Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mesdames, messieurs les membres du groupe de travail, mes chers collègues, le problème des violences sexuelles s’est toujours posé dans l’histoire de l’humanité. Ce qui a évolué, c’est leur prise en compte en fonction des modèles de sociétés, des classes sociales, des contextes historiques, politiques, culturels, religieux, moraux et scientifiques.
Dès le code d’Hammourabi, en 1792 avant Jésus-Christ, l’interdit du viol et de l’inceste était posé par le sixième roi de Babylone. Depuis 1832, avec la création de l’attentat à la pudeur, le code pénal français réprime de manière spécifique les violences sexuelles commises à l’encontre d’un mineur. La société française a toujours été sévère à l’encontre de ces comportements.
En octobre 2017, la commission des lois a créé un groupe de travail afin d’améliorer la protection des enfants. Ce groupe a refusé les annonces précipitées et a voulu prendre de la hauteur, en tenant compte des diverses auditions auxquelles il a procédé, sans aucune idée préconçue : nous avons banni le prêt-à-penser, nous avons banni les slogans.
En étroite coordination avec la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, notamment avec Mme Annick Billon, sa présidente, et l’ancienne ministre Mme Laurence Rossignol, nous avons travaillé pendant près de quatre mois, avec de nombreux déplacements et auditions de victimes, de magistrats, d’enquêteurs – policiers et gendarmes –, de professionnels de santé, de psychologues, d’éducateurs sportifs et de nombre d’associations.
On dit que « les fragments ignorent leurs coïncidences ». Nous ne savions pas ce que nous allions trouver. Toutes ces petites pièces du puzzle se sont agglomérées, tous ces témoignages – plus de quatre cents recensés sur l’espace participatif mis en place à cet effet – se sont rassemblés en un constat, puis un texte de proposition de loi cohérent que nous vous présentons aujourd’hui.
Notre rapport de février 2018 a dressé le constat accablant de la persistance, de l’ampleur et de l’insuffisante dénonciation des violences sexuelles commises à l’encontre des mineurs. La loi existe, elle est même abondante, mais elle est mal connue, mal utilisée, principalement en raison d’un manque de moyens et d’un manque de formation.
En conséquence, le groupe de travail a préconisé la mise en œuvre d’une stratégie globale, qui inclut des ajustements législatifs en matière pénale, mais surtout des moyens renforcés et une mobilisation de toute la société, singulièrement des pouvoirs publics, au service d’une meilleure protection des mineurs victimes d’infractions sexuelles.
La stratégie globale de protection des mineurs doit prendre en compte toutes les dimensions de la lutte contre les violences sexuelles. Nous l’avons fait reposer sur quatre piliers : prévenir les violences sexuelles à l’encontre des mineurs ; favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes, et ce le plus tôt possible ; reconsidérer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs ; et disjoindre la prise en charge des victimes d’infractions sexuelles du procès pénal.
La prévention constitue l’axe majeur de notre stratégie de protection des mineurs.
Tout doit être mis en œuvre pour lever les tabous, pour briser le silence. Tous les enfants, tous les parents doivent être sensibilisés à l’interdit des violences sexuelles, qui sont souvent intrafamiliales. Les parents doivent être soutenus dans leur parentalité, notamment avec la création de pôles mères-enfants : il faut pouvoir mettre des mots sur les choses, il faut pouvoir expliquer les comportements, il faut pouvoir dire : « Non, ça ne se fait pas. »
Près de la moitié des auteurs condamnés pour « viol sur mineurs » sont mineurs : il est indispensable que chaque enfant reçoive une véritable éducation à la sexualité. Oui, les enfants ont une sexualité, mais une sexualité qui leur est propre, qui est à eux.
Une attention toute particulière doit être portée aux contenus pornographiques sur internet, car l’accès précoce des enfants à la pornographie engendre des conséquences désastreuses sur leur représentation de la sexualité, et notamment du consentement. Un enfant sur deux de moins de dix ans a eu accès à des images pornographiques. L’âge moyen est de quatorze ans et cinq mois pour visionner un film pornographique. Je vous laisse imaginer l’impact sur la sexualité de ces jeunes. « Enfance », cela s’écrit avec sept lettres ; « Youporn », c’est sept lettres aussi !
Le deuxième axe de notre stratégie, c’est favoriser l’expression et la prise en compte de la parole des victimes, et ce le plus tôt possible. Pour cela, il faut lever tous les obstacles à la libération de la parole. Il faut des professionnels, dans tous les corps de métiers, formés à l’écoute et capables de diagnostiquer les violences sexuelles avérées. Le corps médical et paramédical doit être associé pour faciliter les signalements. Surtout, les conditions d’accueil des plaignants doivent être significativement améliorées, que ce soit pour le recueil de la plainte ou l’écoute des petites victimes dans des lieux adaptés. La mise en place des UMJ – unités médico-judiciaires –, l’utilisation de poupées sexuées, cela ne suffit pas si les professionnels ne sont pas suffisamment formés.
