Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites. Je soutiens bien sûr la présente proposition de loi, déposée par mes collègues Bruno Retailleau et Michel Savin, visant à adapter le droit de responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public.
Nous n’avons effectivement pas besoin d’attendre la réforme de la responsabilité civile annoncée par le Gouvernement pour lancer la réflexion sur la responsabilité du fait des choses. Cette proposition de loi est une occasion pour le Sénat de se saisir de la question. En effet, il n’est pas normal que les propriétaires ou gestionnaires de ces terrains engagent leur responsabilité sans faute pour des faits qui ne relèvent pas de leur volonté, sachant de surcroît qu’ils n’ont pas les moyens de contrôler efficacement les accès et les activités s’y déroulant, coupables de n’avoir pas pu prévoir les aléas de la nature.
Cela peut conduire au jugement que vous connaissez et sur lequel je ne m’attarderai pas, lorsque le tribunal de grande instance de Toulouse a condamné le 14 avril 2016, la Fédération de la montagne et de l’escalade, gestionnaire d’un site naturel pour le compte d’une commune, à indemniser à hauteur d’un million d’euros la victime malheureuse d’un accident d’escalade causé par le détachement d’un bloc de pierre de la paroi sur laquelle il progressait.
Les sites naturels ouverts au public devraient pouvoir continuer de l’être sans faire peser une épée de Damoclès d’ordre juridique et financier sur la tête de ceux qui en sont les gardiens. Il faut renouer avec la vision selon laquelle, dans le monde du sport et, en particulier, du sport de nature, le devoir de protection porte sur les risques créés par autrui, non sur ceux qui sont liés aux activités auxquelles l’individu participerait volontairement.
Quand on pratique ce genre de sports ou de loisirs, on est conscient que l’environnement dans lequel on évolue est périlleux. Un simple promeneur est d’ailleurs lui aussi vigilant quand il s’aventure sur ces sites naturels. Si vous choisissez de marcher en forêt, vous savez pertinemment que vous devrez regarder où vous mettez les pieds. Comme le rappelait en commission, notre collègue Jérôme Durain, même Reinhold Messner, premier alpiniste à avoir gravi les quatorze sommets culminant à plus de 8 000 mètres d’altitude, disait que « la montagne n’est ni juste ni injuste, elle est dangereuse ».
Une dérive de la législation actuelle est la déresponsabilisation des usagers. Si dans l’esprit de tous un randonneur venait à devenir un simple consommateur de sport sur un terrain qui lui serait en quelque sorte mis à disposition, comme un tennisman pourrait se plaindre du mauvais état du cours pour lequel il paie, il ne prendrait alors plus en considération les possibles risques liés à l’environnement naturel dans lequel il se trouve, s’attendant à ce que tout soit entièrement organisé.
Ayant l’habitude d’être « surencadré » dans un terrain naturel aménagé dans lequel il se comporte comme un consommateur, il peut être tenté de manière tout à fait inconsciente d’avoir la même attitude en s’aventurant dans les espaces naturels non aménagés. Combien de skieurs se mettent-ils en danger chaque année en hors-piste ?
Par conséquent, la lourde responsabilité sans faute des propriétaires et gestionnaires les incite à entreprendre un aménagement excessif visant à sécuriser les sites et ayant pour conséquence une dénaturation regrettable de ceux qui sont censés rester des espaces naturels. Il y va de l’avenir de nos beaux paysages français. Nul besoin d’aller loin de Paris, imaginez-vous la forêt de Fontainebleau défigurée par une série de filets, de barrières, de rambardes et de signalisations de couleur en tous genres…
D’autres, au contraire, préfèrent tout simplement fermer l’accès de ces sites au public, freinant ainsi le développement des sports de nature et des activités de loisirs en plein air en évolution perpétuelle, alors que notre immense patrimoine naturel nous offre tant de possibilités.
Mes chers collègues, connectez-vous au site internet de l’office de tourisme du département dont je suis élue, l’Eure ; vous y découvrirez un magnifique département, et vous constaterez que, parmi les premières choses que l’on vous propose, figurent ces sports de nature et ces activités en plein air, heureusement encore nombreuses.
Ces activités constituent un atout touristique majeur, comme dans beaucoup de collectivités territoriales. Le temps libre s’accroît, les techniques et le matériel progressent, les connaissances se diffusent et, par conséquent, le niveau de pratique augmente. Il est de notre devoir de protéger ces sites encore ouverts au public, ainsi que leurs propriétaires, leurs gestionnaires, les activités de sports et de loisirs qui y sont proposées, les emplois qui y sont associés et la dynamique touristique qui y est liée. C’est pourquoi il semble nécessaire d’apporter au plus vite une solution à la faiblesse du dispositif légal actuel.
Je voterai donc en faveur de la présente proposition de loi visant à adapter le droit de la responsabilité des propriétaires ou des gestionnaires de sites naturels ouverts au public.