Intervention de Annick Billon

Réunion du 21 février 2018 à 14h30
Régime d'ouverture des établissements privés hors contrat — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Photo de Annick BillonAnnick Billon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Françoise Gatel répond à un constat simple : le régime d’ouverture des écoles privées est dépassé, incohérent et, à bien des égards, dangereux. Héritage de lois anciennes – loi « Falloux » de 1850, loi « Goblet » de 1886 et loi « Astier » de 1919 –, ce régime se décline en trois procédures distinctes selon que l’établissement relève du premier degré, du second degré général ou du second degré technique.

Ces procédures font intervenir, à chaque fois de manière différente, le maire, l’autorité académique, le préfet, ainsi que le procureur de la République.

Elles sont rendues largement inopérantes par les délais extrêmement brefs accordés aux autorités compétentes – huit jours pour le maire, un mois pour les services de l’État – pour s’opposer à l’ouverture de l’établissement.

Le caractère fortement restrictif des motifs pour lesquels il est possible de formuler une opposition contribue aussi à rendre ces régimes inopérants. Pour le premier et le second degrés, les autorités compétentes ne peuvent s’opposer à l’ouverture de l’établissement que pour des motifs liés aux bonnes mœurs et à l’hygiène ; l’ordre public et la nature de l’enseignement dispensé sont pris en compte pour le seul enseignement technique.

Curieusement, il est impossible de s’opposer à l’ouverture d’un établissement en s’appuyant sur des critères qui permettent d’ores et déjà de demander sa fermeture ! Ainsi, même s’il ressort du dossier que le directeur ne respecte pas les conditions d’exercice ou qu’il a été condamné pour crime ou délit contraire à la moralité, les autorités ne pourront s’opposer à l’ouverture.

Or une fois l’école ouverte, seul le juge judiciaire peut prononcer sa fermeture en cas de méconnaissance de la procédure d’ouverture ou de manquement répété dans l’enseignement dispensé. Trop souvent, les maires et les services de l’État sont donc placés dans une situation de fait accompli.

Le caractère obsolète des dispositions actuelles a été mis en lumière par la forte croissance de l’enseignement privé hors contrat. Le nombre d’établissements a crû : 800 en 2010, 1 300 en 2017.

L’engouement que connaît le secteur privé hors contrat concerne essentiellement le primaire. En effet, tandis que les effectifs d’élèves dans le second degré régressent légèrement, le nombre d’élèves dans le premier degré a presque doublé sur la même période. Au total, le nombre d’élèves scolarisés dans les établissements hors contrat a augmenté de 23 % depuis 2012, pour atteindre 73 000 à la rentrée de 2017.

Contrairement à ce que certains affirment, l’objet de ce texte n’est pas de freiner ou de combattre la croissance de ce secteur. Celle-ci découle d’un phénomène de société, aux causes multiples. Je citerai plus particulièrement la défiance vis-à-vis de l’école publique, voire de l’enseignement privé sous contrat, et la préférence pour des pédagogies alternatives ou plus bienveillantes.

En revanche, la multiplication des ouvertures d’établissements – 130 en 2017 – donne au problème du régime juridique une acuité nouvelle, ce que confirment certains exemples récents, comme à Toulouse.

Pour autant, s’il est nécessaire d’agir, je conviens qu’il faut le faire avec prudence.

Lorsqu’il détermine les règles relatives à l’ouverture des établissements d’enseignement privé, le législateur doit concilier deux principes juridiques d’égale valeur : la liberté de l’enseignement – principe fondamental reconnu par les lois de la République – et le droit à l’éducation des enfants.

Au-delà des seules considérations juridiques, il importe de trouver un équilibre entre l’exigence nécessaire à la protection des enfants et la facilité d’ouverture d’une école. Placer la marche trop haut risquerait de reporter une partie des projets d’école vers l’instruction dans la famille et, dans certains cas, vers des écoles clandestines.

C’est parce qu’il y voyait une atteinte disproportionnée à la liberté de l’enseignement que le Sénat s’était opposé, en 2016, au projet du gouvernement de l’époque d’instituer un régime d’autorisation préalable pour l’ouverture des établissements d’enseignement scolaire privés.

En réponse à ce projet, notre collègue Françoise Gatel, alors rapporteur du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, avait déposé un amendement, dont la proposition de loi examinée aujourd’hui reprend les termes.

Il s’agissait de démontrer qu’il était possible de conserver un régime déclaratif tout en l’actualisant et le sécurisant. In fine, le Conseil constitutionnel censura l’article adopté dans la rédaction gouvernementale, du fait de l’imprécision de l’habilitation à légiférer par ordonnance.

