Intervention de Jean Bizet

Réunion du 21 février 2018 à 21h30
Libre-échange entre l'union européenne l'australie et la nouvelle-zélande — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean BizetJean Bizet :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mes chers collègues, c’est la première fois que nous sommes amenés à débattre en séance publique de mandats de négociation concernant des accords de libre-échange avant leur adoption par le Conseil. Notre assemblée est ainsi en mesure de faire valoir, en amont des négociations, les points essentiels sur lesquels elle souhaite être entendue par la Commission, par le Conseil, mais aussi, monsieur le secrétaire d’État, par le Gouvernement.

Notre démarche prend une signification particulière à l’heure où les futurs accords de libre-échange pourraient ne plus être systématiquement soumis, à la fin des négociations, à la ratification des parlements nationaux. C’est la conséquence de l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne rendu en mai dernier, qui a déterminé ce qui, dans ces accords, relève de la compétence exclusive de la Commission ou des compétences partagées avec les États membres.

De là l’importance pour les parlements nationaux d’être impliqués – ou de s’impliquer d’eux-mêmes, comme c’est le cas ce soir – le plus en amont possible des négociations. De là aussi l’importance pour nous d’être également associés, de façon régulière et transparente, au déroulement des négociations qui s’ensuivront. Je rappelle que tant la commission des affaires européennes que la commission des affaires économiques ont toujours été extrêmement attentives aux demandes des différents collègues qui souhaitaient que ces débats se tiennent en séance plénière, et non pas seulement en commission.

J’en viens à la proposition de résolution européenne que la commission des affaires européennes a adoptée le 18 janvier dernier, sur l’initiative de nos collègues Pascal Allizard et Didier Marie, rapporteurs pour avis, dont je vous prie d’excuser l’absence aujourd’hui. Ils sont retenus à Vienne par les travaux de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe.

Le rapport de notre collègue Anne-Marie Bertrand, fait au nom de la commission des affaires économiques, a fort bien approfondi les enjeux.

De quoi s’agit-il ? Ces projets d’accords de libre-échange avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande concernent deux pays qui, pour être géographiquement très éloignés du nôtre, nous sont proches sur le plan des valeurs démocratiques comme de la conception multilatéraliste des relations entre États. Nous entretenons déjà avec eux des partenariats politiques et des liens commerciaux significatifs.

La proposition de résolution européenne affirme un certain nombre de principes et de garde-fous. Ils doivent bien sûr valoir pour ces deux accords, mais aussi guider les négociations sur tout autre accord de même nature et sur la politique commerciale européenne en général. J’en vois quatre : la transparence, l’équilibre, la réciprocité et l’exigence normative.

En ce qui concerne la transparence, d’abord, nous revenons de loin. Nous devons avoir l’honnêteté de reconnaître que de réels progrès ont été accomplis. Ils sont venus de la Commission européenne elle-même, récemment encore de son président Jean-Claude Juncker. Ils sont aussi venus du Gouvernement, qui a su associer parlementaires et société civile aux avancées – ou au blocage – des négociations de certains accords passés.

On doit aussi ce progrès aux mouvements d’opinion qui ont pu prospérer sur l’opacité qui était jusqu’alors la règle. Ils ont mis au jour les craintes, souvent légitimes, parfois aussi exagérées, que suscitait cette pratique du secret.

Ce progrès vient également du Sénat, qui, du fait de son souci de prospective et de son attachement aux territoires, a bien compris l’intérêt d’ouvrir ce type de débats.

En matière d’équilibre, ensuite, il s’agit de faire preuve d’une vigilance constante, en particulier pour les produits agricoles sensibles, au premier rang desquels, en l’espèce, les viandes bovine et ovine, mais aussi les sucres spéciaux.

La proposition de résolution européenne s’appuie sur ce que le Sénat a depuis longtemps mis en avant, à savoir que, accord après accord, les mêmes menaces s’accumulent sur les mêmes filières déjà fragilisées dans nos territoires. Nous avons d’ailleurs à l’esprit, en toile de fond, les ultimes arbitrages en cours sur l’accord avec le Mercosur. Cela n’exonère certes pas certaines de ces filières de procéder à d’opportunes restructurations. Je l’ai souvent rappelé, notamment en ce qui concerne la filière bovine. Ce n’est pas faire injure aux différents acteurs ni les provoquer, car nous sommes à leur côté, en ce qui concerne tant la redéfinition et le redimensionnement du fonds d’adaptation à la mondialisation que la structuration proprement dite de la filière, notamment au travers de la création des organisations de producteurs par bassin.

Il reste que l’on se trouve là au cœur de l’ambiguïté de la mondialisation : ses bénéfices sont globaux, mais ses effets négatifs sont locaux. Ils affectent nos régions, nos campagnes, des exploitations, des hommes et des femmes. C’est aussi pourquoi nous voulons que les crédits de la politique agricole commune soient préservés dans le prochain cadre financier pluriannuel. Nous nous sommes exprimés, les uns et les autres, sur ce sujet ; nous arrivons à une période cruciale, et j’aimerais que la France soit aussi déterminée qu’elle le fut par le passé en la matière.

