Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 27 mars 2018 à 14h30
Protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles — Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, mes chers collègues, en 2017, 8 788 plaintes ou signalements pour viol et 14 673 pour agressions sexuelles concernant des victimes mineures ont été recensés dans notre pays.

Ces chiffres sont insupportables. Ils éveillent chez chacun de nous une émotion transcendant notre statut de femme ou d’homme politique et de législateur, plus encore quand il s’agit de violences sexuelles infligées à des mineurs.

Quand, en septembre dernier, le parquet de Pontoise a décidé de poursuivre pour « atteinte sexuelle », et non pour « viol », un homme de vingt-huit ans ayant eu une relation sexuelle avec une enfant de onze ans, quand, en novembre, la cour d’assises de Seine-et-Marne a acquitté un homme jugé pour le viol d’une fillette du même âge, au motif que la contrainte n’était pas établie, nous n’avons pu qu’entendre l’incompréhension de nos concitoyens.

C’est dans ce contexte, et dans celui de l’affaire Weinstein, puis de la libération de la parole des femmes avec les hashtags « MeToo » et « BalanceTonPorc », que notre commission des lois a créé un groupe de travail pluraliste sur les infractions sexuelles commises à l’encontre des mineurs.

Je suis heureuse d’y avoir participé et je salue le travail de sa rapporteur, Marie Mercier, qui a eu à cœur d’envisager la question sous divers angles, notamment ceux, souvent oubliés, de la prévention, de l’accompagnement des victimes et des moyens de la justice. La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui est la traduction législative des préconisations issues de ce travail.

Pour avoir depuis un moment travaillé sur la question des violences sexuelles, j’admets aisément la tentation, humaine, d’apporter en ces matières une réponse rapide, ferme – et législative. J’ai pourtant écouté attentivement, lors des auditions et des visites de terrain, professionnels du droit, magistrats, avocats, policiers.

Dans leur grande majorité, ils ne demandent ni un allongement des délais de prescription ni un alourdissement des peines, mais des moyens : pour se former au recueil de la parole d’un enfant, la plus difficile à entendre, pour mener plus rapidement et plus efficacement les enquêtes, pour que la justice soit rendue dans des délais raisonnables.

En 2015, une procédure pour viol durait plus de six ans et demi en moyenne, plus de deux ans pour les agressions sexuelles. Un délai intolérable pour les victimes, qui osent parler malgré le regard des autres et malgré celui que l’on porte, dans ces cas, sur soi-même.

Nous examinons aujourd’hui la proposition de loi de nos collègues Marie Mercier et Philippe Bas, mais nous débattrons dans quelques mois du projet de loi porté par Mmes Belloubet et Schiappa. Pourquoi ce doublet ? On peut se poser la question.

Pendant ce temps, notre justice reste exsangue et rien n’est dit des moyens à lui allouer pour mettre fin à la légèreté relative avec laquelle on a traité jusqu’à récemment ce genre d’affaires.

Par ailleurs, nous abordons ici le seul volet de la réponse pénale. Or, pour 25 000 infractions sexuelles dénoncées, combien ne le sont pas ? Combien d’enfants ne disent rien de ce qu’ils ont subi, le plus souvent dans le cercle familial ? Notre devoir est de les aider, mais, à mon sens, la fabrique de la loi n’y suffira pas à elle seule. La lutte contre les violences sexuelles sur les mineurs est avant tout un combat sociétal et c’est toute la société qui doit être en mesure de l’appréhender dans sa globalité et sa complexité. Comment repérer ? Comment prévenir ?

Cet immense chantier nous impose de rompre avec nos préjugés, comme avec la facilité. Il engage nos représentations communes sur les rapports de genre, le consentement, l’attitude face aux « secrets de famille ».

Il exige des dispositifs audacieux et efficaces de suivi à l’école, au travail, dans les services médicaux et sociaux, puis dans les commissariats ou les gendarmeries et devant la justice. Sans ajouter des lois aux lois, ne pouvions-nous pas plus sagement compléter, affiner, expliciter les textes déjà existants ? Nous pourrions peut-être y réfléchir.

N’oublions pas enfin la lutte contre la récidive, la nécessité de soigner les violeurs identifiés et condamnés, pendant leur détention, mais aussi après. Ne négligeons pas la proportion d’agressions commises sur les mineurs par d’autres mineurs, qu’il est aussi de notre devoir d’encadrer et de soigner.

Sans ces perspectives de longue durée, l’alourdissement des peines, dans un contexte de surpopulation carcérale, ne résoudra pas tout, loin de là. Nos concitoyens, mineurs et majeurs, atteints dans leur corps et dans leur être même, attendent autre chose et plus de nous : un engagement sans concession, à tous les niveaux, pour s’attaquer aux violences sexuelles.

Le groupe CRCE s’abstiendra sur ce texte.

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