Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 7 février 2018 à 14h30
Orientation et réussite des étudiants — Discussion générale

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle :

Bien sûr qu’il faut se garder d’une réponse trop « adéquationniste » en termes d’offre et de besoin. Les métiers évoluent, mais force est de constater que nous ne prenons pas suffisamment en compte la réponse en termes de besoin.

Certains considèrent d’ailleurs que ce n’est pas le rôle de l’éducation. J’en veux pour preuve l’article 2 bis, ajouté par le groupe La France insoumise de l’Assemblée nationale et supprimé à bon escient par notre rapporteur, qui insérait dans le code de l’éducation un alinéa précisant que le premier cycle universitaire devra « contribuer à l’émancipation sociale et culturelle des étudiants afin qu’ils soient en mesure de développer un libre arbitre et une pensée critique leur permettant d’exercer leur citoyenneté de façon éclairée ». Mes chers collègues, comment ne pas partager une aussi noble ambition ? Reste que je suis sceptique quant à la possibilité pour un jeune de développer son libre arbitre lorsque, pour un sur quatre, la première porte qu’il poussera sera non pas celle d’une entreprise ou d’une administration, mais celle de Pôle emploi.

Comment exercer son libre arbitre, lorsque seulement 27 % des étudiants obtiennent une licence en trois ans, lorsque 61 % abandonnent les études dans lesquelles ils s’étaient engagés ou se réorientent vers d’autres formations ? Leur pensée critique, c’est à nous qu’ils l’adressent, pour ne pas les avoir éclairés sur ces risques et nous être réfugiés derrière ce discours : le diplôme protège.

Et tout cela, à quel prix ? Au prix d’un formidable gâchis humain et financier, de jeunes déçus et de parents frustrés, dont la plupart appartiennent aux classes sociales les plus modestes. Mieux vaut alors des parcours plus itératifs, notamment pour les jeunes titulaires d’un bac technologique ou professionnel, qui leur donnent l’assurance qu’ils pourront, s’ils le souhaitent, poursuivre leurs études, voire se réorienter. Le compte épargne formation constitue un très bon outil.

Je me réjouis donc des propositions du rapporteur, Jacques Grosperrin, qui visent à ce que les capacités d’accueil dans les formations du premier cycle prennent en compte les taux de réussite et d’insertion professionnelle, afin d’offrir aux étudiants des formations disposant de réels débouchés.

Toutefois, les débouchés ne sont pas uniformes sur l’ensemble de notre territoire et les besoins ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre. Or les régions sont des espaces pertinents en matière de cohérence et de stratégie des politiques économiques et de formation. Aussi, il me paraît souhaitable, dans un souci de plus grande efficacité du dispositif, que les acteurs régionaux soient étroitement associés à l’orientation et à la réussite des étudiants. J’y reviendrai lors de la discussion d’un amendement que j’ai déposé en ce sens, afin d’apporter une réponse territoriale.

Madame la ministre, votre proposition constitue à l’évidence une meilleure réponse que les dispositions actuelles. Elle prend, de façon encore timide, la dimension des besoins, indispensable si l’on veut donner à nos jeunes des perspectives plus réalistes en termes d’insertion professionnelle. C’est important pour chacun d’entre eux, pour leur famille, mais aussi pour garantir la cohésion sociale de la Nation, qui ne pourra longtemps encore accepter que 25 % d’une classe d’âge soit au chômage, contre 7 % en Allemagne.

Permettez-moi, avant de conclure, de saluer le travail de Jacques Grosperrin, rapporteur de ce texte, notamment son souci de simplifier ce dispositif, en certains points trop complexe, de mieux prendre en compte l’autonomie des établissements, de tenir compte des taux de réussite et d’insertion professionnelle.

Madame la ministre, ce projet de loi doit être non pas un aboutissement, mais le point de départ pour une orientation réussie des jeunes.

Aujourd’hui, dans notre pays, le déterminisme social est total, la réussite est largement réservée à ceux qui « savent » et à ceux qui « ont ». Dois-je rappeler qu’un fils d’ouvrier a dix-sept fois moins de chances de préparer une grande école qu’un fils d’enseignant ou de cadre supérieur et, dans le même temps, quatre fois plus de risque d’échec ?

C’est bien là la plus terrible, la plus inacceptable des sélections, la sélection, mot tabou que certains refusent même de prononcer, souvent par éthique, et c’est tout à fait respectable, mais aussi parce qu’ils confondent égalitarisme et égalité.

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