Intervention de Franck Montaugé

Réunion du 7 mars 2018 à 14h30
Qualité des études d'impact des projets de loi — Discussion d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission

Photo de Franck MontaugéFranck Montaugé :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les deux textes que j’ai le plaisir de vous présenter cet après-midi au nom de mon groupe répondent à l’objectif, que je crois largement partagé, d’améliorer la qualité de la loi et le suivi de ses effets.

L’exécutif, le législatif, les autorités de contrôle et les citoyens sont directement concernés par ce sujet, dans un contexte national et international qui nous amène à penser l’évaluation des normes et des politiques publiques dans le rapport aux enjeux du développement durable - et a fortiori depuis l’accord de Paris et les engagements qui en résultent pour la France !

Sur l’initiative du président Nicolas Sarkozy, le rapport Stiglitz-Sen-Fitoussi a ouvert la voie en 2009. La recommandation centrale de ce rapport, qui a fait date et autorité, est que la croissance est soutenable quand on transmet aux générations futures un patrimoine national susceptible d’assurer la couverture de leurs besoins et de garantir sur le long terme leur bien-être.

Cela suppose de pouvoir évaluer le patrimoine national en recensant les divers types de capitaux ou d’actifs qui le composent, en stock et en flux, au nombre desquels figurent le capital économique, privé et public, qui est composé du capital productif ; le capital humain, qui renvoie au niveau d’éducation de la société, aux compétences, au niveau de formation et de qualification du travail ; le capital social, qui est un actif intangible mesurant la qualité des institutions et des rapports sociaux, comme la culture ou le mode d’organisation de la société – il s’agit d’ailleurs d’un indicateur permettant de mesurer le degré de cohésion de la société – et le capital naturel, qui est composé des ressources naturelles, comme les énergies fossiles, l’eau, les terres, et l’ensemble des écosystèmes.

Certains économistes ajoutent encore à ce bilan patrimonial de la Nation un actif intangible, comme la démocratie.

Au passif du bilan patrimonial de la Nation figurent la dette publique et la dette privée.

Pour Jean-Paul Fitoussi, disposer d’un tel bilan patrimonial de la Nation permet d’éclairer les choix politiques, notamment les choix budgétaires. C’est en cela que cette approche nous concerne tout particulièrement.

Dans le même esprit, la loi portée par la députée écologiste Éva Sas permet depuis 2015 de « prendre en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques ». Ce texte a été une première étape importante dans la reconnaissance d’indicateurs permettant de mesurer différents aspects de notre développement : le taux d’emploi, l’effort de recherche, l’endettement, l’espérance de vie en bonne santé, la satisfaction dans la vie, les inégalités de revenus, la pauvreté en conditions de vie, les sorties précoces du système scolaire, l’empreinte carbone et l’artificialisation des sols.

Dans l’édito du troisième rapport sur les nouveaux indicateurs de richesse, que nous venons de recevoir, le Premier ministre, M. Édouard Philippe, évoque aussi les dix-sept objectifs de développement durable du Programme de développement durable de l’ONU à l’horizon 2030, auxquels ont adhéré 193 États – tout de même !

Je cite M. le Premier ministre : « Cette dynamique […] a un sens politique profond. Il s’agit de savoir ce sur quoi nous fondons collectivement notre appréciation de ce que l’on entend par croissance, développement, bien-être ou progrès. » Et il indique que les principales réformes engagées par le Gouvernement seront « évaluées à l’aune de ces indicateurs ».

Si nous suivons les propos du Premier ministre, l’utilisation des nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas dans les études d’impact, comme le prévoyait notre article 1er, n’était pas incongrue. Et la réintroduction de l’article 1er initial permettrait facilement de surmonter la contradiction entre les propos du Premier ministre et la position de la commission des lois.

Au mois de juillet dernier, le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable de notre Haute Assemblée, Hervé Maurey, et notre collègue Jérôme Bignon organisaient au Sénat une table ronde pour faire le point sur la prise en compte par l’État et notre pays des objectifs de développement durable.

Je vais me permettre de citer quelques extraits de leurs propos tenus à cette occasion. Nos deux collègues pourront peut-être s’exprimer sur le sujet s’ils nous rejoignent.

Hervé Maurey posait à la fin de son propos introductif la question suivante : « Comment nous, parlementaires, pourrions-nous mieux appréhender ces objectifs dans la mise en œuvre des différentes politiques que nous examinons ? »

La nécessité de territorialiser ces indicateurs, d’y associer la société civile, de faire en sorte que le Sénat et l’Assemblée nationale puissent y travailler ensemble – c’est tout le sens de notre proposition, pour le deuxième texte, d’un Conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être – que nos commissions organiques ou spéciales ne travaillent plus en silo était rappelée à juste titre par Jérôme Bignon.

