Intervention de François Molins

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 4 avril 2018 à 14h00
Proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la république — Nomination d'un rapporteur et examen du rapport portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution

François Molins, procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris :

mais elle va y ressembler.

Il est difficile pour moi de m'exprimer sur ce sujet dans la mesure où le projet est actuellement soumis au Conseil d'État et n'a pas donc encore été présenté au conseil des ministres. À l'heure où je vous parle, je n'ai pas d'assurance absolue sur le périmètre ni sur le contenu.

Selon moi, pour être tout à fait sincère, plus le projet est ambitieux, plus il apportera de valeur ajoutée au dispositif actuel et moins il y a de risques d'en faire une organisation sous-efficiente. Tout dépend du contenu en termes d'inscription dans l'organisation judiciaire et de périmètre de compétence.

La compétence peut être étroite ou large : une compétence terroriste, avec des compétences en matière d'opération extérieure (OPEX), pour les militaires victimes d'actions terroristes à l'étranger ; des compétences en matière de droit international pénal et de droit international humanitaire ; un parquet au spectre plus ambitieux, qui répondrait à d'autres impératifs ; des compétences en matière de cybercriminalité ou de crime organisé.

Un parquet national peut être l'occasion de régler un certain nombre de problèmes pour ne pas manquer les rendez-vous qui se présentent aujourd'hui à nous. C'est un euphémisme de dire que la cybercriminalité constituera un enjeu majeur de la grande criminalité dans les années à venir. Je parle là non pas des atteintes portées aux citoyens dans le cadre de l'usurpation d'identité, mais d'atteintes au système de traitement automatisé de données (STAD) concernant l'État et les opérateurs d'importance vitale (OIV). Des liens plus ou moins lâches existent entre le terrorisme et la cybercriminalité au travers du cyberdjihadisme. Les hackers se mettent aujourd'hui au service du plus offrant. Voilà quelques mois, des hackers qui avaient pris possession de fichiers policiers ou militaires pour le compte d'organisations djihadistes ont publié sur internet des noms de fonctionnaires de police ou de militaires, ce qui était préjudiciable à leur sécurité.

Concernant le crime organisé, la logique est quelque peu différente. On ne peut pas parler de connexions fortes, mais, pour autant, il y a des liens : un délinquant poursuivi pour crime organisé peut se radicaliser et basculer dans le terrorisme - je pense à l'affaire Kriket, dont on a beaucoup parlé dans les journaux - et les réseaux peuvent alimenter - ce fut le cas lors des attentats de janvier et de novembre 2015 - les commandos en fournitures d'armes longues, notamment de fusils d'assaut.

La criminalité organisée, comme le terrorisme, utilise des techniques spéciales en matière d'investigation ; c'est une affaire de spécialistes avec une doctrine commune d'outils procéduraux, les articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale.

Enfin, se pose un problème de repositionnement et d'équilibre de l'autorité judiciaire par rapport à la police judiciaire et notamment à ses offices centraux, avec un besoin réel : tous les acteurs judiciaires en conviennent, les huit juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) fonctionnent bien ; mais les marges de progression sont nombreuses quant à leur coordination opérationnelle. J'ai la faiblesse de penser que cette mission ne peut revenir au ministère de la justice dans la mesure où celui-ci ne peut plus donner d'instruction individuelle ; un parquet national pourrait s'en saisir pour rééquilibrer les relations entre la police et la justice, en lien avec les offices centraux du ministère de l'intérieur.

Pour ce qui concerne l'inscription dans l'organisation judiciaire, un parquet national peut être positionné auprès du tribunal de Paris, ce qui en ferait un quatrième chef de juridiction après le président du tribunal, le procureur de la République et le procureur de la République financier ; il peut aussi être, à l'image de la Belgique, de l'Espagne, de l'Allemagne, de la Suède ou de la Suisse, un parquet général ou fédéral représentant le ministère public devant les deux degrés de juridiction. Cette dernière option présenterait deux avantages : on pousse au bout du raisonnement le concept de spécialisation, ce qui permet un meilleur suivi des dossiers, avec une mutualisation des effectifs. Cela ne poserait pas de problème constitutionnel puisque c'est le double regard du juge qui est nécessaire.

Enfin, l'expérience démontre que la cellule de crise issue de la réserve d'effectifs dont nous disposons pour mobiliser des collègues en vue de renforcer la section antiterroriste en cas de crise majeure nécessite la mobilisation exceptionnelle de 33 et 35 magistrats lors des attentats de janvier et de novembre 2015. Aussi, au regard de l'expérience qui est la nôtre dans la gestion de crise, il conviendrait que les effectifs du futur parquet national comprennent au minimum 35 magistrats.

Telles sont mes réflexions sur ce sujet, mais je n'ai pas toutes les clés, car le projet est en cours de discussion.

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