Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs jugé cette disposition contraire à la Constitution, au nom de la liberté d’entreprendre, et avait censuré l’article 137 de la loi Sapin II qui prévoyait la publication des données des entreprises.
Le Parlement européen s’est également saisi de cette question et a adopté, en juillet 2017, une proposition obligeant les multinationales dont le chiffre d’affaires excède 750 millions d’euros à publier les impôts qu’elles paient pays par pays. Néanmoins, il a également adopté une mesure permettant à un État membre d’accorder une exemption de publication de certaines informations jugées sensibles d’un point de vue commercial. Cette possibilité de restriction de la publicité des données nous semble essentielle.
Aujourd’hui, le projet BEPS est porté par l’ensemble des pays de l’OCDE, auxquels s’ajoutent les huit pays du G20 non membres de cette organisation, soit 90 % de l’économie mondiale. Une telle convergence sur un projet aussi ambitieux, qui vise à créer un cadre universel propice au développement d’une transparence fiscale globale, témoigne du dynamisme dont fait preuve la communauté internationale sur un sujet aussi crucial.
Nous saluons ces progrès et continuons de défendre une démarche intégrée allant dans le sens d’une pleine réciprocité dans l’application de normes parfois très contraignantes pour les entreprises.
De surcroît, le Conseil des ministres des finances de l’Union européenne a publié, en décembre dernier, une liste noire de dix-sept États jugés non coopératifs en matière fiscale et une liste grise de quarante-sept pays, dont la Suisse, placés sous surveillance et qui ont pris des engagements de bonne conduite. Cette liste semble efficace puisque, depuis sa publication, neuf pays sont récemment passés de la liste noire à la liste grise, à la suite d’engagements pris en matière de lutte contre l’évasion fiscale.
Même si nous pouvons juger que les choses peuvent toujours aller plus vite et plus loin, nous constatons que, peu à peu, les comportements changent et les lignes bougent.
Ainsi, au niveau européen, rappelons l’amende record infligée par la Commission européenne à Apple en raison de ses deux rescrits fiscaux, dits tax rulings, avec le fisc irlandais.
Rappelons aussi que, dans son quatrième paquet sur la lutte contre l’évasion fiscale, la Commission européenne avait inclus le projet d’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés, dit ACCIS. Ce projet ambitionne une plus grande intégration fiscale en Europe, afin de lutter contre l’optimisation fiscale mettant les États membres en concurrence. De cette manière, l’ACCIS pourrait, selon la Commission européenne, « constituer un instrument puissant pour lutter contre l’évasion fiscale des entreprises en supprimant les disparités entre les systèmes nationaux et en établissant des dispositions communes en matière de lutte contre l’évasion fiscale ».
Ce projet a été relancé dans le cadre d’une nouvelle proposition de directive, formulée par la Commission en octobre 2016. Bruxelles espère aboutir d’ici à 2019, même si les règles d’unanimité freinent pour le moment le projet.
Aujourd’hui même, la Commission européenne a mis au ban sept pays de l’Union européenne, dont l’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas, lesquels, selon le commissaire européen à la fiscalité, Pierre Moscovici, ont des pratiques qui « nuisent à l’équité, empêchent une concurrence loyale dans le marché intérieur et augmentent le fardeau des contribuables européens ». Cette actualité semble avoir échappé à certains.
Rappelons, par ailleurs, la création en France, en 2017, de l’Agence française anticorruption, qui contrôle le respect de l’obligation de vigilance par les grandes entreprises dans le domaine de la lutte contre la corruption et le trafic d’influence, et qui dispose d’un pouvoir de sanction.
Ce bref rappel des avancées que nous avons pu observer aux niveaux français, européen et international ne signifie pas que le combat contre l’évasion fiscale est gagné. Les mesures relatives au BEPS et au paquet européen doivent encore être effectivement mises en œuvre de manière globale.
Ce rappel nous offre cependant un éclairage salutaire sur la question qui nous réunit ce soir. Éric Bocquet appelle à la convocation d’une conférence internationale des parties sur cette question. Or force est de constater que, sur ces sujets, ses vœux ont déjà en grande partie été réalisés. Des plateformes internationales de discussion existent déjà et, comme nous venons de le voir, fonctionnent relativement bien.
Il est donc légitime de s’interroger sur la pertinence d’une telle conférence, qui risque d’apparaître comme superfétatoire au regard de la pratique internationale.
S’il doit y avoir débat, il doit non pas être d’ordre institutionnel, mais plutôt porter sur les modalités de mise en œuvre des accords internationaux et le suivi de ces derniers.
Mais cela ne saurait se limiter à des vœux pieux sous-tendus par une idéologie à laquelle nous n’adhérons pas. L’exposé des motifs et les considérants de la proposition de résolution que nous examinons ce soir sont excessivement idéologiques et ne peuvent pas rassembler l’ensemble des voix du Sénat.
L’unanimité est souvent possible dans notre Haute Assemblée, mais le rassemblement s’effectue autour d’un propos modéré et empreint de sagesse.
Le tableau caricatural qui est dressé du capitalisme et les termes excessifs utilisés ne permettent pas de rassembler les voix de notre groupe en faveur de cette proposition de résolution. Nous ne souscrivons pas aux termes évoquant une « économie mondialisée […] gangrenée », un « mythe de la compétitivité », une « logique nocive de la concurrence », « une course funeste », « une économie intoxiquée par la finance » dont « le combat […] représente […] un enjeu majeur pour la survie de tous ». C’est excessif et caricatural.
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette proposition de résolution.