Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur Franck Montaugé, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour l’examen des deux textes présentés par le groupe socialiste et républicain du Sénat.
Ces propositions de loi tendent à améliorer deux phases de la procédure législative : en début de parcours, la présentation des projets de loi par le Gouvernement et la qualité de l’information qu’il produit à l’attention du Parlement au travers des études d’impact ; à l’issue du vote des assemblées, l’évaluation des politiques publiques et de la législation, à l’aune de nouveaux indicateurs de richesse prévus dans la loi dite « Sas » du 13 avril 2015.
Le Gouvernement entend saluer, comme l’a d’ailleurs fait la commission des lois, la cohérence et la qualité du travail accompli par l’auteur de ces textes, Franck Montaugé, ainsi que par le groupe socialiste et républicain, qui ont cherché à améliorer l’ensemble du processus législatif, en voulant que le Parlement soit mieux informé, ou informé différemment, à l’occasion du vote des projets de loi qui lui sont soumis, et mieux doté en outils de contrôle de l’application des textes votés et d’évaluation des politiques publiques.
C’est la proposition de loi organique visant à améliorer la qualité des études d’impact des projets de loi que nous allons d’abord examiner.
Ce texte est né d’une déception, que le Gouvernement peut entendre. Le parlementaire que j’ai été le sait : les études d’impact prévues par le législateur organique dans la loi organique du 15 avril 2009, qui sont censées éclairer le Parlement sur la pertinence du recours à une nouvelle législation, ne sont pas toujours à la hauteur des attentes qui avaient été placées en elles.
Perçues à l’origine, lors de la révision constitutionnelle de 2008, comme une clé pour mieux légiférer, elles peuvent parfois apparaître comme incomplètes, biaisées ou, pour le dire autrement, orientées.
Je sais que le Sénat est particulièrement vigilant sur ce sujet. Votre ancien collègue Jean-Jacques Hyest, désormais membre du Conseil constitutionnel, n’a jamais vraiment tenu ces études d’impact en haute estime. Hugues Portelli, éminent professeur de droit public et de sciences politiques, a en outre remis en 2015 sur ce sujet un rapport qui a fait date.
Que la Haute Assemblée se saisisse de ces questions, en ayant pour objectif d’améliorer constamment la qualité de la loi, dans sa préparation, son élaboration et son évaluation, est tout à son honneur. Pour le Gouvernement, l’examen critique de ces pratiques n’est pas toujours un moment agréable, j’en conviens, mais il s’agit d’un aiguillon, d’un stimulant indispensable pour améliorer le travail normatif et pour trouver, ensemble, des réponses à une situation perçue comme insatisfaisante.
La proposition de loi organique que nous examinons cet après-midi s’inscrit dans la lignée des travaux engagés par le Sénat pour améliorer la qualité des études d’impact. Elle vient s’ajouter à une proposition de loi organique relative aux études d’impact des projets de loi déposée le 28 septembre 2017 par Mme Élisabeth Lamure et M. Olivier Cadic. Son ambition est de permettre une évaluation plus qualitative des projets de loi, par l’intégration dans les études d’impact de nouveaux indicateurs et, pour la réalisation de ces études, par le recours à des organismes indépendants, ainsi qu’à des personnalités qualifiées désignées par le Parlement.
Bien qu’il salue l’objectif et puisse comprendre, comme je l’ai dit, les préoccupations exprimées par les parlementaires sur ces questions, le Gouvernement est réservé sur les solutions proposées au travers de ces textes pour résoudre les problèmes identifiés.
En premier lieu, le Gouvernement ne peut être favorable, par principe, à un texte qui, bien que sensiblement modifié par la commission des lois, ne correspond pas aux orientations données par le Président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle.
Sans nier l’intérêt qu’il y a, pour le Parlement, à disposer de la meilleure information possible avant de voter sur un projet de loi, le Gouvernement considère en effet que les dispositions déjà existantes concernant les études d’impact sont suffisantes et que la priorité doit porter sur l’évaluation ex post des textes adoptés
La qualité d’une étude d’impact ne préjuge pas la qualité de la loi : il peut y avoir de mauvaises études d’impact et de bonnes lois ; il peut aussi y avoir de très belles études d’impact et des lois insatisfaisantes. Il faut admettre qu’il s’agit là d’un exercice difficile : comment juger les effets d’une disposition encore inexistante ?
J’ajoute, à l’attention de M. le sénateur Montaugé et du groupe socialiste et républicain, en anticipant un peu sur nos débats de l’après-midi, que le défi serait encore plus difficile à relever avec une étude d’impact plus « qualitative ». Il est déjà délicat de satisfaire les parlementaires avec des critères dits « quantitatifs », ceux actuellement requis : qu’en serait-il avec des critères plus souples et qui se définissent encore moins facilement ?
