Intervention de Philippe Bas

Réunion du 13 février 2018 à 14h30
Accession à la pleine souveraineté de la nouvelle-calédonie — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Madame la ministre, mes chers collègues, prendre la parole à cette tribune – sous votre autorité, madame la présidente, c’est un honneur pour moi – à propos de la Nouvelle-Calédonie, quand on est attaché à l’histoire, en particulier à celle de ce territoire, ne peut se faire sans être imprégné d’un sentiment de responsabilité.

En effet, la représentation nationale a une responsabilité vis-à-vis de la paix et de la concorde civile en Nouvelle-Calédonie, mais aussi pour construire l’avenir de ce territoire.

Le scrutin d’autodétermination prévu pour l’automne prochain est, sans aucun doute, une étape, mais il n’est pas la fin de l’histoire.

Madame la ministre, vous avez évoqué un destin commun qui se prolongera, quelle que soit l’issue du scrutin. Je voudrais dire, pour être plus exact de mon point de vue, que le destin est commun tant que l’appartenance à la nation française est maintenue. Si cette appartenance n’est plus, nous serons en présence de pays qui ont vocation à être amis, mais qui sont souverains et devront discuter des coopérations qu’ils veulent développer. Il n’y a alors plus véritablement de destin commun, de même qu’il n’y en a plus avec un seul territoire français ayant choisi l’indépendance.

C’est d’ailleurs tout l’enjeu du scrutin de cette année de décider où ira la Nouvelle-Calédonie. Conscients de l’importance de cet enjeu, nous devons, au moment où il s’agit de déterminer la composition de la liste électorale permettant aux citoyens de Nouvelle-Calédonie de se prononcer sur l’avenir du territoire, être attentifs à ce que le résultat du scrutin ne puisse jamais être entaché de contestation au motif que des Calédoniens ayant vocation à s’exprimer n’auraient pas été admis à voter.

C’était déjà l’enjeu de la loi organique de 2015, dont j’étais également le rapporteur et qui a permis l’inscription sur la liste électorale spéciale de nombreux Calédoniens, qui n’auraient pas forcément pris l’initiative de demander cette inscription. Nous avons inauguré cette politique d’inscription d’office il y a maintenant près de trois ans.

Lors des entretiens de Matignon qui ont réuni, le 2 novembre dernier, tous les signataires ou leurs héritiers de l’accord de Nouméa de 1998, la décision a été prise d’aller plus loin dans le processus d’inscription d’office, afin de n’oublier personne.

C’est l’objet du texte qui nous est présenté. Il prévoit tout d’abord, parce que c’est la condition pour pouvoir être inscrit sur la liste électorale spéciale, que des inscriptions d’office pourront être faites sur la liste électorale générale pour tous les résidents de Nouvelle-Calédonie dont la résidence est ancienne d’au moins six mois.

Cette première opération effectuée, le texte dont nous avons à discuter permet l’inscription d’office, sur la liste électorale spéciale, de Calédoniens dont le centre des intérêts matériels et moraux sera présumé du fait que, premièrement, ils seront natifs de Nouvelle-Calédonie et, deuxièmement, ils y auront résidé au moins trois ans.

Le texte indique que cette inscription d’office n’est pas automatique, ce qui pose naturellement la question de savoir ce que peut être une inscription d’office non automatique. Le texte y répond, autant qu’il peut le faire et sans aller au-delà de l’accord qui a été conclu entre les parties calédoniennes sous les auspices du Premier ministre le 2 novembre dernier : il prévoit que la présomption de détention des intérêts matériels et moraux en Nouvelle-Calédonie, dès lors qu’on y est né et y réside depuis au moins trois ans, est une présomption simple, c’est-à-dire qu’elle n’est pas irréfragable.

En outre, l’inscription par les commissions administratives spéciales, si elle n’est pas automatique, ne peut être refusée qu’en fonction des éléments fournis par l’État. Ces éléments proviennent d’un certain nombre de fichiers, le principal étant celui de l’organisme de sécurité sociale propre à la Nouvelle-Calédonie, lequel va pouvoir établir qu’une personne est résidente depuis au moins trois ans, tout simplement parce que des cotisations sociales auront été versées pendant cette période.

Voilà ce qui fait l’objet de l’accord et qui est fidèlement retranscrit dans le présent texte. Si j’ai tenu à me rendre en Nouvelle-Calédonie, ce que j’ai fait avec Jacques Bigot, c’est pour entendre toutes les parties calédoniennes et vérifier, à partir de là, que le projet de loi organique correspond bien à la volonté commune des parties.

Je n’assurerais pas que toutes les parties calédoniennes font exactement la même interprétation de ce texte, mais je suis sûr qu’il correspond bien à leur volonté commune, avec sa force, mais aussi avec ses limites.

Il me semble qu’il ne nous appartient pas de modifier l’équilibre de ce texte, car nous risquerions, si nous le faisions, de nous écarter de cet accord et de provoquer nous-mêmes des tensions inutiles en Nouvelle-Calédonie.

Le projet de loi organique prévoit aussi que les personnes inscrites sur les listes électorales des communes de Bélep, de l’île des Pins, de Lifou, de Maré et d’Ouvéa, mais qui n’y vivent pas, puissent voter à Nouméa. Il ne leur sera donc pas demandé de revenir dans leur commune d’origine pour voter, ce qui est un point très important. Pour cela seront créés à Nouméa des bureaux décentralisés dépendant de ces communes, où les électeurs concernés pourront se prononcer sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

En lien avec cette facilité offerte aux électeurs des îles, il est prévu de restreindre le recours aux procurations, dont on a observé qu’il était excessif en Nouvelle-Calédonie. Alors même que le régime des procurations a été libéralisé en France il y a quelques années, ce texte prévoit de limiter les conditions d’un empêchement justifiant d’y avoir recours. S’il est, par exemple, possible aux électeurs des îles de voter à Nouméa, pourquoi leur accorder la possibilité de voter par procuration ?

Le Gouvernement a également déposé deux amendements sur ce texte, dont je viens de décrire l’architecture générale. Le premier de ces amendements concerne la répartition équitable du temps de parole entre les forces politiques représentées au congrès de la Nouvelle-Calédonie. Le second vise à insérer des dispositions permettant de faciliter le remboursement des frais engagés pour la campagne électorale.

Au final, ce projet de loi organique permet de faire le chemin qui nous sépare du référendum d’autodétermination, dans des conditions qui évitent les tensions inutiles. Nous pouvons ainsi espérer que, quel qu’en soit le résultat, ce scrutin sera validé par toutes les forces calédoniennes.

Encore faudra-t-il, au lendemain de cette consultation, savoir prendre les initiatives qui rassembleront les Calédoniens. Incontestablement, la République et son gouvernement auront un rôle majeur à jouer pour éclairer le chemin et permettre à tous les Calédoniens de se retrouver, afin de forger une nouvelle entente, qui vaudra pour les décennies à venir. C’est en tout cas le vœu que je forme, à cette tribune, au moment d’ouvrir le débat sur ce projet de loi organique.

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