Intervention de Thierry Carcenac

Réunion du 7 mars 2018 à 21h30
Finance mondiale harmonisation et justice fiscales — Rejet d'une proposition de résolution

Photo de Thierry CarcenacThierry Carcenac :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et contre le blanchiment de fraude fiscale est un combat de tous les instants.

En effet, comme cela a été souligné, les conséquences de ces pratiques sont désastreuses pour notre économie et nos politiques publiques ; le consentement à l’impôt, qui fonde notre pacte républicain, s’en trouve gravement affecté.

Des progrès ont été, sont et seront réalisés sous l’impulsion de l’OCDE, du G8, du G20, du FMI, de l’Union européenne, de notre volonté politique, aussi ici, en France.

L’appui des médias, des ONG et de l’opinion publique indignée est nécessaire pour traquer ces abus et inciter les pouvoirs publics à réagir. Les scandales d’optimisation fiscale se succèdent. Après les « Panama papers », les « Paradise papers » ont révélé au grand public des stratégies fiscales agressives d’évitement de l’impôt et ont conduit à des prises de décision pour lutter contre ces abus.

La proposition que nous examinons, même si elle comporte des points que nous ne pouvons pas totalement partager, a le mérite de permettre d’ouvrir ce débat, ici au Sénat, dans le prolongement de celui qui avait été engagé et approuvé en 2017 à l’Assemblée nationale, sous le précédent gouvernement.

La liberté de circulation des capitaux entamée dans les années quatre-vingt a conduit les États à assouplir leur législation fiscale, à adopter des mesures de dumping fiscal et à assumer la concurrence des moins-disants sociaux, fiscaux et réglementaires d’une mondialisation libérale sans pouvoir enrayer cette fuite en avant, qui aggrave les inégalités.

Ainsi que je l’indiquais, une prise de conscience s’est développée, et des mesures ont été prises pour lutter contre ce fléau, qui permet à certains de placer leur argent sur les places financières les plus rentables et les plus opaques moyennant des montages de plus en plus sophistiqués et des schémas fiscaux complexes conçus par des cabinets de conseil très expérimentés.

Il ne faut donc pas baisser la garde, la créativité de nouveaux montages permettant de contourner les mesures prises.

Une recherche de moyens plus efficaces est par conséquent nécessaire pour harmoniser à l’échelon européen nos politiques fiscales et mettre au ban des nations les territoires non coopératifs. L’OCDE, puis le G20 ont promu « l’échange automatique d’informations bancaires annuelles ». C’est un progrès indéniable, mais qui, à peine promu, voit déjà certaines failles se profiler, notamment par l’octroi de visas contre investissements et permis de résidence « non habituels » délivrés par des États.

Par ailleurs, les échanges ne concernent pas les biens immobiliers détenus à l’étranger ; il reste l’assistance fiscale administrative, au bon vouloir des administrations fiscales, et parfois difficile à mettre en œuvre.

La directive que l’Union européenne projette de mettre en œuvre visant à taxer les GAFA sur un pourcentage de leur chiffre d’affaires en Europe n’est pas encore acquise. Qu’en est-il ? Il aura fallu attendre six ans pour que les montages astucieux évoqués par la commission d’enquête du Sénat dès 2012 soient contrés. Étaient déjà mentionnés le « double irlandais » et le « sandwich hollandais », que nos multinationales du numérique pratiquent.

À l’échelon national, les définitions juridiques doivent être mieux précisées au vu de jurisprudences récentes. Il en va ainsi des notions d’« établissement stable », de « résidence » et d’« abus de droit ».

Le « verrou de Bercy », qui prévoit que le délit de fraude fiscale ne peut être poursuivi qu’à la suite d’une plainte de l’administration validée par la Commission des infractions fiscales, laisse supposer que certains pourraient échapper à des poursuites pénales. Il mérite un réexamen approfondi, et sa suppression.

J’en viens aux moyens humains mis en œuvre : la création, en 2002, du Service national de la douane judiciaire ; en 2010, du Bureau national de répression de la délinquance fiscale, qui dépend du ministère de l’intérieur ; en 2013, du Parquet national financier, qui dispose d’une procédure : la convention judiciaire d’intérêt fiscal ; de l’Office central de lutte contre la corruption et la fraude fiscale et, maintenant, la création envisagée d’une police judiciaire fiscale avec un plaider-coupable… Voilà qui montre toute la complexité de notre arsenal répressif, qui devrait être simplifié.

Je n’aborderai pas ici les besoins en formation des agents, le recrutement de personnels très qualifiés à profil informatique à encourager

Madame la secrétaire d’État, au-delà de cette proposition de résolution, que nous voterons et que Sophie Taillé-Polian a brillamment appuyée, le groupe socialiste et républicain ne peut que vous encourager à poursuivre les efforts engagés aux échelons français, européen et mondial pour que s’épanouisse une société plus juste.

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