Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 1er février 2018 à 10h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, vous allez aujourd’hui débattre, en deuxième lecture, du projet de loi de ratification de l’ordonnance réformant le droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.

Le long chemin qui a mené à la publication de cette ordonnance, qui, je le rappelle, constitue l’une des réformes les plus importantes du code civil depuis sa création en 1804, a été marqué par des échanges nourris et une forte collaboration avec les praticiens.

Cet échange fructueux s’est également noué au stade de la ratification de l’ordonnance, tant dans cet hémicycle que dans celui du Palais-Bourbon. Le Gouvernement salue à cet égard le travail accompli par le rapporteur de votre commission des lois, François Pillet, qui a su mener une analyse précise des dispositions de l’ordonnance pour en améliorer certains points, tout en faisant preuve d’un grand esprit d’ouverture et de responsabilité.

En effet, première assemblée saisie de ce texte, le Sénat, sur l’initiative de son rapporteur, a opportunément clarifié le sens de certaines dispositions de l’ordonnance, sans toutefois en modifier l’esprit.

L’Assemblée nationale, de la même manière, n’a pas remis en cause certaines de ces améliorations et n’a apporté que de rares, mais utiles, nouvelles modifications, de sorte que de nombreux points ne sont plus, aujourd’hui, en débat.

Ainsi en est-il de la consécration de la jurisprudence Baldus, qui exclut du champ de la réticence dolosive l’estimation de la valeur de la prestation, des règles relatives à la capacité des personnes morales ou aux conflits d’intérêts en matière de représentation ou encore de la définition du préjudice réparable en cas de rupture fautive des négociations.

Par ailleurs, au-delà des améliorations apportées au texte même de l’ordonnance, votre commission des lois, par ses travaux nourris, a dégagé en première lecture des lignes d’interprétation claires, notamment sur les questions d’articulation entre le droit commun et les droits spéciaux ou sur le caractère impératif ou supplétif des textes de l’ordonnance. Ces interprétations claires, confirmées par le Gouvernement, puis approuvées par l’Assemblée nationale, constitueront un guide précieux pour les praticiens, qui disposeront ainsi de travaux préparatoires enrichis.

Cette deuxième lecture s’ouvre donc, grâce à ce dialogue des chambres marqué par la volonté de tendre vers le compromis, sur un texte amélioré, dont l’équilibre et l’esprit restent fidèles à ceux que le Gouvernement a entendu lui conférer : concilier l’efficacité économique du droit et le renforcement de la justice contractuelle. Les grands équilibres sont donc respectés.

Finalement, un seul point de fond demeure en discussion, et le Gouvernement vous proposera de revenir aujourd’hui encore sur ce sujet, ainsi qu’il l’avait fait en première lecture : il s’agit des prérogatives du juge en matière d’imprévision.

En effet, alors que l’ordonnance a enfin doté le droit français d’un mécanisme permettant de prendre en compte un changement de circonstances imprévisible venu bouleverser l’économie du contrat et de restaurer l’équilibre initialement voulu par les parties, votre commission propose de revenir sur ce texte et de limiter les pouvoirs du juge saisi par une seule des parties à la seule résolution du contrat, excluant ainsi la possibilité pour le juge, saisi par une seule des parties, de réviser ce contrat.

Les objections du Sénat sont connues. Elles tiennent principalement à l’atteinte qui serait portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle. Le Gouvernement les avait bien évidemment à l’esprit. C’est d’ailleurs précisément pour ne pas porter à ces principes essentiels du droit des contrats une atteinte injustifiée que la possibilité ouverte par le dispositif instauré par l’ordonnance a été strictement encadrée, ainsi que j’aurai l’occasion de le rappeler lors de l’examen de l’amendement déposé par le Gouvernement.

L’incidence négative sur l’attractivité du droit français a également pu être mise en avant. Le renforcement de l’attractivité de notre droit est précisément l’un des objectifs de l’ordonnance. À cet égard, le Gouvernement a rappelé que cette disposition était supplétive, que les parties pouvaient choisir de l’écarter et que son incidence ne serait donc que limitée dans les contrats internationaux.

Le Gouvernement estime surtout que la modification proposée par votre commission ôte à ce dispositif novateur son utilité et son efficacité. En effet, il est très peu probable que des parties qui ne se seraient pas accordées sur les termes de la renégociation, voire sur la nécessité même de renégocier, décident finalement de s’accorder pour confier ce pouvoir au juge.

Le Gouvernement estime qu’il peut justement être de l’intérêt des parties de permettre au juge, dans certaines circonstances, de « laisser une dernière chance » au contrat. Il ne s’agit pas de donner au juge le pouvoir de faire le contrat, mais de l’adapter, en restaurant les équilibres initialement voulus par les parties que leurs désaccords passés ne leur permettent plus de rétablir par elles-mêmes.

S’il est évident qu’il doit pouvoir être mis fin à une relation contractuelle dont le maintien à tout prix est contraire à l’intérêt des parties, il est toutefois des cas dans lesquels la résolution du contrat ne présente, à l’inverse, d’intérêt économique pour aucune des parties, par exemple si des emplois devaient être menacés par la fin du contrat en question. C’est précisément pour cela que le juge doit, à notre sens, disposer d’une option et pouvoir, selon les circonstances, maintenir le contrat, en restaurant l’équilibre initialement voulu par les parties.

Notre tradition juridique a tendance à favoriser la survie du contrat. Permettre aux parties, puis au juge, en cas d’échec des négociations, de la favoriser ou, si les circonstances le justifient, d’y mettre fin ne fait qu’adapter cette tradition aux évolutions économiques susceptibles d’affecter les situations contractuelles. Il ne s’agit nullement de favoriser un quelconque interventionnisme judiciaire.

D’une manière générale, l’ordonnance privilégie, notamment en cas d’inexécution du contrat, des mécanismes extrajudiciaires : résolution unilatérale, réduction du prix… Cela évite aux parties le temps et le coût d’une procédure judiciaire.

Cependant, l’intervention du juge paraît indispensable lorsqu’il faut concilier la force obligatoire du contrat et une certaine forme de justice contractuelle. Votre assemblée l’a d’ailleurs bien compris, en confirmant la pertinence de l’introduction d’un mécanisme judiciaire de révision pour imprévision.

Le Gouvernement propose simplement d’aller plus loin et estime qu’il serait regrettable de ne pas donner au juge une autre option que la fin du contrat. De la même manière que le maintien de la relation contractuelle n’est pas toujours la solution idéale, sa rupture n’est pas toujours la solution économiquement la plus adaptée. Le Gouvernement est donc très attaché à ce que cette disposition emblématique et novatrice de l’ordonnance soit maintenue et que sa pleine efficacité lui soit restituée, afin de conserver à l’ordonnance l’équilibre auquel elle était, de l’avis général, parvenue.

Retrouver cet équilibre illustrerait parfaitement la qualité des échanges, dont la présente ratification a été l’occasion, ce dont, au nom du Gouvernement, je vous remercie.

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