Intervention de Philippe Bas

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 1er février 2018 à 16h15
Audition de Mme Nicole Belloubet garde des sceaux ministre de la justice sur la situation des prisons

Photo de Philippe BasPhilippe Bas, président :

Nous sommes heureux de vous accueillir, Madame la ministre, pour cette audition sur la situation des prisons. Le mouvement social des surveillants pénitentiaires ne nous a pas surpris, et n'a pas dû vous surprendre non plus. Nous connaissons la profondeur de la crise de l'institution pénitentiaire. Notre commission a mené de manière collégiale, pendant plusieurs mois, une mission sur le redressement de la justice ; nous nous sommes rendus dans de nombreuses prisons, dans de nombreuses juridictions, à l'École Nationale de l'Administration Pénitentiaire (ENAP), au sein de l'administration centrale, réalisant plus de 300 auditions. Dès 2017, ainsi, nous avions donné l'alerte. Le Sénat est l'assemblée qui cherche des convergences, mais je n'avais pas prédit que nous en dégagerions autant. Sur 127 propositions que nous avons formulées, 125 ont été adoptées à l'unanimité, témoignant de notre volonté de dépasser les clivages politiques, car la justice doit être un sujet qui nous rassemble. Nous n'avons pas souhaité intervenir à chaud pendant le déroulement de la crise pour ne pas créer d'interférences. Il y avait des risques de mutineries, de violences, d'insécurité en cas de débordements. Le Gouvernement a conclu un protocole d'accord avec le syndicat majoritaire parmi les surveillants pénitentiaires. Toutefois nos prisons restent dans un état de grande fragilité. Nous nous sommes rendus à Fresnes mardi et nous avons reçu les organisations syndicales. Notre sentiment profond est que nous sommes à la merci de nouvelles agressions - d'ailleurs les surveillants parlent de tentatives d'assassinat, ce qui témoigne de leur inquiétude. Même si la situation s'est apaisée, elle reste précaire. Un effort massif s'impose, non seulement pour augmenter les moyens, mais aussi pour repenser notre politique pénale et diversifier les moyens de prise en charge des condamnés.

Les surveillants pénitentiaires assurent une mission essentielle de service public pour la sécurité des Français. Elle n'est pas totalement reconnue ni valorisée. Au-delà des demandes pécuniaires ou statutaires, les surveillants pénitentiaires souhaitent une amélioration de leurs conditions de travail, une meilleure reconnaissance de leurs missions, une clarification du sens de leur travail et une transformation de l'institution pénitentiaire. Les prisons sont surpeuplées et les surveillants en sous-effectif. La prison de Fresnes accueille ainsi deux fois plus de détenus qu'elle ne peut en accueillir, tandis que le nombre de surveillants ne représente que 91 % de l'effectif théorique, sans compter les absences temporaires. On se demande comment l'établissement peut fonctionner dans ces conditions ! Pendant cinq ans, en dépit d'ailleurs des engagements politiques de la majorité de l'époque, le nombre de personnes placées sous bracelet électronique a stagné, le nombre de places n'a pas augmenté et il n'y a pas eu d'avancées dans la réflexion sur la prise en charge des détenus. Les débats idéologiques sur la contrainte pénale nous ont opposés et ont pollué le débat sur la politique pénitentiaire qui s'est retrouvée à l'arrêt.

Nous voulons favoriser les convergences ; c'est l'ADN du Sénat. Nous avons déposé deux propositions de loi en juillet - une proposition de loi d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice et une proposition de loi organique pour le redressement de la justice - qui ont été adoptées par le Sénat à une très large majorité. Nous ne sommes pas dans une démarche d'opposition au Gouvernement comme en atteste le fait que nous n'ayons pas cherché à intervenir pendant la crise récente pour ne pas gêner votre action. Toutefois il est urgent d'agir. Nos deux propositions de loi constituent des instruments adéquats. Pourquoi ne pas les inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale ? Vous auriez tout le loisir de les amender. Nous pourrions en discuter en deuxième lecture et vous pourriez faire adopter ces textes avant la fin du semestre, ce qui vous permettrait d'obtenir de Bercy, lors des arbitrages budgétaires, des crédits supplémentaires en arguant de la mise en oeuvre de la loi de programmation. L'expérience montre, en effet, que la période où les crédits des prisons et des juridictions augmente le plus est la première année des lois de programmation, comme ce fut le cas en 2002. Telles sont, Madame la ministre, nos attentes, nos sentiments. Nous souhaitons dépasser les clivages. J'ai cru comprendre que c'était également le souhait du président de la République.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion