Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 21 février 2018 à 14h30
Régime d'ouverture des établissements privés hors contrat — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’une proposition de loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat.

L’école concentre beaucoup de convictions, de passion et d’émotions, parce qu’elle est un enjeu de société, un enjeu pour les familles et un enjeu pour chaque enfant.

Mes chers collègues, l’école est comme la loi : il ne nous faut la « toucher que d’une main tremblante ».

Si la liberté d’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, qui inclut le droit des parents à choisir l’instruction de leurs enfants, cette liberté doit se conjuguer avec le droit de l’enfant à l’instruction, garanti par le préambule de la Constitution, mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Aussi, si la main doit trembler sur l’évolution de cette liberté, elle doit être ferme pour protéger les enfants de la République.

La presse a ses marronniers, à savoir des sujets que l’on voit régulièrement ressurgir. La liberté d’enseignement est, en quelque sorte, un marronnier pour les législateurs, car elle est régulièrement mise en débat.

Ici même, voilà plus d’un siècle, le 17 novembre 1903, le Sénat examinait le projet de loi Chaumié, qui avait déjà pour objet de substituer, à un régime d’autorisation préalable, un régime de déclaration. Permettez-moi de citer l’un de nos plus illustres prédécesseurs sur ces travées, Georges Clemenceau, qui s’adressait ainsi à ses collègues : « Vous avez fait la liberté de la presse, vous avez fait la liberté de réunion […]. Vous aurez le courage de faire la liberté d’enseignement ».

En 2016, dans le cadre du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, le gouvernement de l’époque avait proposé de substituer, au régime de déclaration, un régime d’autorisation préalable.

La majorité sénatoriale, considérant que ce dispositif – parfois réclamé à gauche, il faut le reconnaître, mais aussi à droite – était incompatible avec la liberté d’enseignement, avait choisi d’adopter un amendement visant à renforcer le régime de déclaration. En effet, si nous divergions sur la proposition gouvernementale, force est de reconnaître que le constat d’impuissance des autorités publiques, alors exprimé par notre éminent collègue le ministre Patrick Kanner, était incontestable et largement partagé.

C’est cet amendement, déposé par mes soins en qualité de rapporteur, qui est examiné aujourd’hui sous la forme d’une proposition de loi.

La liberté est indissociable de la responsabilité.

D’abord, la responsabilité de l’État, qui doit veiller à l’exercice de cette liberté dans le cadre de la loi et qui doit veiller tout autant à protéger les enfants contre l’endoctrinement, l’amateurisme, l’insuffisance pédagogique, les phénomènes sectaires, voire de radicalisation religieuse.

Ensuite, la responsabilité de tout établissement, qui doit répondre aux obligations d’instruction et d’acquisition du socle commun de connaissances, tel que défini par la loi.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

L’ouverture d’un établissement privé d’enseignement scolaire relève d’un régime déclaratif qui se décline en trois procédures distinctes, en fonction de la nature de l’enseignement dispensé : premier degré, second degré général ou enseignement technique. Ces procédures ont été définies par trois lois datant du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

Détaillées dans une circulaire de juillet 2015, ces procédures font intervenir, à chaque fois, et de manière différente, le maire, l’autorité académique, le préfet, ainsi que le procureur de la République.

Ces derniers peuvent s’opposer à l’ouverture d’un établissement hors contrat seulement pour des motifs liés aux bonnes mœurs – du XIXe siècle – et à l’hygiène et, pour le seul enseignement technique, pour des considérations d’ordre public.

En outre, l’administration dispose de délais tellement courts – huit jours dans le cas d’un maire – pour s’opposer à l’exercice de cette activité que les autorités compétentes ne peuvent pas réellement exercer leur responsabilité.

Le nombre d’élèves scolarisés dans le secteur privé hors contrat s’élève à 73 000, dont 57 % dans l’enseignement primaire relevant de la scolarité obligatoire. La progression du nombre d’établissements hors contrat est extrêmement significative : nous passons de 803 en 2010 à 1 300 en 2017, soit une croissance de plus de 60 %.

Cette augmentation s’explique par divers motifs : un engouement pour des pédagogies alternatives, parfois le choix d’une éducation religieuse, une volonté d’accorder plus de place aux langues étrangères ou régionales, mais aussi, il faut le reconnaître, parfois une déception à l’égard de l’éducation nationale.

L’actualité récente vient illustrer les difficultés et la zone grise juridique auxquelles nous sommes confrontés.

