Intervention de Bernard Jomier

Réunion du 1er février 2018 à 15h00
Fonds d'indemnisation des victimes des produits phytopharmaceutiques — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Bernard JomierBernard Jomier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de commencer cette intervention par un double constat, dressé conjointement par trois corps d’inspection de l’État, dans un rapport rendu public le 19 janvier dernier. Je pense que nous pouvons tous ici le partager.

Ce rapport souligne tout d’abord que l’utilisation massive des pesticides constitue « un enjeu majeur de santé publique tant pour les applicateurs et leurs familles que pour les riverains et la population en général ». Ce constat n’est pas nouveau. La mission d’information menée en 2012, présidée par notre collègue Sophie Primas et dont la rapporteur était Nicole Bonnefoy, faisait déjà état d’une « urgence sanitaire » sous-évaluée, notamment au regard des données épidémiologiques.

Le rapport souligne en outre que « le degré de certitude d’ores et déjà acquis sur les effets des produits phytopharmaceutiques commande de prendre des mesures fortes et rapides, sauf à engager la responsabilité des pouvoirs publics ».

Le message est clair. Les études scientifiques soulignent en effet que l’exposition des travailleurs et de leurs familles à ces produits augmente de manière significative les risques de contracter certaines pathologies. En France, l’expertise collective de l’INSERM de 2013, fondée sur une revue de la littérature scientifique internationale publiée au cours des trente dernières années, met au jour plusieurs niveaux de présomption s’agissant du lien entre l’exposition aux pesticides et différentes pathologies : hémopathies malignes, tumeurs cérébrales, cancers cutanés, maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, troubles cognitifs ou encore certains troubles de la reproduction et du développement. Elle insiste par ailleurs sur les expositions au cours de la période prénatale et périnatale, ainsi que pendant la petite enfance, qui semblent être particulièrement à risques pour le développement de l’enfant.

Nous savons que, sur certains points fondamentaux, les connaissances scientifiques établies permettent de retenir un lien de causalité : au sein du régime agricole, les quinze tableaux de maladies professionnelles liées à l’exposition aux pesticides sont là pour nous le rappeler.

La proposition de loi déposée par notre collègue Nicole Bonnefoy s’inscrit dans le prolongement de ces constats et pose la question de la réparation des dommages. Elle prévoit, sous certaines conditions, l’indemnisation des préjudices résultant de l’exposition à des produits phytopharmaceutiques en allant au-delà de la simple réparation forfaitaire, que notre législation sociale limite aux victimes professionnelles.

Les professionnels du secteur agricole sont bien évidemment la première population concernée. Oui, cette proposition de loi est un texte de justice sociale que nous devons aux agriculteurs, au secteur agricole et au monde rural. Ainsi, les agriculteurs et l’ensemble des professionnels du secteur pourront accéder au dispositif d’indemnisation dès lors qu’ils auront préalablement obtenu la reconnaissance d’une pathologie d’origine professionnelle sur le fondement du système déjà existant des tableaux de maladies professionnelles. Au regard des dommages causés, qui dépassent largement le préjudice économique pour englober les préjudices extrapatrimoniaux, une telle avancée me paraît aller dans le sens de l’histoire de notre protection sociale.

Il en va de même de l’ouverture du dispositif aux victimes exposées en dehors du cadre professionnel et que l’on peut qualifier de « victimes environnementales ». Je pense notamment aux riverains de champs agricoles qui subissent les effets des épandages. La proposition de loi les inclut dans le dispositif. Elle couvre enfin les enfants atteints d’une pathologie occasionnée par l’exposition aux pesticides de l’un de leurs parents. Il s’agit ici de prendre en compte principalement les expositions in utero.

De manière générale, il est apparu au cours des auditions que j’ai menées que la volonté d’améliorer les règles d’indemnisation est accueillie très positivement. L’ANSES, en particulier, s’est montrée favorable à la recherche d’une plus grande équité dans la prise en charge des victimes. En effet, pourquoi les victimes de l’amiante, des irradiations dues aux essais nucléaires, de médicaments auraient-elles accès à une réparation intégrale alors que les agriculteurs victimes de produits phytopharmaceutiques sont limités à une réparation forfaitaire ? L’ANSES a également souligné l’avantage d’un tel dispositif, qui permet de limiter les inconvénients liés à une judiciarisation des demandes.

