Intervention de François Bonhomme

Réunion du 7 mars 2018 à 14h30
Conseil parlementaire d'évaluation des politiques publiques et du bien-être — Discussion d'une proposition de loi

Photo de François BonhommeFrançois Bonhomme :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2008, le gouvernement français sollicitait la création de la Commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social, dans un contexte de remise en cause croissante de la pertinence des indicateurs de performance économique et de progrès social existants.

Cette commission, présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, était chargée de déterminer les limites de l’utilisation du PIB comme indicateur de performance économique et de progrès social.

De fait, il s’agissait d’une critique formelle de l’utilisation du PIB en tant qu’instrument de mesure central de la « richesse des nations ». Ainsi, dans son rapport final, la commission concluait que « l’adéquation des instruments actuels de mesure des performances économiques, notamment de ceux qui reposent uniquement sur le PIB, pose problème depuis longtemps ». Elle élargissait le champ de la notion de « bien-être présent » à des éléments non économiques.

Devant un tel constat, certaines initiatives ont visé à mettre en place des indicateurs et des instruments de mesure économiques, sociaux, environnementaux ou culturels plus pertinents. Ces « nouveaux indicateurs de prospérité » se sont ainsi multipliés aux échelles locale, nationale et internationale.

En 2012, la conférence des Nations unies sur le développement durable, dite « Rio+20 », a été l’occasion pour l’ONU de proposer un indice de richesse globale, « PIB vert » intégrant un « capital naturel » au PIB classique.

De son côté, la France a adopté en 2015 la loi visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, sur l’initiative de notre collègue députée Éva Sas. Cette loi prévoyait la prise en compte de dix nouveaux indicateurs de qualité de vie et de développement durable pour l’élaboration des décisions publiques, en sus d’instruments de mesure de la production tels que le produit intérieur brut. Dans cette optique, elle impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport annuel présentant l’évolution, à moyen terme, de ces indicateurs de qualité de vie et de développement durable.

C’est dans la continuité de ces différentes initiatives que s’inscrit la proposition de loi de notre collègue Franck Montaugé. Elle vise notamment à favoriser l’utilisation et l’appropriation par nos concitoyens de nouveaux indicateurs de richesse.

Ce texte comporte trois articles.

L’article 1er vise à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être comprenant dix-huit sénateurs et dix-huit députés. Cette délégation parlementaire serait appuyée par un comité scientifique composé d’universitaires et de représentants d’organismes publics et indépendants. Elle devrait organiser de façon annuelle une conférence « citoyenne » – adjectif galvaudé à force d’être utilisé à tout propos – sur l’état des inégalités en France.

L’article 2 prévoit que le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être présente tous les trois ans un rapport – un de plus ! – évaluant la pertinence des indicateurs de richesse existants et formulant des propositions d’amélioration de ces derniers et de création de nouveaux indicateurs « plus qualitatifs ».

Enfin, l’article 3 dispose que le rapport gouvernemental visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques prévu par la loi devra désormais inclure une contre-expertise réalisée par des experts indépendants. On le voit bien, cela se complique un peu ! Finalement, dans notre pays, chacun est expert en quelque chose…

L’objet de cette proposition de loi est certes louable, puisqu’il s’agit de faire évoluer nos instruments de mesure de richesse afin que nous puissions disposer d’indicateurs précis et opérationnels. Ce texte ouvre une réflexion intéressante sur la pertinence du PIB. Toutefois, mes chers collègues, gardons à l’esprit que la multiplication de structures en tout genre ne saurait constituer à elle seule une solution satisfaisante. Il est en effet à craindre qu’elle ne se révèle être source de complexification et ne soit finalement contre-productive.

La nécessité de créer de nouveaux indicateurs paraît, quant à elle, discutable, à l’heure où, comme il est d’ailleurs précisé dans l’exposé des motifs, l’utilisation des nouveaux indicateurs à des fins d’action publique ou de pilotage des politiques publiques se révèle encore limitée.

Enfin, les auteurs de la proposition de loi préconisent que le rapport gouvernemental présentant l’évolution des nouveaux indicateurs prévus par la loi Sas inclue une contre-expertise menée par des experts « indépendants », alors même que l’application de cette loi reste à l’heure actuelle insatisfaisante et mériterait d’être améliorée.

En effet, la loi Sas prévoit que le Gouvernement remette au Parlement chaque premier mardi d’octobre un rapport présentant l’évolution des nouveaux indicateurs. Or le rapport de 2017 a paru avec quatre mois de retard. Une meilleure application de la loi Sas devrait donc être envisagée.

En définitive, la révision de nos instruments de mesure de richesse ne saurait se faire au prix de la multiplication des structures et au détriment de la simplification du droit. Vous comprendrez, mes chers collègues, que les réserves que m’inspire ce texte ne me permettent pas de le voter.

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