Intervention de Maryse Carrère

Réunion du 1er février 2018 à 10h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Adoption en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Maryse CarrèreMaryse Carrère :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’ordonnance soumise aujourd’hui à notre ratification est, en réalité, la queue de comète d’un long processus législatif et d’une évolution doctrinale plus longue encore, les travaux du professeur Catala ayant débuté en 2005.

Comme nous avons eu l’occasion de le constater, les dispositions de cette ordonnance, bien que parfois très techniques, concernent un grand nombre de nos concitoyens, puisqu’elles modifient des pans entiers de notre code civil qui encadre les relations contractuelles et obligataires et dont l’utilité est quotidienne.

Dans un premier temps, je souhaite saluer le travail du rapporteur, François Pillet, qui a permis de porter dans le débat public des questions jusque-là débattues uniquement au sein de la doctrine. Compte tenu de l’importance de ces dispositions dans la vie quotidienne des Français, il aurait été impensable que la Haute Assemblée donne son quitus sans examiner dans le détail les modifications codifiées.

Je ne vais pas rappeler devant vous l’ensemble des apports de ce texte fondamental, qui ont déjà été présentés en première lecture et aujourd’hui encore par vous, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur.

Sur certains sujets, ces débats ont permis de mettre en lumière l’affrontement de deux philosophies. Je pense en particulier aux dispositions relatives aux clauses abusives des contrats d’adhésion et au rôle du juge dans les relations contractuelles avec l’intégration de la théorie de l’imprévision dans le droit civil.

Sur ce dernier point, et en schématisant, il s’agit de se prémunir contre certaines situations rendant inapplicable le contrat. L’article 8 du projet de loi, introduit en première lecture par le Sénat, vise à cette fin à supprimer l’introduction du régime de l’imprévision dans le code civil au motif de garantir la « liberté contractuelle ».

L’idée de confier davantage de prérogatives au juge dans le rééquilibrage des relations contractuelles nécessitera probablement des moyens supplémentaires, ce qui n’est pas le moindre des obstacles dans le contexte budgétaire actuel. En effet, l’état de nos juridictions est tel qu’une révolution budgétaire aurait certainement plus d’impact sur l’effectivité des droits de nos concitoyens que toutes les codifications envisageables.

À ce stade avancé de l’élaboration législative, il convient cependant de souligner un paradoxe. Cette ordonnance a été prise sur le fondement de l’article 8 du projet de loi de modernisation et de simplification du droit du 16 février 2015. L’un de ses principaux objectifs était de réintroduire davantage de sécurité juridique dans les relations contractuelles.

Des contrats ont été formés sur la base des dispositions de cette ordonnance, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, et il serait malencontreux d’instiller de l’insécurité juridique, en introduisant des modifications trop grandes au cœur de la loi de ratification d’une ordonnance, justement destinée à l’effet inverse.

Sans remettre en cause le bien-fondé de la position du rapporteur sur des sujets aussi essentiels que ceux que j’évoquais à l’instant, il me paraîtrait plus raisonnable de ratifier l’ordonnance sans remettre en cause l’état du droit, d’en surveiller étroitement l’application et de proposer, le cas échéant, un retour aux dispositions antérieures, si d’importants dysfonctionnements étaient constatés par la suite.

Plusieurs de mes collègues l’ont déjà souligné, cette façon de légiférer est frustrante pour les parlementaires, dont le pouvoir d’amendement se trouve de facto limité par leur volonté pragmatique de ne pas fragiliser la situation juridique d’individus concernés par l’ordonnance. Elle est aussi gênante pour le Gouvernement, qui doit anticiper l’effet contentieux des ratifications en cas de modifications substantielles portées à l’ordonnance déjà entrée en vigueur.

J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, le recours à l’ordonnance pour d’importantes entreprises de codification n’est pas sensiblement moins long que le recours à la procédure législative ordinaire.

À titre de comparaison, sachez que la dernière rénovation du code pénal s’était faite en six ans, depuis son dépôt au Sénat, en 1986, jusqu’à sa promulgation en 1992, ce qui représente moins de temps que celui qui a été consacré à la réforme actuelle du droit des contrats et des obligations, si l’on prend en compte le temps nécessaire à l’adoption du projet de loi autorisant le Gouvernement à légiférer par ordonnances, déposé en 2013.

Dans ce contexte, compte tenu des différentes réserves que j’ai évoquées, les membres du groupe du RDSE soutiendront les amendements du Gouvernement destinés à rétablir la version initiale du texte sur les points encore litigieux, mais cela ne nous empêchera pas d’avoir un regard bienveillant sur le texte finalement voté.

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