En 2011, l’OCDE se dotait d’une démarche du même ordre, intitulée L ’ initiative du vivre mieux, permettant des comparaisons internationales sur des thèmes aussi importants pour la qualité de vie de chacun de nos concitoyens que l’emploi et les salaires, le rapport vie professionnelle/vie privée, le logement, la qualité de l’environnement, l’état de santé, l’éducation et les compétences, les liens sociaux, l’engagement civique et la gouvernance, la sécurité personnelle et tout ce qui relève du bien-être subjectif.

L’Union européenne a aussi développé son propre modèle, et de nombreux pays se sont engagés dans cette voie, chacun à leur manière.

En réalité, il y a beaucoup d’indicateurs et de systèmes différents. Cette profusion nuit au sens, à la compréhension et à l’appropriation. Et tant que nous n’avançons pas dans ce sens, le PIB reste le point de repère exclusif, si ce n’est l’objectif majeur.

Dans ce contexte, confortés par de nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons ouvert le vaste chantier de l’amélioration de la fabrique de la loi et de l’évaluation des politiques publiques.

Et nous avons été rattrapés – si j’ose dire –, mais ce n’est pas une difficulté, par le projet de réforme constitutionnelle engagée par le Président de la République. Dans son discours du 3 juillet 2017, celui-ci appelait à réserver du temps « au contrôle et à l’évaluation », à « l’ardente obligation de bien suivre l’application des lois en s’assurant de leur pertinence dans la durée, de leurs effets dans le temps pour les corriger ou y revenir ».

De son côté, le président du Sénat indique dans la présentation du rapport de François Pillet que le contrôle et l’évaluation ont jusqu’à présent été les « parents pauvres de Ve République » et que nous devons « davantage investir notre mission de contrôle et d’évaluation ». C’est là tout le sens de nos propositions !

Venons-en maintenant au fond du texte.

Dans sa version initiale, l’article 1er de la proposition de loi dont nous allons discuter prévoyait que les études d’impact soient réalisées de manière plus qualitative, en tenant compte des indicateurs de la loi Sas.

Nous voulions, à partir de l’usage de ces indicateurs dans les études d’impact, rappeler la nécessité de penser l’action publique au regard des objectifs de développement durable que notre pays reconnaît dans le cadre des accords de Paris issus de la COP 21.

Les indicateurs de la loi Sas ne sont pas gravés dans le marbre, mais ils peuvent être mis en rapport avec les dix-sept objectifs de développement durable. Ces « ODD » nécessitent une déclinaison et une appropriation par chaque pays ; les nouveaux indicateurs de richesse de la loi Sas peuvent en être une traduction pertinente et, bien entendu, perfectible.

Ce qui importe donc, pour être cohérents avec nos engagements internationaux, c’est que nous nous engagions à les prendre en compte, à nous y référer dans nos études d’impact et nos évaluations.

Là était l’esprit de l’article 1er, c’est-à-dire, en réalité, l’essentiel de ce texte.

La discussion de l’amendement visant à le réintroduire dans le texte nous permettra, je l’espère, de mieux nous comprendre et d’arriver à un accord.

Le rapporteur de la commission des lois, notre collègue Jean-Pierre Sueur, a voulu privilégier dans ce texte l’amélioration de la procédure des études d’impact dont traite l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009. Ce point de vue n’est pas contradictoire avec la réintroduction de l’article 1er. L’article 2 a donc été modifié ; il prévoit désormais – c’est un point important – que « les évaluations sont réalisées par des organismes indépendants ». Nous sommes d’accord avec cette disposition, mais, par cohérence avec la nécessité de faire usage de nouveaux indicateurs, nous amenderons le point relatif aux modalités de réalisation des évaluations.

Le texte initial prévoyait également que les « évaluations so[ie]nt réalisées par des organismes publics indépendants et pluralistes ». Les amendements présentés par le rapporteur en commission en respectent l’esprit, mais le pluralisme est davantage, pour nous, un principe de droit qu’une lubie de circonstance. Nous expliciterons ce point en présentant un amendement de réintroduction de cette notion.

La commission des lois a aussi voulu confier au Conseil d’État le soin de définir la liste des organismes habilités, les modalités de leur désignation et les modalités techniques de réalisation des études d’impact et d’évaluation. Nous le proposerons nous-mêmes dans quelques instants. Nous sommes donc d’accord sur ce sujet.

Je tiens à souligner que le Gouvernement n’est en rien empêché de mener comme il l’entend et comme le prévoient les textes existants ses propres études d’impact.

Enfin, constatons ensemble que les autres modifications introduites par la commission reposent sur la prise en compte des propositions 15 et 18 du rapport du président Gérard Larcher, relatives à l’amélioration de la qualité des études d’impact.

En définitive, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, l’adoption du texte dont la commission s’est saisie ferait, je le crois, progresser sensiblement le Parlement dans la mise en œuvre des missions de contrôle et d’évaluation des politiques publiques que lui confère l’article 24 de la Constitution, cela dans le cadre d’un paradigme qui répond aux enjeux impérieux d’un développement durable et inclusif. La France a donné la meilleure image d’elle-même avec l’Accord de Paris. Il nous revient, à nous parlementaires, d’en tirer toutes les conséquences dans notre travail quotidien de législateur.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion