Intervention de Jean-Claude Luche

Commission spéciale Etat pour une société de confiance — Réunion du 21 février 2018 à 14h30
Projet de loi pour un état au service d'une société de confiance — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Claude LucheJean-Claude Luche, rapporteur :

J'en viens maintenant au détail des principales dispositions sur lesquelles j'ai travaillé.

Deux articles ont pour but d'accroitre la sécurité juridique des usagers dans les relations qu'ils entretiennent avec l'administration. Ainsi, l'article 9 prévoit de généraliser l'opposabilité de la doctrine de l'administration de l'État, sur le modèle de ce qui se fait déjà en matière fiscale ou sociale. Selon cet article, un administré ne pourra pas voir sa situation remise en cause s'il s'est fondé sur une circulaire de l'administration, même dans le cas où cette circulaire interprétait un texte de manière erronée. Cet article consacre également l'obligation de publication des circulaires. Comme toute disposition nouvelle, celles-ci soulèvent certes des interrogations mais représentent, à mon sens, une avancée. Je vous proposerai donc un amendement afin d'en améliorer la portée.

Si je suis favorable à l'article 9, je ne peux malheureusement pas l'être à l'article 10 qui tendrait à généraliser la procédure de rescrit à toute l'administration, sur la base de ce qui existe déjà en matière fiscale ou douanière. Bien que je souscrive au principe, je constate que la fixation des modalités et du champ d'application de l'article est renvoyée à un décret. Nous ne savons donc ni à qui ces dispositions devraient s'appliquer, ni comment ! Demandant un véritable blanc-seing au Parlement, ces dispositions me semblent entachées d'incompétence négative.

Dans la continuité de ces dispositions, l'article 31 propose d'expérimenter le rescrit en matière juridictionnelle. Le mécanisme proposé est le suivant : l'auteur ou le bénéficiaire d'une décision administrative non réglementaire pourrait saisir le tribunal administratif afin qu'il apprécie la légalité externe de l'acte, dans les trois mois suivant sa publication. Aucun moyen tiré de cette cause juridique ne pourrait plus alors être invoqué ni par voie d'action, ni par voie d'exception.

Je partage complètement l'intention du Gouvernement, qui est de mieux encadrer les contentieux afférents aux grands projets et aux opérations complexes. Comme l'a d'ailleurs indiqué le Conseil d'État dans son avis sur le projet de loi, il s'agit d'un objectif d'intérêt général qui n'est pas contestable : celui de sécuriser des décisions susceptibles de faire l'objet de contestations multiples. Pour autant, le dispositif proposé me semble trop complexe et pourrait s'avérer contre-productif : il risque en effet d'encourager les saisines systématiques et d'accroître, non seulement la charge des juridictions administratives mais aussi la durée de la procédure.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai un dispositif alternatif qui, je le crois, permettra d'atteindre le même objectif tout en étant plus clair.

En matière d'information des usagers, l'article 12 entend créer un nouveau dispositif, le certificat d'information, que l'administration délivrerait aux porteurs de projets pour les informer des règles applicables à certaines activités, dont la liste est renvoyée à un décret. Là aussi, la mesure est bonne « sur le papier » mais certaines des modalités envisagées paraissent insuffisantes : seules les personnes souhaitant démarrer une activité pourraient le demander, l'administration sollicitée ne répondrait que sur les normes qu'elle a mission d'appliquer et aurait pour cela jusqu'à cinq mois. Je vous proposerai d'être plus ambitieux sur chacun de ces points, en ouvrant ce droit aux personnes qui exerceraient déjà l'activité concernée, en demandant à l'administration saisie, si nécessaire, d'orienter l'usager vers d'autres interlocuteurs administratifs dans le mois suivant sa demande, et en plafonnant le délai maximal de réponse à trois mois, ce qui paraît suffisant dès lors que le certificat d'information ne fait que présenter des règles, sans en interpréter l'application à un cas particulier. Je vous proposerai également de mieux encadrer la cristallisation des règles qu'il est prévu d'expérimenter à l'article 12 bis.

J'aborderai brièvement les dispositions sur le référent unique de l'article 15, qui a été évoqué par nombre des personnes que nous avons entendues, depuis les représentants des élus locaux jusqu'au Défenseur des droits. Si, globalement, j'approuve cette mesure, son extension, à l'article 15 bis, aux maisons de services au public m'a semblé inopportune. Ces structures sont en effet très diverses : elles n'ont pas la personnalité morale et les acteurs qui les composent diffèrent fortement d'une maison à l'autre. Comment, dans ces conditions, définir un référent unique et lui conférer un pouvoir de décision ? Plutôt que de légiférer, même à titre expérimental, et d'avaliser un dispositif qui soulève trop d'incertitudes, je vous proposerai donc de supprimer cet article.

