Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 4 avril 2018 à 14h30
Sortie de l'indivision successorale et politique du logement en outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, comme cela a été rappelé, la situation de l’indivision en outre-mer peut être qualifiée de « fléau endémique », entravant le développement des territoires ultramarins.

Tel était le constat que Mathieu Darnaud, Robert Laufoaulu et moi-même avions dressé dans notre rapport d’information de 2016 sur la sécurisation des droits fonciers dans les outre-mer, fait au nom de la délégation sénatoriale à l’outre-mer. Ce rapport a d’ailleurs largement inspiré la proposition de loi que nous examinons, comme l’ont précisé ses auteurs.

Pour une bonne part, les situations d’indivision sont devenues inextricables, car résultant de dévolutions successorales non réglées, parfois même non ouvertes, sur plusieurs générations. Elles stérilisent une grande partie du foncier disponible sur des territoires où celui-ci est rare. L’activité économique, tout comme la politique d’équipement des collectivités en sont entravées.

Face à cette situation, nous faisons le constat de règles de gestion de l’indivision inadaptées, en l’état actuel du droit, aux spécificités ultramarines.

En application du principe d’identité législative, les départements et régions d’outre-mer sont soumis aux mêmes règles que les territoires hexagonaux, à quelques exceptions près.

Ainsi, au décès d’une personne, dans l’attente du partage qui fixera les droits de chacun sur un lot déterminé, les héritiers sont propriétaires indivis des biens du défunt, à moins que celui-ci n’ait réglé les modalités du partage par testament.

Cette situation d’indivision n’a pas vocation à perdurer. Selon l’article 815 du code civil, « nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué […] ». Toutefois, en application de l’article 815-3 du même code, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte de disposition, tel que la vente ou le partage.

Or, en raison du nombre des indivisaires et de leur éparpillement géographique, notamment, l’unanimité est particulièrement difficile à obtenir, ce qui bloque tout projet de vente ou même de réhabilitation des biens.

Certes, il existe des procédures spéciales, telles que le partage judiciaire ou la possibilité pour les indivisaires détenant au moins deux tiers des droits indivis de demander au tribunal de grande instance d’autoriser la vente d’immeubles par licitation, mais elles ne permettent pas aux territoires ultramarins de surmonter les difficultés rencontrées.

Dès lors, comme les y autorise l’article 73 de la Constitution, les auteurs de la proposition de loi ont souhaité adapter les règles du droit commun aux caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires.

La proposition de loi, dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, tendait à mettre en place un dispositif dérogatoire et temporaire pour favoriser les sorties d’indivision et encadrer les conséquences des partages qui en découlent.

À l’article 1er, il était prévu que les biens indivis situés dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, ainsi qu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, et relevant de successions ouvertes depuis plus de cinq ans pouvaient faire l’objet d’un partage ou d’une vente sur l’initiative des indivisaires titulaires en pleine propriété de plus de la moitié des droits indivis.

L’article 2 avait pour objet d’autoriser le notaire à accomplir la vente ou le partage à défaut d’opposition des indivisaires minoritaires dans un délai de trois mois suivant la notification du projet. En cas d’opposition d’un ou plusieurs indivisaires minoritaires, les indivisaires majoritaires qui souhaitaient vendre le bien ou procéder à son partage devaient saisir le tribunal.

Ce dispositif avait vocation à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2028.

L’article 5, ajouté par l’Assemblée nationale, visait à adapter aux spécificités polynésiennes le dispositif d’attribution préférentielle. On permettrait à un héritier copropriétaire ou au conjoint survivant de demander l’attribution préférentielle du bien, s’il démontre qu’il y avait sa résidence depuis plus de dix ans, alors qu’en application du droit en vigueur, le demandeur doit prouver que sa résidence se trouvait sur le bien « à l’époque du décès » du de cujus.

L’article 6, également ajouté à l’Assemblée nationale, tendait à empêcher la remise en cause, en Polynésie française seulement, d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis, celui-ci ne pouvant que demander de « recevoir sa part soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage ».