Les réserves formulées sur la proposition de loi dans sa rédaction initiale ont essentiellement porté sur deux points : d’une part, la gouvernance du fonds d’indemnisation et la procédure d’instruction, qu’il a donc fallu préciser ; d’autre part, le financement, sur lequel les avis sont partagés.

D’aucuns souhaiteraient que le financement soit entièrement étatique et craignent qu’une hausse de la taxe sur les produits phytopharmaceutiques ne soit répercutée sur le prix de vente. Compte tenu du chiffre d’affaires du secteur en France – plus de 2 milliards d’euros chaque année – et de la capacité de négociation des intermédiaires, il me semble que cette réserve peut être levée. J’ajoute que les règles de recevabilité financière auxquelles nous sommes soumis ne nous permettraient pas de prévoir une contribution de l’État au financement du fonds. Une telle initiative, madame la ministre, ne pourrait venir que du Gouvernement. Si la fiscalité déjà prélevée sur la vente des produits phytopharmaceutiques offre un montant d’amorçage raisonnable, les ressources du fonds, nous en convenons tous, devront nécessairement être revues.

La commission des affaires sociales a apporté plusieurs séries de précisions à la proposition de loi afin de parvenir à un encadrement juridique rigoureux, prudentiel et qui sera nécessairement appelé à évoluer.

L’article 1er définit le champ des personnes éligibles au dispositif d’indemnisation. Sa rédaction initiale ne permettait pas d’en cerner parfaitement les contours. C’est pourquoi la commission a renvoyé à un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de l’agriculture le soin d’établir la liste des pathologies ouvrant droit à indemnisation pour les victimes non professionnelles.

À l’article 2, la commission a précisé l’organisation du fonds d’indemnisation en prévoyant qu’il comprend un conseil de gestion dont la composition est fixée par décret et qu’il est représenté à l’égard des tiers par le directeur de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole.

Sur la procédure d’examen des demandes, la commission a partagé l’avis général selon lequel faire reposer la charge de la preuve sur le demandeur rendrait le dispositif extrêmement complexe et, pour tout dire, très difficilement accessible. La jurisprudence récente dans le domaine de la santé reconnaît aujourd’hui que le doute scientifique ne fait pas nécessairement obstacle à la preuve requise du demandeur dès lors que celui-ci fait valoir un faisceau d’indices concordants sur les dommages causés par le produit. Nous avons donc jugé préférable de retenir une présomption de causalité. Une commission médicale indépendante serait chargée d’examiner les circonstances des expositions et de statuer sur leur lien avec la pathologie. C’est d’ailleurs le modèle des dispositions en vigueur pour le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA.

À l’article 4, la commission a porté de six à neuf mois le délai au terme duquel le fonds est tenu de présenter une offre d’indemnisation au demandeur.

L’article 7, qui prévoyait que le fonds serait financé notamment par une fraction de la taxe sur la vente de produits phytopharmaceutiques, dispose désormais que le produit de cette taxe sera affecté en priorité à l’ANSES et, pour le solde, au fonds d’indemnisation. Aujourd’hui, la taxe sur les produits phytopharmaceutiques, collectée par l’ANSES, permet de financer le dispositif de phytopharmacovigilance. Il est essentiel que celui-ci soit totalement préservé.

Enfin, au travers de l’article 9, la commission a renvoyé à un décret en Conseil d’État le soin de définir les modalités d’application de la loi et prévu une période transitoire durant laquelle le délai laissé au fonds pour présenter une offre est porté à douze mois au lieu de neuf. Il s’agit, sur ce point, de tenir compte des nécessaires contraintes liées à la phase d’installation et de montée en charge du fonds.

Telles sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les principales modifications apportées par la commission à la proposition de loi initiale.

Au cours de nos débats, je ne doute pas que certains souhaiteront insister sur l’encadrement plus étroit dont les produits phytopharmaceutiques ont progressivement fait l’objet au cours des dernières décennies. Je rappellerai simplement à ce stade que la nécessité de renforcer la prévention et la protection, constat sur lequel nous sommes tous d’accord, n’épuise en rien le sujet de la réparation lorsque des dommages ont été subis.

À cet égard, nous avons aujourd’hui acquis un niveau de connaissances suffisant pour ne pas différer notre travail de législateur au motif que ces connaissances sont encore en progrès. Il y va de notre responsabilité commune.

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