Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 15 février 2018 à 15h00
Orientation et réussite des étudiants — Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, au sortir de la commission mixte paritaire, le sentiment qui prédomine est celui de la déception.

Déception, car ce projet de loi avait pour finalité de favoriser l’orientation et la réussite des étudiants, comme le souligne son intitulé. Malheureusement, l’intérêt des étudiants a été progressivement perdu de vue au cours des discussions, au profit d’autres considérations. Désormais, il n’est plus l’objectif principal et fondamental de ce texte.

En définitive, il n’est que faiblement question d’orientation. Je ne vais pas reprendre les propos que j’avais formulés lors de la discussion générale en première lecture, mais il est regrettable, et même frustrant – notre collègue Antoine Karam a lui aussi parlé de frustration –, de ne pas avoir pu mener une réflexion beaucoup plus approfondie sur le sujet.

Cloisonner ainsi notre réflexion empêche de penser globalement une politique de l’orientation ambitieuse, qui créerait un continuum entre le secondaire et le supérieur. Or ce manque de liant est précisément l’un des facteurs responsables de l’échec des étudiants en licence.

Le projet de loi aurait pu aborder cette problématique et dessiner des pistes ; il n’en a rien été. On était bien sur un texte d’affectation et non d’orientation.

Le bon sens commande pourtant de rappeler que la plupart des lycéens font des choix quasiment à l’aveugle, tout simplement parce qu’ils n’ont jamais approché les matières qu’ils vont étudier dans l’enseignement supérieur. Au mieux, ils en ont une idée savante, textuelle, mais aucunement sensible. Même s’ils sont amenés à réfléchir davantage à leur orientation en classe de terminale – il s’agit là d’une évolution évidemment positive –, rien ne remplacera la mise en situation lors de la première année de licence.

C’est cette année-là qui valide ou invalide le projet d’orientation. Par conséquent, il existe bien un continuum évident entre l’année de terminale et la première année dans le supérieur, au cours de laquelle le projet imaginé se confronte à la réalité des faits. C’est pourquoi ce continuum aurait dû être l’axe majeur d’une politique d’orientation en faveur de la réussite des étudiants.

Un tel objectif impliquait de changer radicalement de regard sur la première année à l’université, en imaginant notamment un tronc commun, en facilitant les passerelles, en permettant à l’étudiant de peaufiner et de parachever son projet d’orientation en somme. Nous aurions aimé ouvrir le débat – c’était le sens de certains de nos amendements –, mais il n’en a rien été.

En préambule, j’évoquais notre déception à l’égard du texte issu de la commission mixte paritaire. En effet, lorsque le projet de loi est venu en discussion au Sénat, nous ne l’avons aucunement rejeté en bloc. Ce que nous souhaitions, c’est que les conditions soient réunies pour assurer la réussite de tous les étudiants.

C’est la raison pour laquelle nous avons déposé près d’une trentaine d’amendements, qui tendaient à améliorer et valoriser les dispositifs d’accompagnement mis en œuvre par les établissements, et à améliorer la procédure dite de « dernier ressort » pour les candidats qui n’auraient obtenu aucune affectation.

La majorité sénatoriale a cependant fait évoluer le texte dans une direction diamétralement opposée à nos attentes – cela surprendra assez peu –, mais aussi antinomique avec la volonté initialement exprimée par le Gouvernement sur certains points du projet de loi. J’y reviendrai.

Il s’ensuit que nous ne pouvions que nous opposer à ce texte, qui se trouvait totalement dénaturé par les modifications apportées par la majorité sénatoriale. Nous n’étions plus dans une logique de réussite de l’ensemble des étudiants, mais dans une logique de sélection affirmée, revendiquée et assumée. Ce ne sont plus les étudiants qui choisissaient leurs universités et bénéficiaient éventuellement de dispositifs d’accompagnement ; ce sont les universités qui finissaient par recruter les étudiants de leur choix. Une telle logique, comme je l’ai souligné en première lecture, revenait à clairement entacher la promesse républicaine !

Alors, oui, nous attendions de la commission mixte paritaire qu’elle rééquilibre le texte. Nous sommes d’autant plus déçus que ce rééquilibrage n’a eu lieu qu’à la marge. Pour étayer mon propos, je prendrai deux exemples concrets, qui constituent des lignes rouges pour notre groupe politique.