L'article 16 prévoit quant à lui d'expérimenter, dans les Hauts-de-France et en Auvergne-Rhône-Alpes, une limitation de la durée cumulée des contrôles administratifs sur les PME, qu'il fixe à neuf mois sur une période de trois ans, mais avec de nombreuses exceptions. Sur le principe, la mesure est intéressante bien qu'elle soit loin d'épuiser le sujet : les PME sont en effet demandeuses, avant tout, d'une simplification de la réglementation et d'une adaptation des méthodes de contrôle à leurs spécificités. Elle comporte aussi des lacunes, à commencer par l'absence d'une modulation du plafond pour les très petites entreprises (TPE) que je vous proposerai d'ajouter.

J'en viens aux dispositions concernant le secteur agricole. La suppression de l'article 30 sur l'allègement du contrôle des structures fait l'unanimité, je propose de la maintenir.

L'article 19 habilite le Gouvernement à expérimenter par ordonnance deux mesures concernant les chambres d'agriculture, dont la première rejoint les conclusions de notre collègue Daniel Dubois dans son rapport sur les normes agricoles, tandis que la seconde vise à permettre des transferts de compétence et de personnel vers les chambres régionales d'agriculture qui le souhaitent. Dans la mesure où cette dernière disposition repose sur le volontariat, elle m'apparaît bienvenue. C'est pourquoi je ne vous soumettrai qu'un amendement rédactionnel.

Certaines dispositions du projet de loi relèvent du secteur de la construction. Il s'agit en particulier de l'article 26, que d'aucuns ont appelé le « permis de faire ». Cet article prévoit deux ordonnances. La première serait prise temporairement dans les trois mois de la promulgation de la loi en vue de créer un nouveau régime d'autorisation à déroger à certaines règles de construction, qui irait au-delà du droit en vigueur tel qu'il résulte de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine. Je m'interroge sur la portée concrète de ce dispositif, mais je ne vois pas non plus de raisons de m'y opposer.

Quant à la seconde ordonnance, elle ambitionne de revoir la rédaction de l'ensemble des règles de construction afin de définir des objectifs, plutôt que des moyens pour les atteindre. Dans la mesure - et j'insiste sur ce point ! - où le Gouvernement a bien indiqué à plusieurs reprises qu'il ne s'agit pas de réduire le niveau d'exigence de l'ensemble de ces règles, quelles qu'elles soient, cela me paraît une entreprise pertinente. En conséquence, je ne proposerai, sur cet article, qu'un amendement visant à réduire le délai d'habilitation à douze mois, car il me paraît déraisonnable que le Parlement se dessaisisse pendant dix-huit mois de tels sujets.

Figure également dans ce texte un article relatif à l'enseignement supérieur : c'est l'article 28. Il entend permettre aux établissements d'enseignement supérieur et de recherche de poursuivre la dynamique de rapprochement engagée depuis une dizaine d'années, en ayant recours à des formes juridiques inédites et adaptées à leurs besoins. Il habilite le Gouvernement, pour ce faire, à adopter une ordonnance dans l'année suivant la promulgation de la loi. Bien que l'expérimentation, qui devra durer dix ans, pose de nombreuses questions, il s'agit de répondre aux attentes des acteurs sur le terrain. C'est d'ailleurs pourquoi je proposerai de réduire le délai d'habilitation à six mois, afin de permettre aux porteurs de projets de mettre en oeuvre ces rapprochements le plus rapidement possible.

Le projet de loi comporte encore plusieurs mesures relatives à l'évaluation environnementale des projets et à la participation du public. Si certaines de ces dispositions paraissent bienvenues, d'autres pourraient, sous couvert de simplification, apporter plus de problèmes que de solutions.

Tel est le cas de l'article 33 qui prévoit, à titre expérimental pour une durée de trois ans, de remplacer l'enquête publique par une procédure allégée de participation du public par voie électronique, pour les projets agricoles relevant du régime des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) ou des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA) susceptibles d'avoir des incidences sur les milieux aquatiques, lorsque ces projets ont donné lieu à une concertation préalable sous l'égide d'un garant.

