Intervention de Alain Richard

Réunion du 10 avril 2018 à 14h30
Élection des représentants au parlement européen — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat est convié à examiner une nouvelle fois le mode d’élection des parlementaires européens français, en raison d’un sentiment d’insatisfaction assez largement partagé parmi les responsables politiques face au contraste entre l’importance politique et institutionnelle du Parlement européen et la faiblesse de la participation et de l’implication de nos concitoyens lors du choix de ces parlementaires. Le Parlement européen est en effet devenu l’un des piliers de décision essentiels de l’Union européenne dans tous les domaines et emporte, par ses choix et ses votes, beaucoup d’effets sur l’avenir des citoyens européens.

Mme la ministre l’a dit, le mode de scrutin ne fait pas tout. Si nous voulons que les parlementaires européens acquièrent une représentativité et une légitimité démocratique plus fortes, une partie du travail revient aux candidats et aux élus eux-mêmes.

Lorsque l’on a évoqué en commission les attitudes critiquables de certains parlementaires européens, qui ne se pliaient pas à un travail intensif de représentation et de communication avec le terrain et la population, il m’a semblé légitime de dire que le contraire existait aussi, et que beaucoup de parlementaires européens français font bien leur travail à la fois au Parlement européen, à Bruxelles et à Strasbourg, et dans les régions et les collectivités.

N’oublions pas également – il s’agira de l’un des points intéressants de nos échanges – que, quel que soit le mode de scrutin, la responsabilité de la préparation de ces candidatures incombe aux organisations politiques. Si, parfois, le choix des candidats élus a pu donner lieu à des critiques en raison d’un défaut de représentativité – il n’était, d’ailleurs, pas seulement de nature géographique –, rappelons que les listes avaient été conçues par des responsables politiques centraux. Nous avons essayé, les uns et les autres, de trouver des modes de constitution des listes qui fassent appel à une participation pluraliste, mais la nature même du scrutin, qu’il soit régionalisé ou centralisé, aboutit forcément à des listes composées par la direction des organisations politiques.

Avec l’expérience du scrutin régionalisé durant les trois dernières élections – celles de 2004, de 2009 et de 2014 -, beaucoup d’observateurs sont arrivés à la conclusion qu’une liste nationale cohérente constituait le support le plus compréhensible par les citoyens et le plus respectueux de l’objet même du Parlement européen : représenter les nations au sein d’un Parlement plurinational.

Telle est la base du projet de loi que nous examinons et tel est le sujet du débat d’aujourd’hui.

Ce débat a connu ses préliminaires au Sénat, il y a quelques années, à la faveur d’une proposition de loi de nos collègues du groupe du RDSE préconisant le retour à la liste nationale et qui avait été votée par une large majorité.

Il revient au rapporteur de souligner que nous légiférons dans un cadre, celui du premier traité de l’Union européenne, le traité de Rome, lequel a prévu l’élection directe des parlementaires européens par les citoyens, même s’il a fallu presque vingt ans pour que cette disposition s’applique réellement. Depuis septembre 1976, donc, un acte européen régit le principe d’élection des parlementaires européens et énonce trois principes essentiels.

Le premier est un système de listes à l’intérieur de chaque nation, laissant le choix entre des listes nationales complètes ou des listes réparties par circonscription.

Le deuxième, qui est essentiel dans notre débat d’aujourd’hui, est le principe de la représentation proportionnelle, donc du pluralisme, se traduisant par des attributions de sièges sans effet majoritaire.

Le troisième, enfin, est la faculté donnée aux nations d’adopter un seuil minimum de représentation, dont le maximum est fixé à 5 %. Cela se pratique dans beaucoup de pays, dont la France, où l’usage a établi ce seuil au taux maximal possible. Certains de nos partenaires ont retenu un seuil un peu plus bas.

Dans ce débat, des alternatives au système de la liste nationale complète existent. Certains collègues en ont proposé ; nous en débattrons en examinant les articles.

Si, toutefois, nous choisissions une répartition à l’intérieur des régions constituées par la loi de 2015, nous obtiendrions des écarts importants dans l’application de la proportionnelle. Certaines régions ne pourvoiraient ainsi que deux ou trois sièges, ce qui offre un cadre un peu étroit à la mise en œuvre de la proportionnelle, alors que d’autres en auraient douze, quatorze ou quinze. C’est une difficulté.