L’Union européenne a créé un fonds d’ajustement à la mondialisation. C’est en effet de cela qu’il s’agit : permettre aux filières en transition de s’ajuster aux enjeux d’un commerce ouvert. Malheureusement, ce fonds n’est ni doté ni structuré à la mesure de cette ambition. La proposition de résolution vise à aborder ce sujet de front. Doté de quelque 150 millions d’euros, le fonds ne concerne que les entreprises fragilisées par les différents accords de libre-échange et qui procèdent à un nombre important de licenciements, mais jamais n’est abordée la problématique purement agricole.

La gestion attentive et prudente des contingents accordés aux partenaires, le déclenchement rapide de mesures de sauvegarde efficaces, une évaluation régulière de l’impact cumulé de ces accords de libre-échange : voilà trois priorités. En matière de mesures de sauvegarde, il faut reconnaître qu’il existe une grande différence entre l’Union européenne et les États-Unis, pays fédéral par essence : les frontières de ce dernier peuvent être fermées en quelques minutes, alors que l’accord des vingt-sept États membres de l’Union européenne est requis pour faire de même, ce qui demande souvent quelques mois.

Sur le plan de la réciprocité, il y a beaucoup de terrain à reconquérir, en particulier en ce qui concerne l’accès aux marchés publics des pays partenaires. L’Union européenne a longtemps été très généreuse, trop généreuse, voire quelquefois naïve, au contraire de bien des pays avec lesquels nous scellons ou scellerons des accords de libre-échange. Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que tant la commission des affaires économiques que la commission des affaires européennes du Sénat ont contribué à la réflexion sur ce sujet en vue de « muscler » la politique européenne.

Enfin, la proposition de résolution le rappelle, le niveau d’exigence normative européen en matière sanitaire et phytosanitaire pour les produits agricoles et agroalimentaires doit rester le même. S’il le faut, il doit même être amélioré et mis à jour régulièrement, sans que les accords de libre-échange y fassent obstacle. Il en est de même des normes sociales et environnementales. La proposition de résolution demande, à cet égard, que les dispositions relatives au développement durable soient opposables et contraignantes, dans le cadre de procédures de règlement interétatique adaptées en conséquence.

Le nécessaire maintien de ce droit des États à légiférer m’amène à aborder la question de la protection des investissements. Les deux propositions de directives de négociation ne prévoient pas de dispositions spécifiques de règlement des différends entre investisseur et État. L’absence d’une telle mention, qui aurait conféré un caractère mixte aux deux accords, s’inscrit, comme je l’ai déjà mentionné, dans la logique de l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne.

La Commission en a tiré les conséquences, en privilégiant une procédure de négociation et de conclusion « accélérée ». In fine, celle-ci n’impliquera, outre la Commission elle-même, que le Parlement européen et le Conseil, celui-ci se prononçant à la majorité qualifiée, et non plus à l’unanimité. C’est la raison pour laquelle j’estime que des débats très en amont sont nécessaires pour définir un cahier des charges à l’adresse du négociateur de la Commission, en l’occurrence Mme Malmström.

Il nous semble essentiel qu’en cas de litige les parties –investisseurs européens, néo-zélandais, australiens – puissent, si elles le souhaitent, se tourner vers un système juridictionnel spécifique, même si les systèmes judiciaires nationaux néo-zélandais et australien obéissent à des règles et des standards comparables aux nôtres.

Au surplus, la configuration nouvelle du système juridictionnel des investissements a opportunément amélioré et moralisé l’ancien système d’arbitrage privé. Nous souhaitons donc que, parallèlement à la négociation des deux accords de libre-échange, la Commission engage des accords particuliers pour la protection des investissements.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a, je crois, dans cette assemblée, une majorité favorable à une politique commerciale européenne ambitieuse, pour peu qu’elle respecte les principes d’équilibre et de réciprocité. Nos entreprises peuvent y valoriser leurs intérêts offensifs, qui sont nombreux, y compris parfois dans certains secteurs agricoles.

En tant qu’élu de Normandie, je n’ose rappeler que le CETA conclu avec le Canada aura permis d’abaisser drastiquement les barrières tarifaires pour un certain nombre de fromages et d’obtenir la reconnaissance de quarante-trois indications géographiques de provenance. Cela n’exclut cependant pas une grande vigilance sur ce type d’accords, pour la bonne raison que toutes les filières et tous les agriculteurs ne sont pas armés pour affronter les grands marchés internationaux, d’où l’intérêt du Fonds européen d’adaptation à la mondialisation. Le Président de la République n’a-t-il d’ailleurs pas émis l’idée d’ouvrir une ligne budgétaire de 5 milliards d’euros à destination des filières voulant se réformer et se moderniser ? Nous devrons ouvrir un débat sur ce point, car nombre d’agriculteurs sont plongés dans une situation de détresse profonde.

Cette politique commerciale est d’autant plus opportune que, au même moment, la première économie mondiale, celle des États-Unis, choisit la fermeture et le protectionnisme. Au même moment aussi, l’Organisation mondiale du commerce n’est, hélas, plus en situation de faire avancer ses projets. Au même moment, en revanche, les économies chinoise et indienne voient dans le commerce international un terrain de chasse où des normes exigeantes et protectrices n’ont guère de place.

Dans le sillage d’une politique commerciale européenne bien conduite, ce sont nos normes sociales, sanitaires et environnementales qui trouveront à s’appliquer. J’ai la faiblesse de croire que, à terme, les citoyens du monde peuvent avoir à y gagner, les normes européennes devenant en quelque sorte les normes mondiales.

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