Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 1er février 2018 à 10h30
Réforme du droit des contrats du régime général et de la preuve des obligations — Article 8

Nicole Belloubet :

Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous m’y autorisez, je vais reprendre devant vous le raisonnement que je viens de tenir à l’instant.

Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction de l’article 1195 du code civil issue de l’ordonnance, qui permet à une partie seule de saisir le juge en vue de la révision du contrat en cas d’imprévision.

L’admission de l’imprévision dans le droit français des contrats est l’une des dispositions les plus emblématiques de l’ordonnance du 10 février 2016, dont nous débattons actuellement. L’imprévision est aujourd’hui admise dans de très nombreux droits étrangers et dans les conventions du commerce international. Je me réjouis d’ailleurs, après avoir entendu l’ensemble des orateurs, que vous ne remettiez pas en cause son principe.

Notre désaccord porte donc sur le seul pouvoir de révision du juge. Seule la révision du contrat en cas d’imprévision permet de rétablir l’économie générale du contrat telle qu’elle a été voulue par les parties, lorsque des circonstances indépendantes de leur volonté l’ont bouleversée. Conscient de l’atteinte susceptible d’être portée au principe de force obligatoire du contrat, le Gouvernement a donc strictement encadré la possibilité de révision judiciaire de ce contrat.

Trois types d’encadrement apparaissent.

Il faut tout d’abord un changement de circonstances, imprévisible lors de la conclusion du contrat, ce qui était raisonnablement prévisible restant ainsi à la charge des parties.

Il faut ensuite que l’exécution du contrat soit devenue excessivement onéreuse pour une partie. Une augmentation du prix, par exemple, rendant l’approvisionnement plus coûteux, ne suffit pas à remettre en cause, à lui seul, le contrat.

Il faut enfin que la partie lésée n’ait pas accepté dans le contrat d’assumer le risque d’un tel changement de circonstances. Les parties peuvent en effet toujours écarter toute possibilité de révision du contrat en cas d’imprévision.

Vous aurez par ailleurs observé que priorité est donnée à la renégociation du contrat par les parties et à l’accord amiable. Le recours au juge ne peut s’envisager qu’en cas d’impossibilité de parvenir à un accord sur une révision amiable ou sur une résolution du contrat.

L’atteinte portée à la force obligatoire du contrat et à la liberté contractuelle est d’autant plus à relativiser que l’article 1195, dans sa rédaction initialement proposée par l’ordonnance, est supplétif de volonté, c’est-à-dire que les parties sont libres, non seulement d’en écarter l’application, totalement ou partiellement, mais également d’en aménager librement les modalités, par exemple en définissant les changements de circonstances admis ou en prévoyant un processus spécifique de révision.

Si j’entends bien les inquiétudes que certains d’entre vous expriment, elles me semblent excessives. En effet, je vous rappelle que les pouvoirs du juge sont strictement encadrés par les principes de procédure civile, en particulier par celui selon lequel le juge ne pourra se prononcer que dans le cadre des demandes qui lui sont formulées.

N’autoriser la révision judiciaire du contrat qu’en présence d’un accord des parties pour saisir le juge, comme le propose votre commission, me semble réduire considérablement l’utilité et l’effectivité du texte. Il est en effet à craindre que celui qui bénéficie du changement des circonstances ne soit que fort peu incité au dialogue, dès lors que son obstruction empêcherait toute perspective de révision judiciaire du contrat.

En outre, il me semble qu’il serait regrettable que le juge, constatant que les conditions de l’imprévision sont réunies, n’ait d’autre choix que de mettre fin au contrat, avec les conséquences que cela peut parfois emporter, notamment d’un point de vue économique.

La rédaction initialement proposée par l’ordonnance pour l’article 1195, à laquelle je vous demande donc de revenir, permet au contraire à la partie lésée par un changement de circonstances imprévisibles de passer outre la mauvaise volonté de son cocontractant pour demander au juge de restaurer l’équilibre initialement envisagé par les parties.

Que l’on s’entende bien, il s’agit pour le juge non pas de refaire complètement le contrat et de rechercher un équilibre objectif entre les prestations, mais seulement de corriger le coût excessif que le changement de circonstances aurait occasionné pour l’une des parties.

Sous le bénéfice de ces observations, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande donc de bien vouloir revenir, à l’instar de l’Assemblée nationale, au texte initial de l’ordonnance.

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