Nous avons étudié en commission les tentatives de créer des subdivisions à l’intérieur des listes nationales, de manière à forcer une sous-représentation géographique à l’intérieur des listes nationales. Là encore, en appliquant la proportionnelle pour les soixante-quatorze ou soixante-dix-neuf sièges qui nous reviendraient, les listes les plus convaincantes obtiendront peut-être vingt ou vingt-cinq sièges, mais beaucoup de listes en auront entre quatre et dix.

Une ventilation régionale à l’intérieur des listes nationales aboutirait donc à ce que les régions les plus peuplées soient correctement représentées par la plupart des listes, alors que les régions les moins peuplées se retrouveraient globalement sous-représentées.

Une transposition à l’échelle État-régions du système des sections départementales que nous pratiquons aux élections régionales ne peut donc pas donner les mêmes résultats, parce que les effectifs de postes à pourvoir sont beaucoup moins importants.

Par ailleurs, notre tradition électorale, ainsi que le Conseil constitutionnel l’a rappelé à plusieurs reprises, est de laisser la plus grande liberté dans la composition des listes et de ne pas contraindre les organisations politiques à structurer leurs listes selon un mode obligatoire.

Les Français éliront soixante-quatorze ou soixante-dix-neuf députés européens, car, curieusement, nous n’allons pas voter sur le nombre de sièges à pourvoir, lequel résulte également de l’Acte européen de 1976, régulièrement remis à jour en fonction des évolutions de la communauté.

Sa dernière version répondra au départ de nos collègues et amis britanniques et une proposition de répartition est actuellement en débat entre le Conseil européen et le Parlement européen. Ce processus aboutira lors du Conseil européen de juin et le texte sera ratifié par le Parlement européen lors de sa session de juillet, d’après ce que l’on entend dire. Au terme de ce nouveau calcul, la représentation française passera de soixante-quatorze à soixante-dix-neuf sièges.

S’agissant de la composition des listes et de leur présentation, une question nouvelle a été soulevée en 2014 par certains partis politiques organisés à l’échelon européen : la possibilité de désigner un candidat tête de liste à l’échelle européenne. Cela s’est traduit en allemand, par le terme un peu imagé de Spitzenkandidat, c’est-à-dire un candidat choisi par un parti européen pour le présenter à la présidence de la Commission européenne.

On peut débattre de cette volonté, exprimée par les partis européens, de prédéterminer, en quelque sorte, le choix du président de la Commission qui résulte d’une interprétation des traités. Certains collègues souhaitent qu’il soit possible de faire apparaître jusque sur le bulletin de vote ce « candidat tête de liste », mais la commission a préféré écarter cette option. Toutes les organisations politiques qui présenteront des candidats n’ayant pas choisi ce système de chef de file européen, cela risquerait en effet de provoquer un déséquilibre et de susciter une certaine incompréhension chez les électeurs.

En outre, Mme la ministre l’a bien rappelé, la possibilité de constituer des listes transnationales paneuropéennes soumises au suffrage de l’ensemble des presque 400 millions d’électeurs européens est une idée soutenue aujourd’hui par le chef de l’État et le gouvernement français qui n’a pas recueilli de majorité au Parlement européen, pour quelques raisons de principe, mais aussi d’opportunité.

En examinant l’article 7, nous débattrons de l’inscription de cette aspiration dans le texte, mais, le cas échéant, celle-ci relève plutôt d’une résolution que d’une disposition législative.

Le projet de loi modifie de façon importante les règles de financement, mais peu de complications en découlent, et actualise l’expression des candidats aux élections européennes dans l’audiovisuel public, suivant des principes cadrés par le Conseil constitutionnel. Nous allons nous y conformer et nous ajouterons une disposition relative aux élections législatives, afin de respecter l’échéance qui a été fixée par le Conseil constitutionnel.

Avec ce texte, nous ferons ce que nous pourrons pour susciter l’intérêt des citoyens, grâce à un nouveau système, dont le succès dépendra toutefois de la capacité des candidats et des organisations politiques à réussir leur travail d’engagement pour définir les objectifs de l’Union européenne, et que nous préparerons au cours des consultations citoyennes dans les semaines qui viennent.

Dans ce contexte, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter le présent projet de loi.

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