Il faut, à cet égard, se rappeler que le Conseil constitutionnel se garde, avec raison, de définir ce que serait une étude d’impact satisfaisante. Saisi par le Premier ministre à l’occasion de l’examen du projet de loi NOTRe, le Sénat refusant d’inscrire le texte à l’ordre du jour au motif que son étude d’impact ne respectait pas les prescriptions de la loi organique, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les dispositions organiques n’avaient pas été méconnues, alors que les critiques étaient féroces.
En réalité, lorsque nous élaborons la loi, nous ne manquons pas d’analyses ou d’études, ni même de l’avis d’organismes indépendants, qui ne se privent nullement de le donner. Nous manquons souvent de suite dans les idées. Nous devrions pouvoir prendre le temps de mieux évaluer la loi et d’en tirer les leçons quant à sa pertinence, à son efficacité ou à son utilité.
Plutôt que de nous livrer, toujours plus avant, à un exercice d’analyse a priori qui, quelles que soient les garanties qui l’entourent, sera toujours frustrant, nous devons consacrer des moyens importants à l’évaluation et au contrôle a posteriori des politiques publiques. Nous devons, pour cela, donner au Parlement un « droit de suite » : le droit de légiférer sur la base de ses propres évaluations.
Ce sont les orientations définies et annoncées par le Président de la République dans le cadre de la révision constitutionnelle qui s’annonce : il s’agit de faire marcher le Parlement sur ses deux jambes, si je puis m’exprimer ainsi, à savoir le vote de la loi, d’une part, et l’évaluation des politiques publiques, d’autre part.
Le Président de la République et le Premier ministre ont plusieurs fois évoqué un « printemps de l’évaluation », par exemple avec un examen rénové de la loi de règlement, mais aussi – cette piste a été envisagée devant la Cour des comptes – avec l’audition de chacun des ministres par les commissions parlementaires sur le bilan de l’année écoulée et sur le programme de travail de l’année à venir.
Il faudrait, en somme, que le Gouvernement passe moins de temps à convaincre, et plus à rendre compte. Cela vaut en matière budgétaire, bien sûr, comme pour les autres domaines de l’action publique. Le Gouvernement doit se rendre disponible pour présenter au Parlement les résultats ministériels, tant dans l’application des lois que dans la performance des politiques publiques. C’est une ambition forte, et le gage d’un fonctionnement sain de notre démocratie et de la séparation des pouvoirs.
Rééquilibrer le calendrier parlementaire, en somme, tel est l’enjeu pour nous. Cela passera peut-être, aussi, par l’enrichissement de la semaine de contrôle, qui n’apporte aujourd’hui pas pleinement satisfaction aujourd’hui aux parlementaires, alors qu’elle pourrait être un outil formidable de suivi et de contrôle de l’action du Gouvernement.
De tout cela, mesdames, messieurs les sénateurs, vous serez amenés à discuter à brève échéance. C’est une position de principe ambitieuse, une volonté forte du Gouvernement et du Président de la République, qui seront soumises à votre examen dans les semaines et les mois à venir.
Des consultations vont être engagées à partir de cette semaine pour recueillir les avis et les expertises de toutes les parties prenantes en vue de la révision constitutionnelle, qui devra être adoptée avant l’été. Cette proposition de loi organique vient donc heurter le calendrier de cette grande réforme constitutionnelle. Cela justifie les plus grandes réserves du Gouvernement quant à son éventuelle adoption.
En second lieu, le Gouvernement émet sur ce texte plusieurs réserves d’ordre juridique qui plaident également pour un rejet.
Sans trop anticiper le débat sur chacun des amendements, je soulignerai d’ores et déjà que ces réserves portent principalement sur l’article 2 de la proposition de loi, qui prévoit que les évaluations figurant dans les études d’impact « sont également réalisées par des organismes indépendants ».
Cette rédaction convient mieux au Gouvernement que la version initiale du texte, qui prévoyait le recours à des organismes publics indépendants et pluralistes, ainsi qu’à des personnalités qualifiées désignées par le Parlement, pour la réalisation des évaluations figurant dans les études d’impact. Elle lève ainsi la principale objection qui pouvait être formulée à l’égard du texte initial, tenant au fait qu’une étude d’impact a pour objet de compléter l’exposé des motifs des projets de loi par une analyse précise des avantages attendus et des multiples incidences du texte. Une étude d’impact ne constitue donc pas un diagnostic préalable pouvant relever de la seule compétence d’une autorité indépendante.
Néanmoins, l’obligation de contre-expertise indépendante que ces dispositions entraînent pourrait ne pas être conforme aux dispositions de l’article 39 de la Constitution. Cet article n’habilite en effet le législateur organique qu’à réglementer les conditions de « présentation » des projets de loi. Or une telle exigence pourrait être regardée comme touchant non pas à la présentation, mais à l’élaboration même des projets de loi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au-delà des réserves d’ordre juridique que j’ai brièvement mentionnées et sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir lors de l’examen des amendements, vous aurez compris que ce sont des raisons de principe, de calendrier et d’orientations de la révision constitutionnelle qui conduiront le Gouvernement à donner un avis défavorable à l’adoption de la présente proposition de loi organique par votre assemblée.