Face au texte tel qu’il lui a été transmis par l’Assemblée nationale, la commission des lois s’est attachée à concilier efficacité du dispositif et garanties juridiques du droit de propriété.

Elle a tout d’abord rappelé que le droit de propriété, garanti par les articles II et XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ne pouvait souffrir de limites à son exercice, à moins que ces limites ne soient justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

Elle a considéré que la situation tout à fait particulière du foncier ultramarin constituait effectivement un motif d’intérêt général, justifiant, dans son principe, la mise en place du régime dérogatoire de sortie d’indivision.

Quant au caractère proportionné à l’objectif poursuivi des mesures proposées, elle a estimé que l’Assemblée nationale, en imposant une notification du projet de vente ou de partage par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires, en renforçant les modalités de publicité du projet et en renversant la charge de la saisine du juge en cas d’opposition d’un indivisaire minoritaire au projet, avait apporté de solides garanties, qui s’ajoutaient au caractère temporaire du dispositif créé.

Aussi la commission des lois a-t-elle entendu s’inscrire dans la continuité des travaux engagés, en proposant des modifications de nature à renforcer encore l’efficacité du dispositif tout en lui apportant de nouvelles garanties en termes de sécurité juridique.

À l’article 1er, elle a étendu l’application du dispositif dérogatoire de sortie d’indivision aux collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin.

Elle a ensuite prévu qu’il s’appliquerait seulement aux successions ouvertes depuis plus de dix ans, au lieu de cinq ans, pour permettre aux héritiers d’exercer pleinement les actions prévues à leur profit par le code civil, comme l’action en possession d’état pour établir une filiation post mortem avec le de cujus, qui se prescrit par dix ans, ou l’option successorale qui peut être exercée par l’héritier dans ce même délai.

Enfin, par souci de cohérence, la commission a modifié la majorité requise pour effectuer des actes d’administration ou de gestion, jusqu’à présent fixée à deux tiers des droits indivis, pour éviter qu’il ne soit plus difficile d’effectuer ces actes que de procéder à des actes de disposition. Je rappelle que la proposition de loi autorise la vente ou le partage du bien sur l’initiative des indivisaires titulaires de plus de la moitié des droits indivis seulement.

À l’article 2, en cas de projet de vente du bien à une personne étrangère à l’indivision, la commission a prévu la possibilité, pour tout indivisaire qui le souhaiterait, d’exercer un droit de préemption pour se porter acquéreur du bien aux prix et conditions de la cession projetée.

Pour encourager les héritiers à partager les biens indivis, elle a introduit dans le texte un nouvel article 2 bis, tendant à mettre en place une exonération du droit de partage de 2, 5 % pour les immeubles situés dans les territoires ultramarins concernés par le dispositif dérogatoire de sortie d’indivision.

Sur l’initiative de notre collègue Lana Tetuanui, elle a également introduit dans le texte un nouvel article 5 A, qui consacre la possibilité de procéder, en Polynésie française, à un partage du bien par souche, quand le partage par tête est rendu impossible en raison, notamment, du nombre d’héritiers ou de l’ancienneté de la succession.

À l’article 5, la commission a étendu, aux autres collectivités ultramarines concernées par le texte, l’application du mécanisme créé au bénéfice de la Polynésie française, consistant à permettre au conjoint survivant ou à un héritier copropriétaire de bénéficier de l’attribution préférentielle du bien sur lequel il a établi sa résidence.

La commission a procédé à la même extension à l’article 6, s’agissant du dispositif visant à empêcher la remise en cause d’un partage judiciaire transcrit ou exécuté par un héritier omis à la suite d’une erreur ou d’une ignorance.

Bien consciente que ce texte ne résoudra pas, à lui seul, les difficultés foncières des territoires ultramarins, la commission a néanmoins estimé qu’il pourrait constituer un outil intéressant de sécurisation du foncier s’il était associé à d’autres initiatives, comme la mise en place de groupements d’intérêt public ayant pour objet la reconstitution des titres de propriété.

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