Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer la présente proposition de résolution. Bien qu’introduite, dans son exposé des motifs, en des termes qui paraissent souvent excessifs, parfois caricaturaux, elle a le mérite de provoquer un débat sur des thématiques importantes, où des convergences transpartisanes apparaissent possibles. Je remercie les différents orateurs des échanges de qualité qui ont eu lieu ce soir.
Beaucoup d’entre vous l’ont rappelé, d’importantes avancées ont été obtenues au cours des dernières années dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Depuis de nombreuses années, la France est à la pointe de ce combat, aussi bien en interne qu’à l’échelon international.
L’action de notre pays porte également de façon très ambitieuse sur la lutte contre l’optimisation fiscale, qui suppose d’agir avec les autres États et, dans certains cas, comme pour l’économie numérique, de travailler à une refonte des règles internationales.
J’en profite pour préciser la différence entre la fraude fiscale, qui est une violation de la loi fiscale, et l’optimisation fiscale, laquelle s’appuie sur les failles du système fiscal afin de payer le moins d’impôts possible.
Sur ces deux notions, la France est engagée, car il s’agit de protéger nos finances et nos politiques publiques, de préserver une concurrence loyale entre les acteurs économiques, d’éviter une course au moins-disant entre les États et, finalement, de faire respecter la justice fiscale, qui est une attente fondamentale de nos concitoyens, attente partagée très largement sur les travées de cet hémicycle.
Il est primordial que tous les contribuables, entreprises et particuliers, quelle que soit leur taille, paient leur juste part d’imposition, en France comme en Europe.
Les révélations médiatiques auxquelles vous faites allusion dans votre proposition de résolution ont illustré une nouvelle fois, s’il en était encore besoin, l’absolue nécessité de renforcer nos exigences et notre action dans tous les domaines.
Nous partageons donc les mêmes objectifs, et le Gouvernement est pleinement mobilisé pour y parvenir. Notre action est très déterminée sur trois points que je vais détailler : la transparence fiscale, la lutte contre l’optimisation et la taxation des géants du numérique.
Premièrement, en matière de transparence fiscale, l’action de la France a favorisé les progrès considérables accomplis par la communauté internationale à tous les niveaux : G20, OCDE et Union européenne.
Sous la présidence française, le G20 a demandé à l’OCDE d’établir une liste internationale des paradis fiscaux. Cela a permis de faire progresser depuis 2010 la mise en œuvre des standards internationaux de transparence fiscale. Le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales, sous l’égide par l’OCDE, rassemble aujourd’hui 148 membres. Il passe en revue les lois et les pratiques d’échange à l’aune de standards toujours plus exigeants, par exemple s’agissant de l’identification des bénéficiaires effectifs de certaines structures opaques et complexes qui ont été dénoncées ici.
L’action de ce Forum mondial a également permis de mettre en place pour 100 pays la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, qui fixe les règles de l’échange d’informations. La France a aussi joué un rôle moteur dans le développement au niveau mondial de l’échange automatique d’informations sur les comptes bancaires, qui a permis de mettre fin au secret bancaire. Cette année devrait être celle de la mise en œuvre complète du standard mondial d’échange automatique d’informations sur les comptes financiers, que la France a vivement promu et adopté dès son origine en 2014.
L’Union européenne s’est également dotée d’un cadre juridique renforcé en matière de transparence. Plusieurs directives majeures ont été adoptées, en matière d’échange automatique d’informations en 2014, d’échange des décisions fiscales anticipées en 2015, de lutte contre l’optimisation fiscale des entreprises et d’échange automatique des déclarations pays par pays en 2016. Une proposition de directive obligeant des intermédiaires à déclarer les montages fiscaux qu’ils créent est en cours de discussion et devrait être adoptée très prochainement.
Deuxièmement, en matière de lutte contre l’optimisation fiscale et la fiscalité dommageable, les travaux internationaux menés ces dernières années ont visé à renforcer les moyens des États pour lutter contre l’optimisation fiscale des multinationales.
Ces travaux, dont l’initiative revient à quelques États, dont la France, ont été conduits sur demande du G20 et dans le cadre de l’OCDE au titre du chantier Base Erosion and Profit Shif ting, ou BEPS, qui a été évoqué par plusieurs d’entre vous. L’OCDE a tenu à y associer le plus grand nombre de pays, y compris les pays émergents et les pays en développement : près de 110 États et territoires y ont adhéré à ce jour. Il s’agit donc bien d’un processus inclusif.
L’OCDE s’appuie sur un accord multilatéral juridiquement contraignant, l’instrument multilatéral, pour la mise en œuvre de BEPS. Il modifiera à terme plusieurs centaines de conventions fiscales bilatérales en vigueur, dont environ quatre-vingts pour la France. La France l’a signé le 7 juin 2017, et il sera prochainement soumis à ratification. L’action de l’OCDE a donc changé de nature, dans la mesure où les normes qu’elle produit acquièrent une force contraignante accrue, tout en étant partagées largement par la communauté internationale.
L’Union européenne s’est également engagée dans une action résolue pour faire respecter les standards internationaux, en matière aussi bien de transparence que de fiscalité équitable.
Cela a conduit à établir une liste d’États et territoires non coopératifs au mois de décembre 2017. Vous l’avez remarqué, cette liste diminue aujourd’hui à raison des engagements pris par les États et territoires concernés, mais ces derniers devront respecter ces engagements, faute de quoi ils seront à nouveau inclus dans la liste européenne, ce qui fera son efficacité.
Toutefois, de nombreux défis restent encore à relever. Par exemple, des contre-mesures efficaces et dissuasives doivent être appliquées de manière coordonnée à l’encontre des États et territoires qui figurent sur la liste européenne. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut persévérer pour convaincre nos partenaires réticents à aller dans ce sens. La France montrera l’exemple et appliquera des mesures défensives. Nous travaillons actuellement aux modalités permettant de transposer la liste européenne dans notre droit de la manière la plus ambitieuse possible. Cette réforme, qui implique une modification législative, pourrait se concrétiser dans l’année.
Mais la France ne doit pas être le seul pays à le faire.
Troisièmement, en matière de taxation des géants du numérique, il s’agit essentiellement ici de corriger les inadaptations des règles de la fiscalité internationale à cette nouvelle forme d’économie et de faire en sorte que les multinationales paient l’impôt là où elles réalisent leurs profits et créent de la valeur.
L’idée est simple, mais ce chantier confié par le G20 à l’OCDE implique de trouver un accord partagé avec l’ensemble des États. Il sera mené sur le long terme, mais nous devons aussi agir vite, notamment en Europe, pour rétablir à très court terme des conditions de concurrence équitables. C’est urgent, car les enjeux déjà considérables vont s’accroître avec les progrès de la transformation numérique.
C’est pour cette raison que la France a activement défendu depuis l’été dernier le lancement de travaux européens pour que des mesures opérationnelles et efficaces soient rapidement adoptées. Bien évidemment, les réponses strictement nationales ne sont pas adaptées à l’ampleur du défi. Elles seraient même contre-productives à l’heure où l’Union européenne travaille à développer en son sein un marché unique numérique concurrentiel et dynamique.
Nous avons donc proposé à nos partenaires européens une taxe sur le chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays de l’Union. Elle compenserait l’impôt sur les sociétés qui aurait dû être payé dans chaque État membre par ces grands opérateurs du numérique.
La Commission européenne va faire des propositions opérationnelles dans les prochaines semaines. Vous pouvez compter sur notre action résolue pour qu’elles soient adoptées rapidement.
Il faut en même temps avancer au niveau de l’OCDE. En ce sens, Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finances, a signé un courrier avec ses homologues allemand, britannique, espagnol et italien, ainsi que le commissaire européen Pierre Moscovici et le vice-président de la Commission européenne Valdis Dombrovskis.
La France agit là où son action peut être efficace, c’est-à-dire à Bruxelles et au sein du G20. C’est ainsi que les travaux ont jusqu’à présent permis de fédérer la communauté internationale autour d’un standard partagé par de très nombreux pays, développés ou non. C’est dans ces enceintes que se mettent en place les standards que vous appelez de vos vœux. Multiplier les lieux de négociation sur ces sujets complexes et techniques ne semble pas être un gage d’efficacité ni de vitesse. §Par ailleurs, nous voulons travailler sur des textes précis et juridiquement efficients.
Je crois enfin que l’Union européenne a vocation à montrer la voie dans certains domaines, comme le numérique ou l’harmonisation de l’impôt sur les sociétés. Le Gouvernement pèse de façon très ferme à Bruxelles dans ce sens. Pour autant, l’Europe n’a pas intérêt à s’imposer systématiquement des règles que d’autres États, dont les plus importants, comme les États-Unis, ne s’appliquent pas à eux-mêmes.
Sur ce point, je ne partage pas votre souhait d’appliquer la transparence publique des rescrits fiscaux. L’administration n’hésite pas à publier au Bulletin officiel des finances publiques certains rescrits de manière anonymisée. C’est le cas des positions formelles de portée générale, qui participent à la stabilité juridique pour les contribuables. Aller plus loin serait remettre en cause le principe du secret fiscal.