Intervention de Anne-Marie Bertrand

Réunion du 21 février 2018 à 21h30
Libre-échange entre l'union européenne l'australie et la nouvelle-zélande — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Anne-Marie BertrandAnne-Marie Bertrand :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens en premier lieu à saluer l’initiative et la qualité du travail de nos collègues Pascal Allizard et Didier Marie : le texte qu’ils ont déposé, et qui a été adopté à l’unanimité par la commission des affaires européennes le 18 janvier dernier, est à la fois opportun, complet et pertinent.

Le président de la commission des affaires européennes, Jean Bizet, en a rappelé le contexte, les enjeux et les principales dispositions. Je m’associe aux remarques qu’il vient de formuler. J’ajoute que la commission des affaires économiques a, elle aussi, largement approuvé cette proposition de résolution, après y avoir apporté trois amendements.

Notre commission a tout d’abord introduit une référence à la notion d’enveloppe globale pour les produits sensibles. Je rappelle qu’il s’agit là d’une demande forte des autorités françaises et des milieux agricoles. Elle vise à prendre en compte les impacts cumulés des accords commerciaux, à la fois les accords déjà conclus et ceux en cours de négociation, avant toute ouverture supplémentaire des filières sensibles au commerce mondial. En effet, seule une prise en compte globale de l’ensemble des contingents d’importation autorisés ou en cours d’autorisation peut permettre de juger si l’ouverture d’un contingent supplémentaire sera supportable pour des marchés sensibles comme ceux de l’élevage, du lait ou des sucres spéciaux.

La commission des affaires économiques a également adopté un amendement de notre collègue Marc Daunis visant à ce que soient réalisées des évaluations ex ante par filière, fournissant une appréciation du nombre d’emplois créés et détruits à court, moyen et long termes.

Enfin, la commission a souhaité donner plus de poids à la disposition qui recommande la mise en place de mesures de sauvegarde pour protéger les filières sensibles, en indiquant que ces mesures doivent être non seulement spécifiques, mais également précises et opérationnelles.

Lors de l’examen du texte en commission, j’ai pu percevoir, malgré tout, quelques interrogations et réticences à soutenir cette proposition de résolution. Plusieurs amendements que nous examinerons tout à l’heure traduisent ces réserves. Je peux les comprendre, même si je ne les partage pas toutes.

La politique commerciale de l’Union européenne est un sujet sensible. Elle fait depuis plusieurs années l’objet de vives critiques portant à la fois sur les objectifs et le contenu des accords commerciaux conclus, mais également sur les méthodes de travail de la Commission européenne. Manque de transparence, manque de réciprocité, manque de réalisme –pour ne pas dire naïveté –, ou encore traitement inadéquat des enjeux agricoles : tels sont des défauts fréquemment dénoncés, ici au Sénat et, plus largement, dans notre pays.

La politique commerciale européenne suscite en particulier une inquiétude très forte dans certains de nos territoires métropolitains ou ultramarins et pour certaines de nos filières agricoles sensibles, telles que les viandes ovine et bovine, le lait et les sucres spéciaux. Une exposition sans précaution au commerce international peut mettre ces filières en danger. Cela tient à différentes raisons, notamment au fait que les normes sanitaires et phytosanitaires, sociales et environnementales qui s’appliquent chez nous sont beaucoup plus strictes que celles de la plupart de nos concurrents.

Mais c’est bien parce que ces risques sont réels que la France doit chercher à peser par tous les moyens possibles sur la définition des mandats de négociation des futurs accords et sur le déroulement des négociations. C’est bien parce que ces risques sont réels qu’il est important pour nous de soutenir des propositions de résolution pragmatiques, comme celle que nous examinons ce soir. Il peut être tentant de dire que la politique commerciale de l’Union européenne n’est pas bonne, qu’elle n’est pas assez protectrice, que nous n’en voulons pas. Il peut être tentant de dire : « Réservons le commerce aux pays qui s’alignent sur toutes nos normes » ou « Excluons purement et simplement les produits agricoles des négociations ». C’est tentant, mais est-ce de nature à faire évoluer la politique commerciale de l’Union européenne dans un sens utile et bénéfique pour notre économie, et notre agriculture en particulier ?