Le troisième axe, c’est renforcer la répression pénale des infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs. Une justice efficace nécessite de renforcer les moyens et les effectifs tant de la police judiciaire et scientifique que des juridictions, pour réduire les délais d’enquête et de jugement. Entre le dépôt de plainte et le jugement, il peut se passer sept années. L’objectif est également d’éviter la requalification en agression sexuelle ou en atteinte sexuelle d’un crime de viol, en raison du seul encombrement des cabinets des juges d’instruction et des cours d’assises. Cela n’est pas supportable. Les moyens consacrés aux frais de justice et à l’aide aux victimes doivent également être renforcés, afin de permettre l’accompagnement de chaque victime par une association dès le dépôt de plainte.
Le dernier axe de notre stratégie, c’est désacraliser le recours au procès pénal et permettre une véritable prise en charge des victimes d’infractions sexuelles hors du procès pénal. Les victimes doivent être accompagnées, même en dehors de toute procédure judiciaire, leur prise en charge, notamment médicale, garantie et des parcours de reconstruction, voire de résilience, doivent leur être proposés.
Nous voudrions que le protocole qui existe actuellement à Paris soit étendu à toute la France, autrement dit que toutes les victimes puissent être entendues par les policiers pour témoigner, à n’importe quel moment, peu importe la prescription. Cela leur permettra d’entendre prononcés par un policier les mots qui délivrent, ce « Je vous crois » qui permet le début de la résilience.
Notre stratégie a été traduite dans la présente proposition de loi, en particulier concernant trois évolutions en matière pénale.
L’allongement de vingt à trente ans des délais de prescription en matière de viols et d’agressions sexuelles, qui est une mesure avant tout symbolique. Le plus important, c’est de libérer la parole, tout de suite, maintenant, parce qu’on n’aura pas la preuve.
La deuxième mesure importante, c’est l’instauration d’une présomption de contrainte, applicable à toutes les relations sexuelles entre un majeur et un mineur. L’article 3 de la proposition de loi vise ainsi à faciliter la répression criminelle de viols subis par les mineurs. Désormais, la charge de la preuve serait inversée dans deux hypothèses : en cas d’incapacité de discernement du mineur ; ou quand il existe une différence d’âge suffisamment importante entre le mineur et l’auteur. Il n’y a pas d’âge dans notre proposition. Cela traduit la volonté de protéger tous les mineurs. Le discernement n’a pas d’âge. Toute autre proposition pourrait paraître plus simple, plus médiatique, plus porteuse ; en réalité, elle ne serait que simpliste.
Cette modification n’a pas pour effet de changer l’interdit pénal, qui est très clairement posé par le délit d’atteinte sexuelle sur mineur. L’article 227–25 du code pénal prévoit déjà que toute relation sexuelle avec un enfant de quinze ans est interdite, au risque de poursuites pénales. C’est donc déjà inscrit dans la loi. Ce que fait l’article 3 de notre proposition de loi, c’est qu’il facilite la qualification criminelle de viol, en permettant de mobiliser plus facilement l’élément de contrainte, élément constitutif de l’infraction de viol. La charge de la preuve serait ainsi inversée et reposerait désormais sur l’adulte mis en cause, puisque la contrainte morale et, donc, la qualification criminelle de viol seraient présumées.
Par ailleurs, l’article 5 de la proposition de loi tend à aggraver les peines encourues pour le délit d’atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans.
Je le rappelle, le code pénal réprime tout acte de nature sexuelle commis par un majeur à l’encontre d’un mineur, au motif qu’un mineur de moins de quinze ans est incapable d’y consentir librement. Actuellement, le délit d’« atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans » est puni de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Par rapport aux autres infractions comparables dans les autres pays de l’Union européenne, les peines encourues en France peuvent sans doute apparaître comme moins élevées, même si la France distingue les « viols sur mineurs de quinze ans » des « atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans ». L’article 5 de la proposition de loi vise à modifier l’article 227–25 du code pénal, pour porter les peines encourues de cinq à sept ans d’emprisonnement et de 75 000 à 100 000 euros d’amende.
Ce que je vous propose d’adopter, mes chers collègues, c’est un texte innovant, qui vise à changer les représentations sociales, les mentalités. Ce que je vous propose d’adopter, c’est un texte qui met le mineur victime au cœur de nos préoccupations. Tout ce que nous avons lu, tout ce que nous avons vu, tout ce que nous avons entendu nous ont profondément marqués. Au fond, compte tenu de toutes ces atrocités, de ce qui fait le plus noir chez l’homme, le plus glauque, le plus cauchemardesque, le but ultime de toutes nos propositions est de protéger nos enfants, et ce le plus largement. Ce que je vous propose peut-être tout simplement, c’est de faire un peu de lumière avec du noir.