Intervention de Jean-Michel Blanquer

Réunion du 21 février 2018 à 14h30
Régime d'ouverture des établissements privés hors contrat — Adoption d'une proposition de loi modifiée

Jean-Michel Blanquer :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, madame la rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis aujourd’hui pour l’examen de la proposition de loi de Mme la sénatrice Françoise Gatel visant à simplifier et mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements privés hors contrat.

Je tiens tout d’abord à saluer cette initiative sénatoriale, qui me semble importante, car elle est à la croisée de droits et libertés qui sont parmi les plus précieux : la liberté d’enseignement, mais aussi la nécessité de protéger chaque enfant de France en lui permettant de s’épanouir dans le cadre des principes de la République.

Le Gouvernement partage pleinement la nécessité de légiférer sur la question de l’ouverture des établissements hors contrat. Cela a été dit à cette tribune, et je tiens à le souligner, le régime d’ouverture de ces établissements est à la fois ancien et très complexe : complexe pour les quatre administrations qui sont chargées de suivre l’ouverture des écoles avec des moyens d’action très différents entre les services municipaux, les services académiques, les services de la préfecture et ceux du procureur de la République ; complexe aussi pour ceux qui veulent ouvrir une école.

Il est donc très important de clarifier, de simplifier et de préciser, pour sortir d’un régime obsolète, car le régime d’ouverture des établissements privés d’enseignement scolaire qui figure au code de l’éducation résulte de la juxtaposition de dispositions de trois lois, anciennes et respectables, mais qui, pour certains de leurs aspects, sont aujourd’hui dépassées : la loi Falloux du 15 mars 1850 sur l’enseignement secondaire ; la loi Goblet du 30 octobre 1886 sur l’enseignement primaire ; la loi Astier du 25 juillet 1919 sur l’enseignement technique.

Ces dispositions, codifiées en 2000, ont en commun de prévoir un régime déclaratif pour l’ouverture d’un établissement. Nous sommes tous, dans cet hémicycle, très attachés aux grandes lois de la Troisième République qui portent sur l’école et sur la liberté, car elles sont nées en même temps que les grandes lois qui fondent les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République – la liberté d’association et la liberté de la presse, par exemple – et notre contrat social républicain.

C’est donc avec prudence, mais aussi avec une certaine révérence, que nous regardons cet édifice législatif : nous devons être fidèles à l’esprit de ces lois, ce qui suppose de leur apporter les nécessaires évolutions pour qu’elles continuent à être le cadre de la vie collective et demeurent pertinentes.

Aujourd’hui, le cadre juridique répond difficilement à la hausse exponentielle des ouvertures d’établissements hors contrat : en 2010, je le rappelle à mon tour, on comptabilisait environ 800 établissements hors contrat ; aujourd’hui, ce chiffre dépasse les 1 300. Cette hausse des effectifs concerne essentiellement le premier degré.

Bien sûr, nous pouvons nous féliciter, sous un certain angle, de la croissance de ces nouvelles initiatives, car elles peuvent correspondre à une dynamique pédagogique qui nous montre à quel point l’éducation est un sujet au cœur de la vie des Français, que la créativité pédagogique est très dynamique en France et que la liberté d’enseignement est une réalité. Ces principes sont évidemment respectables.

Ces chiffres traduisent aussi la nécessité de moderniser et de simplifier le cadre juridique dans lequel cette liberté d’enseignement s’exerce.

Du point de vue de la complexité, pour le premier degré, le second degré et l’enseignement technique, il existe trois procédures différentes avec, à chaque fois, des moyens d’action différents pour le maire, l’autorité académique, le préfet et le procureur de la République.

Pour le premier degré et l’enseignement technique, une double déclaration est nécessaire auprès du maire et des services de l’État, alors que cette double déclaration n’est pas nécessaire pour l’enseignement secondaire.

Les délais d’opposition sont différents selon les administrations et le type d’établissement : ainsi, le maire dispose de huit jours, les services de l’État d’un mois pour le premier et le second degré, et de deux mois pour l’enseignement technique.

Enfin, et ce n’est pas le moins important, les motifs d’opposition diffèrent selon le type d’établissement : les services de l’État peuvent fonder leur refus sur les motifs tirés de l’hygiène et des bonnes mœurs et, seulement pour l’enseignement technique, de l’ordre public.

Le cadre juridique actuel, qui juxtapose donc trois régimes déclaratifs différents du point de vue tant des délais que des motifs d’opposition, est aussi complexe pour les porteurs de projet d’établissement que pour les quatre administrations qui le mettent en œuvre.

Ce régime complexe est aussi incomplet, parce que le cadre juridique actuel ne permet pas de s’opposer à l’ouverture d’une école par un porteur de projet qui aurait été condamné pour des faits graves, par exemple un viol sur mineur. Dans ce cas, l’administration doit attendre que cet individu ouvre son école, puis elle peut déclarer cette illégalité au procureur, qui peut alors saisir le tribunal correctionnel, qui, lui-même, peut condamner l’individu. Entre-temps, des dangers auront été encourus par les élèves.

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