Les accords commerciaux que l’Union négocie prennent en compte les intérêts souvent divergents de l’ensemble des États membres. La France a ses intérêts offensifs et défensifs et elle doit les défendre, mais ce qui est bon pour la France ne l’est pas forcément pour l’Allemagne, la Pologne ou l’Espagne. La réalité, c’est que les positions défendues par l’Union européenne dans les négociations commerciales sont le fruit de compromis âprement négociés entre les vingt-sept États membres.

Plutôt que de nous retrancher dans un refus de principe confortable ou de soutenir des propositions peu réalistes, il est de notre responsabilité de chercher à mieux faire partager nos vues, à convaincre nos partenaires par des propositions équilibrées et à peser sur la définition des mandats de négociation européens avec les instruments dont nous disposons.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui est l’un de ces instruments. Elle reprend nombre de positions défendues unanimement par le Sénat depuis plusieurs années au travers de résolutions précédentes. Elle reprend aussi plusieurs points-clés du plan d’action relatif à la mise en œuvre du CETA adopté par le Gouvernement l’année dernière. C’est donc un texte qui contient des propositions à la fois ambitieuses et pragmatiques.

Sur les questions agricoles, qui seront sans doute au cœur de nos échanges de ce soir, je rappelle que la proposition de résolution vise à demander que les produits sensibles, en particulier les produits de l’élevage, le lait ou les sucres spéciaux, fassent l’objet de contingents d’importation limités, et qu’ils puissent bénéficier de mesures de sauvegarde spécifiques et effectives.

Elle tend également à demander la mise en place d’un suivi global des contingents à travers la notion d’enveloppe globale, ainsi que la reconnaissance du système des indications géographiques.

Elle insiste pour que les accords avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande intègrent, dans leur volet relatif au développement durable, des dispositions contraignantes et opposables dans le cadre des mécanismes interétatiques de règlement des différends.

Elle fixe enfin l’objectif d’un degré élevé d’exigence dans l’élaboration de normes communes sociales, environnementales, ainsi que sanitaires et phytosanitaires. Il me semble que nous ne pouvons que soutenir de telles recommandations.

Ne nous y trompons pas : tous les États membres n’ont pas des positions aussi offensives que les nôtres en la matière. Néanmoins, la France, qui a souvent été pionnière, a déjà vu plusieurs de ses attentes satisfaites au cours des dernières années. Elle doit donc continuer à mettre l’Union européenne sous pression pour faire avancer ses vues.

Il est utile que le Gouvernement, qui est en train de discuter avec ses partenaires européens le texte définitif des mandats de négociation, puisse se prévaloir de l’appui du Parlement. Cela lui donnera plus de poids. Nous devons donc être capables de dégager des positions communes fortes et pragmatiques sur des points essentiels pour notre pays. Gouvernement et Parlement doivent parler d’une seule voix sur ces questions pour que la France ait une chance de convaincre ses partenaires européens.

Je terminerai en soulignant quelques enjeux économiques et stratégiques liés à ces deux accords.

La libéralisation des échanges avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ouvrira aux entreprises françaises et européennes de nouvelles opportunités commerciales. Le commerce de la France avec ces deux pays est excédentaire – le cas n’est plus si fréquent ! –, mais nous devons absolument protéger nos filières sensibles.

Par ailleurs, l’enjeu de ces accords est d’exporter non seulement des biens et des services, mais aussi nos normes sociales et environnementales, ainsi que nos normes en matière de protection des données et de sécurité alimentaire. C’est à nous de peser sur les négociations afin d’imposer un certain nombre de conditions pour l’accès à notre marché. Nous avons l’occasion de faire mieux reconnaître certaines de nos normes.

Enfin, ces deux accords permettront d’ancrer ces deux pays dans un système commercial fondé sur des règles. À l’heure où le cadre multilatéral se porte mal – c’est peu de le dire –, faire de l’Union européenne le moteur et le point d’agrégation d’un commerce mondial respectueux des règles est un enjeu stratégique.

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