Intervention de Sophie Taillé-Polian

Réunion du 7 mars 2018 à 21h30
Finance mondiale harmonisation et justice fiscales — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Sophie Taillé-PolianSophie Taillé-Polian :

La fraude fiscale pose fondamentalement la question de la démocratie et du contrat social sur lequel elle est fondée, c’est-à-dire le consentement à l’impôt. Nos concitoyens ne peuvent comprendre la tétanie des autorités nationales et internationales lorsqu’ils mesurent les montants en jeu, et alors qu’on fait toujours appel à eux pour se serrer la ceinture. L’évasion et la fraude fiscales sont de véritables cancers pour notre démocratie, et il est temps que le Gouvernement prenne ses responsabilités en la matière.

Ce dernier multiplie les baisses d’impôt pour les plus riches et les mesures d’austérité, juge les fonctionnaires trop nombreux, veut en finir avec les « profiteurs » qui abusent de statuts prétendument privilégiés, entend faire la chasse aux « fraudeurs aux aides sociales ». Nous sommes en droit d’attendre, et ce devrait être une priorité, que la traque aux fraudeurs fiscaux et à toutes les stratégies d’optimisation qui flirtent avec l’illégalité soit intraitable.

Pour y arriver, il reste des chantiers extrêmement importants à mener. Des mesures ont été prises lors du précédent quinquennat : réforme bancaire de 2013, loi Sapin II de 2016, vote de l’échange automatique d’informations au début de 2017. D’ailleurs, ces éléments auraient pu être intégrés dans le texte présenté ici, comme ils l’avaient été, en février 2017, à l’Assemblée nationale.

J’en conviens, le présent texte reste très largement à compléter avec des éléments indispensables : la levée du verrou de Bercy, cela a été dit, la protection plus forte des lanceurs d’alerte, le reporting pays par pays ; mon collègue Thierry Carcenac y reviendra.

Aussi, nous attendons avec une grande impatience le projet de loi pour lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, que le Gouvernement a annoncé. Car nous ne saurions attendre la communauté internationale pour agir. La France doit, conformément à ses valeurs multiséculaires, se montrer avant-gardiste en la matière.

Revenons à la proposition émise par ce texte, que nous soutenons totalement, car elle insiste sur l’importance de la coordination entre les différents États dans la lutte contre le dumping fiscal et contre l’évasion fiscale. Les grandes organisations internationales prétendent toutes avoir la volonté d’enrayer ce fléau. Mais l’un des principaux problèmes est qu’aucune ne fait comme les autres : elles ne s’arrêtent pas sur les mêmes définitions, les mêmes critères, les mêmes listes de paradis fiscaux, rendant toute mise en place de mesures concrètes impossible, voire utopiste. Les listes de paradis fiscaux publiées relèvent plus de tractations diplomatiques que de réalités statistiques.

La dernière liste de paradis fiscaux établie par l’Union européenne le démontre : ses États membres en ont été écartés d’office, y compris ceux dont la fiscalité est reconnue comme étant avantageuse, pour ne pas dire accommodante. On nous a promis hier, et on nous le promet encore aujourd’hui même, d’épingler les mauvais élèves. Très bien ! Toutes les avancées sont bonnes à prendre, nous verrons ce qu’il en sera réellement. Dans cette même liste, en outre, certains pays mentionnés ne sont vraisemblablement pas les paradis fiscaux les plus prisés.

Les organisations internationales ne font qu’inviter les « paradis » à prendre les décisions adéquates, mais ne formulent aucune menace. Et si ces « paradis » les acceptent, aucune évaluation réelle n’est prévue pour en mesurer l’impact.

Nous sommes ainsi très favorables à ce que la France porte la présente proposition de résolution pour la mise en place d’une conférence des parties, sous l’égide des Nations unies, car elle serait le signe d’une mobilisation générale. La présence active de la société civile dans ce type de réunions et de mobilisations serait un garde-fou essentiel, et nous devons nous appuyer sur le travail exceptionnel, qu’il faut saluer, qu’ont réalisé nombre d’ONG sur ces questions.

L’émergence d’une véritable coopération internationale au service d’une plus juste répartition des richesses est absolument indispensable.

Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je terminerai en regrettant que le groupe LREM ne soutienne pas cette proposition de résolution. Cela ne peut que nous faire douter sur la volonté du Gouvernement de lutter à tous les niveaux contre le fléau de la fraude fiscale. La France s’honorerait pourtant de prendre la tête de cette croisade, à l’intérieur de nos frontières comme à l’international. C’est peut-être une vision du vieux monde, mais ce nouveau monde, visiblement, n’est pas le nôtre.

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