Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons cet après-midi institue un « conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être » – un bien-être sans doute fort difficile à évaluer, quels que soient les critères que l’on peut définir à cette fin…
Composé de dix-huit députés et de dix-huit sénateurs, assisté d’un comité scientifique, ce conseil parlementaire aurait pour mission non seulement d’informer le Parlement des conséquences des politiques publiques sur le bien-être des populations, mais aussi de mettre en place une plateforme participative numérique relative aux « nouveaux indicateurs de richesse », afin que les citoyens s’approprient les indicateurs alternatifs au PIB et fassent vivre le débat démocratique.
Cette plateforme a pour vocation l’élaboration et la mise en débat citoyen les nouveaux indicateurs, afin de rétablir le lien entre politiques et citoyens et d’attirer l’attention, notamment des médias, sur l’état de la société au travers des grands enjeux démocratiques. À cet effet, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être organiserait chaque année au Sénat une conférence citoyenne sur l’état des inégalités en France.
L’article 2 de la proposition de loi instaure un bilan d’évaluation de la pertinence des nouveaux indicateurs de richesse issus de la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse dans la définition des politiques publiques, ou loi Sas, laquelle a débouché sur la création de dix nouveaux indicateurs de richesse. Ainsi, tous les trois ans, le conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être évaluerait la pertinence des indicateurs de richesse existants. Il formulerait des propositions d’amélioration ou de création de nouveaux indicateurs.
Enfin, l’article 3 de la proposition de loi prévoit que le rapport issu de la loi Sas et remis par le Gouvernement au Parlement fasse l’objet d’une contre-expertise indépendante. Plus simple, il n’y a pas !
Cette proposition de loi appelle un certain nombre de remarques.
En premier lieu, l’évaluation et le contrôle sont au cœur de la mission du Parlement, comme le dispose l’article 24 de la Constitution. Cette fonction vise à garantir la qualité des textes de loi en amont et à en évaluer les effets en aval. De l’avis général, elle est insuffisamment exercée et valorisée.
Il apparaît donc indispensable de développer les travaux et de renforcer les méthodes et les capacités d’expertise et d’évaluation du Parlement, afin d’améliorer l’évaluation de l’application des lois et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques. Cette mission appartient aux commissions permanentes, ainsi qu’aux délégations et autres organes permanents ou temporaires.
En second lieu, de nombreuses réflexions sur le renforcement du contrôle et de l’évaluation ont été entreprises et, déjà, des pistes ont été dégagées.
Ainsi, il paraîtrait intéressant de renforcer l’assistance de la Cour des comptes. Actuellement, seules deux procédures permettent aux instances parlementaires d’être à l’initiative et de passer commande à la Cour des comptes d’enquêtes sur des sujets de leur choix.
Il s’agit, d’abord, de la faculté reconnue aux commissions des finances, puis aux commissions des affaires sociales, d’user d’un droit de tirage dans le cadre du contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Il s’agit, ensuite, de la possibilité ouverte au président de chaque assemblée de demander la réalisation d’enquêtes au titre de l’évaluation des politiques publiques. Étendre à toutes les commissions permanentes la faculté de solliciter la Cour des comptes pour la réalisation d’enquêtes peut constituer une piste intéressante.
De même, lever l’interdiction faite aux assemblées parlementaires de créer des commissions d’enquête sur des faits faisant l’objet de poursuites judiciaires, sous réserve du respect du secret de l’instruction, peut sembler pertinent.
La création d’une commission d’enquête est un outil essentiel du contrôle parlementaire. Toutefois, une règle de recevabilité prohibe la création d’une commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l’ouverture d’une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle était chargée d’enquêter. Le respect de cette règle repose, dès lors que la création d’une commission d’enquête est envisagée, sur une saisine systématique du garde des sceaux.
Cette règle de recevabilité a, par le passé, limité les investigations des commissions d’enquête consacrées au Service d’action civique, aux sectes, au régime étudiant de la sécurité sociale ou encore au Crédit lyonnais, par exemple. Le comité Balladur s’était prononcé en faveur de sa suppression. L’abroger ne permettrait pas au Parlement d’interférer dans une procédure judiciaire ni de se substituer à l’autorité judiciaire !
Enfin, prévoir un délai impératif de réponse de deux mois aux questions écrites posées par les parlementaires au Gouvernement irait dans le sens d’une valorisation des activités de contrôle et d’évaluation du Parlement.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ces quelques exemples illustrent des voies d’amélioration et de développement des travaux d’évaluation.
Dans ce contexte, la proposition de loi visant à instituer un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être apporte une contribution utile. Toutefois, au vu de l’importance du sujet, une réflexion plus large semble nécessaire. Pour cette raison, notre groupe votera en faveur de l’adoption de la motion tendant au renvoi du texte à la commission.