Je pense notamment à l’école Al-Badr, à Toulouse, dont plusieurs membres de l’équipe étaient fichés S. Le procureur de la République, le préfet, le maire se sont trouvés totalement dépourvus face au refus d’obtempérer à la décision de fermeture, après un jugement du tribunal correctionnel. Le directeur d’établissement a ouvert un nouvel établissement, sous un autre nom, dans les mêmes locaux, avec les mêmes enseignants, et l’opposition de la rectrice contre cette nouvelle ouverture a été jugée illégale par le tribunal administratif de Toulouse.

On peut aussi évoquer un rapport d’inspection, non publié, de 2016 de l’académie de Versailles faisant état « d’inquiétantes dérives » et de « faillite éducative ». Il est écrit dans sa conclusion : « La vigilance s’impose sur les effets d’une éducation qui impose des croyances ou des convictions et occulte des pans entiers du savoir au profit d’une idéologie ». Ainsi, peut-on enseigner que Pétain a sauvé la France en 1940 ?

Le législateur peut-il fermer les yeux sur des déviances qui contreviennent aux lois de la République et à la protection des enfants ? Que disons-nous à ce maire de la commune de Raismes, dans le Nord, qui ne cesse d’alerter les pouvoirs publics, mais que la loi laisse totalement seul dans le désert de ses responsabilités ?

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise à simplifier, harmoniser les procédures et mieux encadrer le régime de déclaration.

L’article 1er simplifie la législation, en fusionnant les trois régimes existants.

Il renforce la capacité de contrôle exercée par les différentes autorités, y compris le maire, en allongeant les délais d’opposition et en unifiant les motifs d’opposition.

Il en ajoute également de nouveaux, permettant au maire de s’opposer pour des motifs liés à la sécurité et à l’accessibilité des locaux, et, aux services de l’État, en cas de non-respect des conditions de titres et de moralité du chef d’établissement et des enseignants.

Les sanctions en cas d’ouverture d’un établissement en dépit d’une opposition sont renforcées et le directeur académique peut mettre immédiatement les parents d’élèves en demeure de scolariser leurs enfants dans un autre établissement.

Par voie d’amendement, nous proposerons une simplification supplémentaire de la procédure, à travers l’instauration d’un guichet unique pour le dépôt des déclarations, ainsi qu’une harmonisation du délai pour toutes les autorités publiques.

L’article 2 affirme le principe d’un contrôle annuel de chaque établissement ou classe hors contrat.

Toutefois, toutes les observations recueillies laissent à penser qu’un contrôle annuel disperserait les moyens alloués. Aussi sera-t-il proposé un contrôle obligatoire lors de la première année, avec confirmation de la possibilité, qui existe déjà, de contrôles inopinés.

Monsieur le ministre, le sujet du contrôle est très important. Il conviendra de professionnaliser ces contrôles, afin d’aider les inspecteurs dans cette mission parfois très délicate, comme l’académie de Versailles l’a initié. Les inspecteurs doivent être particulièrement sensibilisés aux méthodes pédagogiques alternatives, mais aussi à l’apprentissage de certaines langues étrangères dans lesquelles se déroulent les enseignements.

Cet article prévoit également que les services de l’éducation nationale devront prévenir le préfet et le procureur de la République s’il apparaît que l’enseignement dispensé est contraire à la moralité ou aux lois ou que des activités menées au sein de l’établissement sont de nature à troubler l’ordre public.

Enfin, l’article 3 étend aux directeurs et enseignants du second degré général les conditions d’âge, de nationalité et de capacité qui n’existaient jusqu’alors que pour leurs homologues du second degré technique.

Une obligation est établie, pour le directeur d’un établissement d’enseignement du second degré privé, d’avoir exercé pendant cinq ans, au moins, les fonctions de professeur ou de surveillant dans un établissement scolaire de même type.

Pour conclure, je veux saluer avec sincérité, quel que soit le vote final de leurs membres, tous les groupes politiques du Sénat pour avoir accepté de dialoguer sur ce texte, chacun dans le respect de ses convictions.

Je remercie le groupe centriste, tout particulièrement son président, Hervé Marseille, qui a choisi d’inscrire ce texte dans une niche du groupe, prouvant ainsi sa conviction quant à la nécessité et l’urgence d’agir.

Je remercie la rapporteur, notre collègue Annick Billon, la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et les administrateurs pour l’excellent travail accompli.

Je vous remercie également, monsieur le ministre, pour le dialogue exigeant que nous avons eu.

Mes chers collègues, ce texte est difficile, sensible – inflammable, ai-je même lu – parce qu’il touche au creuset de la République, l’école, et donc à nos convictions.

Les commentaires, enthousiastes, fort créatifs de toutes celles et de tous ceux qui s’opposent à ce texte, le qualifiant de liberticide, funeste, soviétiforme, auront certainement contribué à enrichir notre vocabulaire dans la catégorie « excès de langage ». Qu’ils en soient ici remerciés !

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