Intervention de François Molins

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 avril 2018 à 14h00
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la république — Nomination d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution

François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris :

Nous sommes globalement satisfaits des dispositions de la loi du 30 octobre 2017, qui a intégré trois demandes qui nous étaient chères : l'ajout de la géolocalisation, dont nous usons presque quotidiennement, à la liste des actes d'enquête autorisés à rester valides pendant quarante-huit heures après l'ouverture d'une information par le juge d'instruction ; l'intégration, aux articles 706-73 et 706-73-1 du code de procédure pénale, des infractions portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, ce qui permet d'utiliser dans ce cadre des techniques spéciales d'enquête ; et la création d'une infraction criminelle visant à cibler les parents qui auraient enrôlé leur enfant dans une entreprise terroriste.

Les chiffres que vous venez de citer, s'agissant des visites domiciliaires réalisées à ce jour, s'expliquent, à mon sens, par deux raisons : la rédaction de certaines dispositions et la nouveauté de la procédure.

D'abord, la rédaction de la loi du 30 octobre 2017 a rendu plus restrictif que dans l'état d'urgence, sur le fond comme sur la forme, le recours aux perquisitions ou visites domiciliaires - les chiffres ne me choquent pas en revanche s'agissant des périmètres de protection, des fermetures de lieux de culte et des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Cette loi nécessite ensuite une acculturation des autorités administratives à une nouvelle procédure à la fois administrative et judiciaire, fort novatrice en droit français. Les services préfectoraux paraissent toutefois s'accoutumer à ces deux écueils. Ainsi, si le volume des visites domiciliaires apparaît faible, notez que la totalité des six requêtes émises a été autorisée par le juge des libertés et de la détention, ce qui indique que les requêtes émises ont été convenablement motivées et ciblées.

Je crains toutefois les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel en date du 29 mars dernier qui, au nom du droit de propriété, a invalidé la possibilité de saisir et d'exploiter des documents et objets lors de ces visites domiciliaires. Cela ne posera pas de difficulté lorsque ces objets et documents seront constitutifs d'une infraction et permettront l'ouverture d'une enquête en flagrance et donc d'une saisie. En revanche, lorsque l'infraction ne sera pas immédiatement visible, par exemple si des documents sont rédigés dans une langue étrangère et nécessitent une traduction, une difficulté risque d'apparaître puisqu'il ne sera pas possible de les saisir.

Désormais, le nombre de visites domiciliaires autorisées s'établit à neuf, soit trois nouvelles visites réalisées en cinq jours depuis les attentats survenus dans l'Aude, contre six au cours des cinq derniers mois. Le retour des attentats après une période relativement calme, qui avait pu laisser penser à certains que nous étions sortis de cette ornière dramatique, a conduit les préfets et l'administration à faire preuve de plus d'audace. Je suis convaincu que le faible nombre de visites domiciliaires, jusqu'à présent, s'explique par les restrictions apportées au dispositif sur le fond comme sur la forme. Je vous rappelle que l'article 4 de la loi du 30 octobre 2017 fait dépendre l'autorisation d'une visite domiciliaire de l'existence de « raisons sérieuses de penser qu'un lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes ».

Les termes de cet article pouvaient laisser craindre une proximité avec l'infraction d'association de malfaiteurs terroriste en vue de commettre un acte terroriste et, partant, une ligne de crête incertaine entre visite domiciliaire et perquisition judiciaire, qui aurait pu conduire à accorder une visite pour des faits qui auraient justifié l'ouverture d'une enquête. Cette possible incertitude a obligé les services à s'approprier avec soin cette procédure, par ailleurs tout à fait novatrice et complexe.

Je cède la parole à Mme Camille Hennetier, vice-procureure et cheffe de la section antiterroriste du parquet de Paris, pour vous entretenir de l'articulation entre les services préfectoraux et le parquet de Paris.

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