En premier lieu, il s’agit de la manière de déterminer chaque année les capacités d’accueil des formations du premier cycle de l’enseignement supérieur. Initialement, le projet de loi comportait un principe général selon lequel ces capacités étaient « arrêtées par l’autorité académique après proposition de chaque établissement ». Nous y étions favorables.

La majorité sénatoriale a souhaité préciser que ces capacités tiennent compte des « taux de réussite et d’insertion professionnelle observés pour chacune des formations ».

Alors que notre système doit faire preuve d’une évidente souplesse pour adapter ces formations par l’intermédiaire du numérique ou de l’intelligence artificielle, compte tenu de la rapidité des mutations qui traversent nos sociétés, le risque était de figer les offres de formation, de scléroser la dynamique académique, voire d’empêcher nos étudiants d’intégrer des filières d’avenir, ce que nous avons appelé les métiers de demain lors de nos débats.

In fine, bien qu’elle ait été complétée, la rédaction de compromis issue de la commission mixte paritaire demeure quelque peu alambiquée. Les fameuses « perspectives d’insertion professionnelle des formations » – formule que je ne comprends toujours pas… – sont incertaines d’un point de vue juridique et, finalement, ne changent rien sur le fond. On y retrouve en effet l’« adéquationnisme » entre offre et besoins qui est contraire à l’objectif même de l’université.

Cette formulation aux incidences si notables, fruit d’un compromis entre la majorité présidentielle et la majorité sénatoriale, est vraiment très éloignée du texte initial. Nous ne pouvons l’approuver.

En second lieu, je souhaite évoquer la procédure dite « de dernier recours » qui a pour but d’inscrire dans une formation un étudiant qui n’aurait eu aucune affectation à l’issue de la saisie initiale de ses dix vœux. La rédaction originelle ne nous semblait pas optimale, mais l’article, tel qu’il est rédigé aujourd’hui, est, pour nous, inacceptable. En effet, nous avons toujours insisté sur le fait que l’équilibre de la réforme proposée par le Gouvernement reposait en grande partie sur le recteur qui en est le garant.

Certes, la commission mixte paritaire est revenue à cette idée en conférant de nouveau au recteur le rôle essentiel d’affecter un candidat dans une formation, tout en supprimant le droit de veto de l’établissement dans cette procédure. Il s’agit d’une bonne mesure.

Toutefois, la nouvelle rédaction de cet article n’accorde pas la confiance et la souplesse nécessaires au recteur dans le cadre de son dialogue avec l’étudiant, et ce dans la perspective de lui trouver une formation qui corresponde à ses souhaits. De plus, s’est ajoutée l’obligation du « oui si », qui durcit encore davantage la procédure de dernière chance.

Est-ce ainsi que l’on assure le droit à chaque étudiant de poursuivre ses études supérieures ? Est-ce ainsi que l’on fait primer l’intérêt de l’étudiant sur la régulation des flux, l’opérationnalité d’un système ou le manque de places dans les établissements ? Est-ce ainsi que l’on recherche réellement la réussite de tous les étudiants ? Je ne le crois pas !

Aussi, bien que la disposition relative à l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants extracommunautaires ait été retirée du texte, nous ne pouvons souscrire aux conclusions de la commission mixte paritaire.

« La précipitation est mauvaise conseillère », dit l’adage. Sûrement, madame la ministre, était-il nécessaire d’obtenir un accord rapide entre les deux assemblées, afin de donner une base légale à Parcoursup, qui est d’ores et déjà entré en vigueur. Sûrement y avait-il urgence, mais cette urgence devait-elle se régler au détriment de l’intérêt des étudiants ? Non seulement je ne le crois pas, mais je le regrette sincèrement.

Nous ne sommes plus appelés à nous prononcer sur votre projet de loi, mais sur un compromis excessivement bancal, qui crée une forte insécurité juridique et qui est empreint d’une tonalité et d’un esprit ressemblant étrangement à ceux de la majorité sénatoriale, ce qui ne nous convient pas.

En conséquence, notre groupe votera contre les conclusions de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi, lequel n’est décidément plus en faveur de l’orientation et de la réussite de tous les étudiants. Il s’agit d’un vrai rendez-vous manqué !

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