Le problème reste donc entier : un régime juridique dépassé, incohérent et inopérant. C’est tout à l’honneur de notre collègue de ne pas s’être contentée d’une « victoire » juridique, mais d’avoir cherché à résoudre le problème à l’origine de ce débat.

Françoise Gatel vous a présenté les grandes lignes de sa proposition de loi. Sans anticiper l’examen des articles, je souhaite évoquer les axes principaux des évolutions proposées : l’harmonisation et la simplification, d’une part, le renforcement de l’effectivité du contrôle, d’autre part.

Premier axe principal : l’harmonisation et la simplification.

Il ne faut pas moins de treize pages de circulaire pour décrire le droit en vigueur, tant les conditions diffèrent pour chaque type d’établissement. Cela est source de complexité et de confusion pour les citoyens, comme pour les maires et les services de l’État.

C’est pourquoi l’article 1er de la proposition de loi tend à unifier les trois régimes d’ouverture et à mieux les encadrer, par l’allongement des délais d’examen et en permettant au maire et à l’État de s’opposer sur le fondement de l’ordre public ou du non-respect des conditions d’exercice du demandeur et du directeur.

J’ai souhaité pousser cette simplification plus loin encore, en proposant la fusion des deux déclarations existantes et la création d’un guichet unique auprès des services de l’éducation nationale. Il s’agit également de distinguer clairement la personne qui ouvre l’établissement – le président de l’association qui en sera le support, par exemple – de la personne qui le dirigera. Les textes en vigueur entretiennent une confusion préjudiciable à la clarté du droit.

La même exigence de simplification et d’harmonisation a présidé aux modifications que nous proposons à l’article 3.

Dans le droit en vigueur, les conditions pour diriger un établissement privé et y enseigner varient fortement selon la nature de l’établissement. Elles sont particulièrement réduites pour le premier degré et, pour les enseignants du second degré général, il n’existe absolument aucune condition d’âge, de nationalité et de diplôme. À l’inverse, elles sont beaucoup plus contraignantes pour les établissements techniques.

Ces disparités, si elles ont une justification historique, n’apparaissent plus pertinentes aujourd’hui, d’autant que c’est à l’école primaire et au collège que la conscience des enfants est la plus fragile et qu’il convient de les protéger.

C’est pourquoi nous vous proposons, à l’article 3, une unification ambitieuse des conditions d’exercice des directeurs et des enseignants. Il s’agit d’une demande forte des principaux acteurs du secteur, qui sont confrontés à la diversité des statuts et des exigences, en particulier dans les établissements regroupant plusieurs niveaux d’enseignement.

Second axe principal de notre réflexion : l’effectivité des contrôles.

Il y a en effet des limites aux vérifications rendues possibles dans le cadre d’un contrôle sur pièces au moment de l’ouverture. Le contrôle de l’enseignement dispensé ne peut être réalisé qu’à partir du moment où l’école fonctionne.

Or ce contrôle est encore insuffisant aujourd’hui. Les académies les plus concernées reconnaissent que de nombreux établissements hors contrat n’ont jamais fait l’objet d’un contrôle. Trop peu d’établissements nouvellement créés sont contrôlés au cours de leur première année d’exercice : moins de la moitié sur l’année scolaire 2016-2017. Nous sommes bien en deçà des objectifs fixés par la circulaire du 17 juillet 2015, à savoir un contrôle lors de la première année et de la cinquième année d’exercice.

Toutefois, mes chers collègues, nous ne vous proposons pas de prévoir que la loi prescrive davantage qu’un contrôle obligatoire lors de la première année d’exercice, ce qui semble être une exigence minimale.

Le droit ne saurait saisir entièrement la réalité de l’action publique et du contrôle. À être excessivement prescriptifs, nous risquons de supprimer les marges de manœuvre des rectorats et, in fine, de limiter l’efficacité des contrôles. En la matière, rien ne remplace la volonté du ministre, volonté sur laquelle nous comptons.

Enfin, lorsque des manquements sont constatés, les procédures sont insuffisamment claires et opérationnelles, du fait, notamment, d’ambiguïtés de rédaction.

Mes chers collègues, je vous invite à adopter les amendements présentés par Françoise Gatel, qui reprennent ceux que j’avais présentés en commission. Ils sont l’aboutissement d’un travail de compromis visant à instituer un régime le plus simple et le plus efficace possible, conforme à l’intérêt général.

Donnons la preuve que notre assemblée sait être force de proposition, qu’elle sait être au rendez-vous, dans l’intérêt de la France et de ses enfants, et sans se défaire du souci de préserver la liberté d’enseignement.

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