Cet article vient déroger aux procédures de participation du public qui ont été réformées par une ordonnance du 3 août 2016, et dont le projet de loi de ratification a été adopté la semaine dernière par le Sénat. L'encre de la loi de ratification n'est pas encore sèche que le Gouvernement entend déjà introduire des dérogations...

Si je suis bien évidemment favorable à l'idée d'inciter les agriculteurs à associer les citoyens le plus en amont possible à l'élaboration de leurs projets par le biais de concertations préalables, cela ne doit pas se faire au détriment de la participation du public au moment de l'autorisation de ces projets, à travers l'enquête publique. Le rôle du commissaire-enquêteur est important, puisqu'il anime le débat public et organise des réunions au cours desquelles les citoyens peuvent être amenés à échanger avec le porteur de projet. Tout cela favorise l'acceptabilité des projets. En remplaçant l'enquête publique par une simple consultation par voie électronique, la mesure proposée risque d'amoindrir la portée de la concertation menée et d'être contreproductive, au détriment des agriculteurs. Je vous proposerai donc un amendement de suppression de cette expérimentation.

L'article 35, en revanche, qui prévoit de confier au préfet, et non plus à l'autorité environnementale, le soin de déterminer si la modification d'une installation existante doit ou non être soumise à évaluation environnementale, permettra de simplifier les démarches des porteurs de projets. Je vous proposerai un amendement pour que cela s'applique à toutes les modifications, à l'exception des modifications d'installations qui n'ont pas été dûment autorisées ou enregistrées, c'est à dire les installations illégales.

De même, l'article 20, qui prévoit une transmission automatique aux contrevenants d'une copie des procès-verbaux des infractions aux normes environnementales qu'ils ont commises est une bonne mesure, qui permettra aux personnes mises en cause d'être informées au stade de l'enquête préliminaire et de se mettre en conformité avant que des poursuites ne soient engagées.

Enfin, plusieurs articles sont consacrés à l'énergie. L'article 34 habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour réformer les règles applicables en matière d'énergies marines renouvelables. Alors que les parcs d'éoliennes en mer attribués à l'issue des appels d'offres de 2011 et 2013 ne seront pas mis en service avant 2020 ou 2021, et à des coûts très élevés pour la collectivité, l'enjeu consiste à simplifier les procédures, raccourcir les délais et réduire d'autant les coûts. Pour ce faire, deux évolutions majeures sont prévues : un « pré-développement » des projets par l'État, qui piloterait le débat public en amont de la procédure de mise en concurrence et réaliserait les premières études techniques, et l'instauration d'un « permis enveloppe » au sein duquel il serait possible d'intégrer les évolutions technologiques pour optimiser la production et, par conséquent, faire baisser les coûts. J'approuve la philosophie de ces mesures et vous suggérerai simplement de réduire à douze mois le délai d'habilitation.

Introduit à l'Assemblée nationale, l'article 34 bis autorise tout producteur ou consommateur à faire réaliser ses travaux de raccordement aux réseaux électriques en maîtrise d'ouvrage déléguée. Je n'y suis pas opposé sous réserve de l'ajout d'un certain nombre de garanties sur lesquelles toutes les parties prenantes, à commencer par les gestionnaires de réseaux eux-mêmes, paraissent s'accorder.

Bien que très favorable au développement de l'hydroélectricité, ne serait-ce que parce je suis élu de l'Aveyron, je vous proposerai en revanche de supprimer l'article 34 ter, qui prévoit de dispenser les activités hydroélectriques accessoires de toute procédure environnementale, ce qui reviendrait à présumer que ces ouvrages n'ont, par nature, aucun impact sur l'environnement quand, au contraire, une analyse au cas par cas est nécessaire.

Sur l'article 34 quinquies, je vous suggérerai simplement d'inscrire directement dans la loi le fait que la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation peut s'appliquer aux ouvrages des réseaux d'énergie, plutôt que de recourir à une ordonnance qui ne se justifie pas.

Quant à l'article 39 qui habilite le Gouvernement à simplifier les règles en matière de géothermie, il ne pose pas de difficulté et je me suis notamment assuré qu'il ne risquait pas, contrairement aux craintes exprimés par certains acteurs de la filière, d'évincer la géothermie basse température, utilisée pour les réseaux de chaleur, au profit de la haute température, qui permet de produire de l'électricité.

Et pour finir, comme vous le constaterez dans mes propositions d'amendements, je plaiderai pour la suppression d'un grand nombre de rapports dont nous saurons bien nous passer...

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