Intervention de Fabien Gay

Réunion du 21 février 2018 à 21h30
Libre-échange entre l'union européenne l'australie et la nouvelle-zélande — Adoption d'une proposition de résolution européenne dans le texte de la commission modifié

Photo de Fabien GayFabien Gay :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, vous vous en doutez, je ferai moins de louanges au libre-échangisme que M. le secrétaire d’État… Mais nous sommes là pour débattre.

Il y a un an jour pour jour, nous dénoncions l’adoption du CETA par le Parlement européen. Ce traité, véritable cheval de Troie, allait ouvrir une voie royale à une nouvelle génération de traités commerciaux qui nient les souverainetés nationales et dessaisissent les gouvernements et les parlements de leur libre administration dans l’intérêt général, par des dispositions d’arbitrage, de coopération réglementaire ou encore de libéralisation des services et d’ouverture des marchés publics.

Une vérité éclatait au grand jour au travers de ces divers traités discutés dans un obscurantisme le plus total : un « capitalisme libre-échangiste » est à l’œuvre dans la quasi-totalité du monde, se traduisant par un dumping social et fiscal qui consiste, pour les propriétaires du capital, à produire là où le travail est au prix le plus bas et à placer, voire à cacher, l’argent là où il est le plus rentable et le moins taxé. Tout cela est fait au détriment des peuples, uniquement pour servir les puissances de l’argent.

Depuis lors, treize traités de libre-échange sont en discussion. Nous voilà donc à discuter de celui qui concerne la Nouvelle-Zélande et l’Australie, deux poids lourds de l’agriculture extensive et de l’exportation de viandes rouges et de produits laitiers, qui ne consomment qu’une – petite – part de leur production, multipliant les accords commerciaux ambitieux pour développer et sécuriser leurs débouchés. Ainsi, quelque 70 % de la production australienne sont exportés.

Les réglementations encadrant les filières animales y diffèrent des exigences européennes : l’utilisation d’hormones de croissance et la décontamination chimique des carcasses y sont ainsi autorisées.

Bien que les produits destinés à l’Union européenne ne doivent avoir recours ni à l’un ni à l’autre, la traçabilité individuelle et les temps de transport des animaux y sont moins stricts qu’en Europe. Nous courons donc le double risque que cette règle ne soit ni respectée ni contrôlable.

Ajoutons que si les opportunités sur ces marchés restent limitées pour l’exportation, les risques, eux, sont évidents pour l’élevage français en cas d’octroi d’accès supplémentaires au marché européen.

Dès lors, du fait de ce déséquilibre, les négociations avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne peuvent être considérées comme un partenariat. Car comment oublier que les secteurs de l’élevage et de la production laitière sont déjà en crise dans l’Union européenne ? Comment ne pas souligner que, du fait des importations de Nouvelle-Zélande et d’Australie, notre production ovine peut être totalement démantelée ?

Alors que nous n’avons pas encore réglé les différends à l’OMC sur la répartition des quotas des importations agricoles découlant du Brexit, voilà que nous négocions avec deux géants agricoles parmi les plus compétitifs au monde, alors que tous les contingents tarifaires qui pourraient être accordés à ces pays auront vocation, à l’issue du Brexit, à s’appliquer à un marché communautaire réduit !

Alors que, comme cela a été très justement rappelé lors des débats en commission, les États généraux de l’alimentation viennent à peine de s’achever et qu’un projet de loi nous sera prochainement présenté, comme l’a justement dit M. Gremillet, il sera en totale contradiction avec les accords dont nous débattons. On ne peut pas demander toujours plus de normes pour nos produits et ouvrir largement notre pays à des aliments qui, eux, ne respectent pas les contraintes que nous nous imposons.

Dès lors, poursuivre ces négociations, après le CETA et la volonté affichée de la Commission de lancer un autre traité avec le Mercosur, c’est signer la mort d’une agriculture paysanne, garante d’une alimentation de qualité et de l’emploi.

Or, et ce point est essentiel, tout dans un accord de libre-échange relève de la compétence exclusive de la Commission européenne, sauf le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. Cette position a été rappelée par la Cour de justice de l’Union européenne dans un avis du 16 mai 2017.

En conséquence, après conclusion de l’accord et aval du Conseil et du Parlement européen, les parlements nationaux ne seront pas concernés par leur approbation. C’est également le cas de l’accord de libre-échange avec le Japon, qui a été finalisé à la fin de l’année dernière.

Enfin, le Conseil devra se prononcer sur l’accord final non plus à l’unanimité, mais à la majorité qualifiée. Ainsi, les États sont doublement exclus du processus décisionnel, et ce déficit démocratique de l’Union européenne n’est pas acceptable au vu des enjeux que comportent de tels accords.

Ces enjeux portent sur une agriculture paysanne, locale, de taille humaine et respectueuse de l’environnement, que l’on va sacrifier pour lier notre alimentation aux chaînes de productions mondialisées de l’agrobusiness. Là où nous disposions de viandes de qualité, produites localement avec la meilleure traçabilité, nous allons nous lier avec des producteurs à des milliers de kilomètres. D’où nos amendements sur la préservation de la ruralité et l’accord des parlements nationaux.

Certes, la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui va dans le bon sens, en cohérence avec les différentes positions du Sénat en la matière, en particulier les propositions de résolution que notre groupe a portées.

Certes, il faut plus de transparence et de réciprocité.

Certes, il est nécessaire que les futurs accords incluent un volet environnemental et social opposable.

Certes, nous souscrivons pleinement à la nécessité que les produits d’élevage et les sucres spéciaux puissent être l’objet de contingents limités, ou d’un étalement des périodes de démantèlement tarifaire, et que soient prévues des mesures de sauvegarde spécifiques, mobilisables rapidement en cas de déstabilisation des filières concernées, sous l’effet des importations.

Toutefois, face à des accords aussi importants, les parlements nationaux doivent être saisis aux fins de ratification.

Pour conclure, nous pensons que les produits sensibles doivent purement et simplement être exclus du champ de la négociation. Fondamentalement, la multiplication des accords de libre-échange, alors que les difficultés structurelles de notre agriculture n’ont pas été résolues, est une fuite en avant mortifère.

C’est pourquoi nous ne voterons pas, en l’état, cette proposition de résolution, qui ne fait qu’accompagner un mouvement de mise en concurrence que nous dénonçons de manière systématique sur les travées de cette assemblée.

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