Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les problèmes sous-jacents à cette proposition de résolution rapprochent, je le crois, l’ensemble des groupes politiques. La fraude fiscale, qui est un phénomène ancien, a connu un nouvel essor à mesure que les frontières se sont ouvertes : l’espace économique s’est mondialisé, tandis que l’espace fiscal est demeuré strictement national.
Je préfère définir les termes du débat : la fraude fiscale est bien un acte illégal visant à contourner l’impôt ; elle n’est pas l’optimisation, qui consiste à utiliser tous les moyens légaux disponibles pour réduire la charge fiscale.
D’après un rapport de 2007 du Conseil des prélèvements obligatoires, ou CPO, quatre tendances expliquent l’évolution de la fraude aux prélèvements obligatoires : la complexité des règles, le travail dissimulé du fait du passage à une économie de services, l’internationalisation des mécanismes de fraude et les évolutions technologiques.
Ce rappel du cadre du débat vous montre que nous sommes face à un problème évidemment complexe. Les conséquences en sont tout aussi majeures : d’une part, un manque à gagner pour les finances publiques de 30 milliards à 40 milliards d’euros d’après les estimations du CPO ; d’autre part, une atteinte grave aux principes de la République. Je rappellerai l’article XIII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel la contribution commune doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.
Pour ces raisons, l’arsenal répressif et technique s’est renforcé. En plus d’amendes, des sanctions pénales peuvent s’appliquer : une personne coupable de dissimulation frauduleuse d’avoirs risque jusqu’à deux millions d’euros d’amende et sept ans d’emprisonnement en cas de domiciliation fictive à l’étranger. Comme outils, je pourrais citer la création d’une Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, celle d’un parquet financier ou encore les dispositifs de circulation auprès de TRACFIN, la cellule de traitement du renseignement et de l’action contre les circuits financiers clandestins.
Ce renforcement de l’arsenal législatif se nourrit des propositions du Sénat, et je salue ici le travail de notre collègue Éric Bocquet, rapporteur de la commission d’enquête sur l’évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales. Saluons aussi le travail des services et des agents de l’État, bien loin des caricatures désignées dans le texte que nous discutons ce soir.
Ce vaste chantier de la lutte contre la fraude ne peut rester national. La communauté internationale a d’ailleurs pris acte, tardivement, des risques que fait peser l’évasion fiscale sur l’économie. Le G8 et le G20 ont ainsi donné l’impulsion politique nécessaire pour confier mandat à l’OCDE d’agir dans cette lutte, l’OCDE qui anime depuis 2000 le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, visant à identifier les États qui ne respectent pas les standards internationaux.
L’une des réponses du multilatéralisme passe en effet par l’échange automatique d’informations : ici encore, il s’agit d’une impulsion du G20, traduite par l’adoption en février 2014 par l’OCDE d’une norme mondiale unique relative à l’échange automatique de renseignements.
Le 30 septembre 2017, est entré en vigueur l’accord multilatéral entre autorités compétences pour l’échange automatique de renseignements, qui prévoit d’importants échanges bilatéraux. En clair, cet outil va permettre au fisc français de connaître automatiquement le contenu des comptes bancaires offshore ou onshore de tous les Français dans chacun des pays signataires. Il ne concerne que cinquante et une juridictions à ce jour, mais des territoires souvent visés ont signé, comme Jersey et l’île de Man. Il faut aller plus loin et convaincre notamment les États-Unis.
De manière plus approfondie, l’Union européenne a beaucoup avancé depuis la directive épargne de 2003. Le Conseil de l’Union européenne a complété cette dernière en mars 2014, et, depuis 2017, l’échange d’informations financières est une réalité sur les intérêts, les dividendes, les produits de ventes d’actifs, les produits d’assurance vie et les revenus perçus par des structures intermédiaires localisées dans des États tiers.
L’Union européenne conclut par ailleurs des accords bilatéraux dans le cadre du secret bancaire : le 1er janvier 2018 a marqué la fin du secret bancaire suisse pour les ressortissants étrangers.
Toutes ces mesures arrivent tardivement, nous en conviendrons, mais elles arrivent. Le chantier de la lutte contre l’évasion fiscale est toutefois un énorme chantier, et il reste beaucoup à faire, tant pour harmoniser les fiscalités que pour lutter contre la fraude.
La question de l’harmonisation souligne aussi l’importance de la taxation des acteurs du numérique. Depuis septembre 2017, la France est à la pointe de la bataille pour que les GAFA paient leurs impôts au niveau approprié : cela ne peut plus durer.
Le second point, la lutte contre la fraude fiscale, montre l’importance du plan préparé par le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, en la matière. Il saura, je le crois, répondre à une partie des manques qui sous-tendent cette proposition de résolution.
En conclusion, mes chers collègues, il y a beaucoup à faire et cette proposition de résolution nous le rappelle ; elle est en ce sens salutaire. Elle nous rappelle que le cadre de coopération utile est le cadre multilatéral, notamment au sein de la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui rassemble 117 juridictions à ce jour.
Le groupe La République En Marche entend aborder avec réalisme la complexité de ce problème. Il travaillera au Sénat sur ces questions concrètes, mais ne soutiendra pas cette proposition de résolution, qui ne nous paraît pas constituer la bonne solution.
Les questions d’évasion demandent des réponses techniques, de longue haleine, pour éviter les trous dans la raquette et des législations imparfaites ; c’est aussi le risque que nous encourrons avec un accord international, fruit de négociations sur les virgules et peu normatif.