Intervention de Jean-Claude Luche

Commission spéciale Etat pour une société de confiance — Réunion du 21 février 2018 à 14h30
Projet de loi pour un état au service d'une société de confiance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Claude LucheJean-Claude Luche, rapporteur :

En termes de méthode d'abord, nous nous sommes répartis la tâche en fonction de nos affinités et compétences respectives : ma collègue Pascale Gruny a traité le droit à l'erreur et au contrôle ainsi que les mesures à caractère social et fiscal et j'ai travaillé, pour l'essentiel, sur l'information et l'orientation des administrés et des entreprises, les quelques dispositions agricoles, la simplification des procédures en matière d'infrastructures ou l'évaluation de la loi.

Malgré des délais très contraints, nous avons voulu entendre l'ensemble des parties prenantes - et elles étaient nombreuses compte tenu de l'hétérogénéité du texte : outre les 6 heures 20 de nos auditions plénières, nous avons entendu 90 personnes au cours de 37 auditions, auxquelles nombre d'entre vous ont participé, ce dont je les remercie. Nous avons également sollicité et reçu un grand nombre de contributions écrites et enrichi nos réflexions des avis déposés via l'espace participatif ouvert sur le site internet du Sénat.

En termes d'état d'esprit ensuite, nous avons effectivement abordé ce texte sans a priori, voire même avec une certaine forme de bienveillance, mais avec tout de même un certain nombre de questionnements.'''' C'est que ce projet de loi est difficile à appréhender tant les sujets abordés sont divers. Tant le ministre que le conseiller d'État Tuot ont certes insisté sur le caractère inédit de la démarche : il ne s'agirait pas d'une énième loi de simplification mais d'une démarche bien plus ambitieuse consistant à fixer de grands principes pour refonder les relations entre le public et l'administration - droit à l'erreur et au contrôle, conseil, accompagnement, confiance, etc.

Or, je dois avouer qu'en travaillant sur le texte, ce caractère inédit ne nous a pas toujours sauté aux yeux, si ce n'est parfois par l'imprécision du contenu concret de certaines de ses dispositions. Dans la plupart des cas, elles se bornent du reste à acter ou à généraliser ce qui existait déjà et j'ajoute que sitôt fixés, ces grands principes admettent de nombreuses, voire de très nombreuses exceptions...

Dans sa philosophie, l'intention du texte est bien entendu louable mais pour autant, on peut parfois douter de la portée ou du caractère opérationnel des mesures proposées. L'enfer est pavé de bonnes intentions et le diable se cache parfois dans les détails...

Ce projet de loi est aussi marqué par un recours assez massif aux habilitations - on en compte douze -, aux expérimentations - dix-huit au total - ainsi qu'aux demandes de rapports - pas moins d'une cinquantaine de documents concernés. L'habilitation législative peut, il est vrai, se justifier lorsque la réforme envisagée est extrêmement technique ou que ses modalités sont encore incertaines, mais elle doit impérativement être encadrée par le législateur, dans son champ comme dans sa durée, et limitée au strict nécessaire - c'est ce à quoi nous avons veillé, comme vous le constaterez. Je rappelle à cet égard, car on l'oublie souvent, qu'en habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnance, le Parlement se dessaisit des sujets visés pour toute la durée de l'habilitation.

L'expérimentation est quant à elle intéressante pour tester des dispositifs novateurs, pour autant qu'elle soit ensuite évaluée de façon rigoureuse et que l'on sache où l'on veut aller. Or, en réponse à nos interrogations sur certaines expérimentations, il est arrivé que le Gouvernement nous réplique que l'expérimentation aurait pour objet même d'y répondre... En quelque sorte, et je le dis sur le ton de la boutade, le projet de loi instaure aussi un droit à l'erreur au profit du Gouvernement ! A contrario, admettre que, de Paris, on ne sait pas tout - le provincial que je suis insiste bien sur ce point - et s'en remettre au terrain peut aussi s'apprécier comme une forme de rénovation bienvenue de l'action publique. Quant aux nombreux rapports, vous verrez là aussi que nous avons cherché à faire le tri...

Par ailleurs, nous devons tous, il me semble, reconnaître une certaine forme de schizophrénie dans notre rapport à la norme : nos concitoyens et nous-mêmes sommes en demande permanente de protections nouvelles, de réponses socialisées, de services publics présents partout et tout le temps, tandis que nous exigeons, dans le même temps, toujours plus de liberté et d'autonomie dans nos choix individuels, en clair que l'administration nous laisse tranquilles... Comme le rappelait le ministre, de la même façon que dans chaque niche fiscale il y a un chien qui mord, dans chaque niche administrative se cache un chien qui aboie ! Et à mesure que nos sociétés se complexifient et se juridicisent, le droit lui-même devient plus envahissant et plus complexe.

Alors, qu'avons-nous cherché modestement, comme rapporteurs, à faire ? Selon les cas, nous avons tenté d'être plus exigeants ou plus ambitieux dans la portée des solutions proposées, plus pragmatiques dans leurs modalités de mise en oeuvre et plus rigoureux quant à ce qui avait sa place dans le texte. Sur ce dernier point, nous devons, en tant que législateurs, lutter contre le droit bavard et assurer une forme de cohérence et de lisibilité des textes que nous examinons, ce qui a notamment justifié l'irrecevabilité d'un certain nombre d'amendements.

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