de l’environnement ne pouvait trouver à s’appliquer, le lieu de l’accident ne figurant pas sur cette liste. Or les enjeux de la conciliation entre ouverture au public et préservation du caractère naturel des lieux s’étendent au-delà des seuls espaces naturels protégés.

La réécriture qui vous est proposée en tire les conséquences. Elle ne préjuge pas de la nécessité éventuelle d’une évolution ultérieure du régime de responsabilité spécifiquement applicable en matière sportive : comme je l’ai indiqué, c’est une réflexion qui aura toute sa place dans le cadre de la réforme globale du droit de la responsabilité civile qui a été engagée par le Gouvernement.

Néanmoins, en l’état, il importe, tout en adaptant son champ d’application, de conserver l’économie générale d’un dispositif qui permet de concilier le droit commun de la responsabilité tant civile qu’administrative et la prise en compte des contraintes spécifiques des propriétaires et gestionnaires d’espaces naturels, tout en garantissant une protection satisfaisante du droit des victimes.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion