Depuis la fin des années soixante-dix, l’articulation entre les principes régissant respectivement la conservation des archives, l’accès aux documents administratifs et la protection des données à caractère personnel a fréquemment soulevé des difficultés.
Je tiens d’abord à dissiper quelques malentendus. Le droit en vigueur ne prévoit aucune dérogation au droit de rectifier des données personnelles inexactes au bénéfice des services publics d’archives. Il prévoit seulement une dérogation à la durée normale de conservation des données, une dérogation aux obligations de confidentialité, une dérogation au droit d’accès des personnes physiques aux données personnelles qui les concernent tel qu’il est défini par la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, une dérogation au droit d’opposition à voir ces données traitées.
Le droit de rectification est strictement encadré par le droit français et communautaire. Comme l’a confirmé le Contrôleur européen de la protection des données, il ne s’applique qu’aux données objectives et factuelles, pas aux déclarations subjectives, qui, par définition, peuvent être erronées d’un point de vue factuel.
La CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, nous a assuré que cette interprétation étroite du principe d’exactitude correspondait en tous points à sa pratique.
Le droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes. Il peut y être fait droit, par exemple, en apposant une mention en marge du document ou en ajoutant au dossier des pièces complémentaires. Comme tous les droits reconnus aux personnes physiques sur leurs données personnelles, ce droit s’éteint au décès de l’intéressé et n’est pas transmissible aux héritiers, comme c’était le cas jusqu’en 2004.
Ces mises au point étant faites, la question demeure : faut-il introduire une nouvelle dérogation au droit de rectification au bénéfice des services publics d’archives ?
Une telle dérogation pourrait être justifiée d’une part par la nécessité de maintenir l’intégrité des archives, d’autre part par les règles de communication des archives publiques, qui protègent, dans une certaine mesure, les personnes vivantes contre les atteintes à la vie privée, puisqu’elles prévoient des délais de communication plus ou moins longs. Néanmoins, ces délais n’empêchent pas que les documents soient communiqués, voire largement diffusés, avant la mort des intéressés ; tel est bien le problème.
En outre, les archives peuvent, dans certains cas, être communiquées avant l’expiration des délais légaux, et l’administration des archives conserve le droit d’ouvrir des fonds d’archives, à tout moment, avec l’accord de l’administration dont elles émanent.
La semaine dernière, la commission des lois a estimé légitime qu’une personne vivante ayant connaissance du fait qu’un document d’archives publiques la concernant contient des informations inexactes puisse en obtenir la rectification. Il convient d’opérer une juste conciliation entre les objectifs d’intérêt général des services publics d’archives et la protection des droits des personnes sur leurs données.
On ne saurait ignorer le préjudice que pourrait causer à ces personnes la publicité donnée à des informations factuellement erronées. J’aimerais mentionner un exemple de nature à nourrir notre réflexion sur ce sujet délicat : en 2013, les ministères de la défense et de la culture ont demandé à la CNIL l’autorisation de procéder à la numérisation, à l’indexation et à la diffusion sur internet des registres matricules du recrutement militaire des soldats ayant participé à la Première Guerre mondiale. Ces registres matricules comprennent, notamment, des données sensibles issues du dossier militaire des soldats : blessures, état général, santé, maladies, contaminations… Par conséquent, il avait été prévu d’étendre à tout internaute – ce qui est exceptionnel – le droit de demander la rectification des données inexactes des bases de données d’indexation et des registres matricules numérisés. La CNIL avait alors souligné l’intérêt d’une telle disposition, relevant qu’aucune analyse de l’exactitude des données n’avait été préalablement menée et que les pratiques suivies pour constituer un registre matricule variaient d’un bureau de recrutement à un autre.
Bien sûr, en 2013, il n’y avait plus beaucoup de combattants de cette guerre encore en vie ! Pour autant, ces soldats auraient-ils voulu que des informations fausses les concernant soient diffusées auprès du plus large public, même après leur mort ? Et que dire de leurs enfants ou de leurs petits-enfants, qui pouvaient voir la mémoire de leur père ou de leur grand-père injustement abîmée ?
Afin d’apaiser ces inquiétudes, je propose, par l’amendement n° 152, d’expliciter dans la loi que l’exercice du droit de rectification n’implique pas d’effacer des données inexactes, mais qu’il peut y être fait droit soit en apposant une mention rectificative en marge du document, soit en y annexant un document rectificatif.
Plusieurs amendements de nos collègues visent aussi à supprimer le renvoi à un décret en Conseil d’État, ajouté par la commission des lois pour tenir compte des observations de la CNIL. En effet, le RGPD prévoit que la loi nationale peut déroger au droit reconnu aux personnes physiques sur leurs données en ce qui concerne les traitements à des fins archivistiques dans l’intérêt public, mais ces dérogations ne sont permises que sous réserve de garanties appropriées et dans la mesure où ces droits risqueraient de rendre impossible ou d’entraver sérieusement la réalisation des finalités spécifiques de ces traitements.
Il convient donc de préciser par décret en Conseil d’État la portée de ces dérogations, les garanties offertes aux personnes concernées et les limitations à apporter à la diffusion des données traitées, notamment en ce qui concerne l’indexation de ces données sur les moteurs de recherche.
Je demande, au nom de la commission, que l’amendement n° 152 soit mis aux voix par priorité.